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«Le soufisme est un islam de la vie, pas un islam de la mort»
Zaïm Khenchelaoui. anthropologue des religions
Publié dans El Watan le 13 - 06 - 2015

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur le sens de cette rencontre autour de la pensée d'Ibn Arabi ?
Il s'agit de l'une des plus grandes figures du soufisme andalou, maghrébin et universel. Il a influencé la Méditerranée, il a influencé le christianisme. Il est comparé à Saint-Thomas d'Aquin qui a façonné la pensée occidentale. Ibn Arabi a façonné, pour sa part, la pensée musulmane. Il a influencé toutes les écoles de l'islam. Mais tout cela c'était avant deux siècles, avant précisément la discorde wahhabite. Tout le monde connaissait Ibn Arabi avant les deux derniers siècles en Algérie. C'était notre référent.
Aujourd'hui, personne ne connaît Ibn Arabi. Que s'est-il passé pendant ces deux siècles ? Il y a eu une modification de notre tradition religieuse, et «modification» est un mot gentil parce qu'en réalité il s'agit d'un traumatisme qui a bouleversé notre équilibre spirituel, social, culturel, et aujourd'hui on en paie le prix. C'est la fin de l'Histoire.
En 2015, nous sommes en train de récolter les épines de cette semence diabolique qui nous est venue de Najd (Arabie Saoudite, ndlr), et qui a semé la fitna et la désolation dans l'ensemble du monde musulman et au-delà du monde musulman. Si bien qu'aujourd'hui, la notion de rahma, qui est le qualificatif même de l'islam, a disparu.
On dit bien «dîn errahma» (la religion de la miséricorde). Que reste-t-il de cette rahma, de cette valeur ? Qui parle encore de rahma ? Lorsqu'on voit ce qui se passe autour de nous, on en vient à avoir honte d'être musulman. Et il serait temps de dire que l'islam, c'est autre chose, et que l'islam, c'est une religion qui n'est contre personne.
Vous insistiez sur la notion de «théologie de l'amour» dans votre communication en parlant de la doctrine spirituelle d'Ibn Arabi…
Oui, il s'agit bien d'une théologie de l'amour. Dieu est amour, et Il nous incite à aimer notre prochain. Chez Ibn Arabi, il y a une théorie qui est beaucoup plus avancée, et c'est pour cela que j'ai utilisé l'expression «post-modernisme».
Pour lui, il n'est même pas question d'aimer son prochain, puisque le prochain, c'est nous-mêmes. Le soufisme est basé sur le système du miroir. La création elle-même est le miroir de Dieu. L'homme est le miroir de Dieu.
Si bien que notre prochain n'est autre que nous-mêmes, une parcelle de nous. Il n'est même pas besoin d'être tolérant. Et cela, l'Emir Abdelkader l'explique très bien dans «Kitab al-Mawaqif».
D'ailleurs, cet hommage qui est rendu à Ibn Arabi, il est fait aussi pour l'Emir Abdelkader qui est le porte-parole d'Ibn Arabi. C'est l'Emir Abdelkader qui a fait connaître l'œuvre d'Ibn Arabi. Au XIXe siècle, il avait envoyé une mission scientifique de Syrie, à Konya, pour recopier les manuscrits d'Ibn Arabi, notamment ses «Futûhât al-Makkiyya» (Les illuminations mecquoises que l'Emir fit éditer pour la première fois en 1857, ndlr).
Et lorsqu'il est arrivé à Damas, et sachant qu'il était un grand admirateur d'Ibn Arabi, les autorités ottomanes lui attribuèrent, en guise de résidence, la maison d'Ibn Arabi. Il a vécu ainsi dans la maison d'Ibn Arabi, et à sa mort il était tout à fait naturel qu'il demandât d'être enterré aux côtés de son maître. Aujourd'hui, si vous allez en Syrie — bien sûr, sa dépouille a été rapatriée —, vous allez trouver dans le mausolée d'Ibn Arabi à Qassioun le tombeau d'Ibn Arabi, et juste à côté celui de l'Emir.
Et les Syriens continuent à se recueillir sur les deux tombes, y compris sur la tombe vide de l'Emir Abdelkader. Ce n'est pas un signe d'amour tout ça ? C'est un débordement d'amour. Le monde est un débordement d'amour.
Selon le soufisme, le big-bang est une énergie d'amour qui s'est manifestée, et le mouvement cosmique, le mouvement atomique, le mouvement humain sont animés par cette énergie d'amour qui est insufflée par Dieu.
Alors, imaginons un instant si on avait suivi l'enseignement de l'Emir Abdelkader et d'Ibn Arabi, où est-ce qu'on aurait été aujourd'hui ?
Ne pensez-vous pas que cela reste tout de même un savoir fondamentalement ésotérique et hermétique ? Comment contrer, avec un enseignement que certains estiment être réservé à une élite, à un cercle d'initiés, les prêt-à-penser «simplistes» diffusés par Daech et les courants wahhabites ? Comment diffuser Ibn Arabi aujourd'hui et le rendre plus accessible ?
Comment diffuser ou bien pourquoi il n'est pas diffusé ? Telle est la question. Vous savez, Sidi Boumediène est le plus grand saint d'Afrique du Nord, selon la hiérarchie spécifique au soufisme, ce qui est peut-être difficile à expliquer au commun des mortels. Mais à côté de cela, Sidi Boumediène était un grand poète. Il a un diwan. Est-ce qu'on enseigne ses poèmes aux lycéens ? Est-ce qu'il est programmé ? Est-ce qu'il y a un lycée Sidi Boumediène ? Il n'y a même pas un lycée qui porte le nom de Sidi Boumediène, alors qu'à Murcia, qui est pourtant une ville catholique, la plus grande artère de cette ville porte le nom d'Ibn Arabi.
Le canal de l'école est-il le plus indiqué, selon vous, pour diffuser cette pensée ?
Oui, absolument. Il y a l'école et il y a la mosquée. La mosquée qui nous échappe complètement, et qui est, encore aujourd'hui, le foyer d'un discours haineux. Je ne généralise pas, mais en tout cas il en reste encore des traces. Il y a encore de l'exclusion. Il y a de l'exclusion à l'égard de la femme. Regardez par exemple aujourd'hui (référence au colloque sur Ibn Arabi, ndlr), il y avait des femmes non voilées, il y avait des femmes qui présidaient les séances. Et cela ne choque personne.
C'est ça l'Algérie authentique, l'Algérie ouverte. Vous avez dû noter aussi la présence de chrétiens dans la salle. Il y avait Monseigneur Teissier, mais il y avait aussi d'autres chrétiens qui étaient là. On a beaucoup à gagner si on pouvait relayer cette parole et réactiver cette pensée. On est assis sur un trésor. On est comme un enfant qui joue avec des joyaux, des bijoux, des perles. On est comparables à ça. Nous avons entre les mains un trésor inestimable, un trésor immatériel et spirituel auquel nous tournons le dos d'une manière complètement folle et pathologique.
Vous avez souligné dans votre conférence, en parlant du périple d'Ibn Arabi en Algérie, qu'il avait fait une halte décisive à Béjaïa, et vous avez précisé qu'à l'époque il fallait faire ses ablutions avant d'entrer à Béjaïa…
C'est vrai ! Béjaïa, la ville des 99 saints de Dieu. On dit qu'il en manquait un pour qu'elle devienne aussi sacrée que La Mecque. On l'appelait d'ailleurs La Petite Mecque. Et les voyageurs, les gens qui étaient extérieurs à la ville, faisaient effectivement leurs ablutions à Bir-Selam avant d'entrer à Béjaïa. Bir-Selam existe encore aujourd'hui.
Ils le faisaient par respect, par révérence à cette ville sainte qui était la ville de Sidi Boumediène. Sidi Boumediène a, certes, été enterré à Tlemcen, mais il faut savoir qu'il a vécu à Béjaïa, et c'est là qu'il a fondé son école mystique. Et Béjaïa était un immense foyer intellectuel dont le rayonnement a touché même le sud de l'Italie puisqu'on parle d'un pape qui a fait sa formation là-bas.
Des Européens venaient s'y former dans les différentes sciences. On parle d'une ville où on formait aussi bien les filles que les garçons. Personne n'était analphabète. Tout cela, c'est grâce au soufisme. Le soufisme, c'est notre issue de secours, sinon on voit ce qui nous attend. On va droit dans le mur.
Quand on parle de l'extrémisme, de l'intégrisme, de tous ces crimes, il fallait prévoir cela, il fallait être préventif. C'est comme les maladies. On ne peut pas s'exposer à tous types de virus et s'étonner de tomber malade après. Il faut un vaccin. Il faut s'immuniser, et notre immunité, c'est le soufisme. Il n'y a pas que l'aspect religieux dans le soufisme.
Le soufisme, c'est aussi la musique, ce sont les arts, c'est la céramique, c'est la calligraphie, c'est l'art architectural. Regardez les zaouïas comment elles étaient construites : à échelle humaine, dans la douceur, il y avait des points d'eau, il y avait de la verdure partout… Aujourd'hui, on construit des mosquées avec du «baghli» comme on dit. On adore le «baghli». Le soufisme est esthétique par essence. C'est l'adoration de la beauté. Aujourd'hui, on adore le ciment, le béton armé. C'est à l'image de nos cœurs endurcis.
Quand on pénètre dans une mosquée, on ne sent pas d'échos divins. On est dans l'idéologie, on est dans la culture de la haine, on est dans la culture de l'exclusion. C'est la religion de l'Antéchrist (al massih adadjal qui apparaîtrait à la fin des temps, ndlr). Ce n'est pas possible ! Il faut qu'on se ressaisisse ! Il est sidérant de voir à quel point on est tombé bas.
Ce qui est frappant en comparant ces deux formes d'expression religieuse que sont le soufisme et le salafisme, c'est que Daech et compagnie ont une véritable stratégie de communication. Ils postent des vidéos de propagande sur Youtube, avec de véritables mises en scène à la clé. Ils envahissent les réseaux sociaux, ils sont très actifs sur Twitter. Et, de l'autre côté, vous avez des confréries soufies qui sont relativement discrètes sur ce plan-là. Ne pensez-vous pas qu'il est important aussi d'investir un peu plus ce terrain ?
Il (le soufisme) n'est pas offensif, effectivement. Il faut reconnaître qu'il y a un certain déficit dans la communication en termes d'image, de discours. On parle de 1200 chaînes de télévision acquises au discours (wahhabite).
Il n'y a aucune chaîne dédiée au soufisme ?
Non, il n'y a pas de chaîne soufie. Il y a un déficit à combler. Il faudrait peut-être penser à créer quelque chose dans ce sens, à aller de l'avant, à communiquer plus, peut-être d'une manière plus moderne. Vous savez, le Japon — il faut souligner au passage qu'il y a de grandes similitudes entre le soufisme et la spiritualité japonaise — ; le Japon, sur le plan spirituel, est assez archaïque. Mais comme les Japonais ont compris dès le début que c'était ça leur culture et qu'ils n'avaient pas une autre culture, ils ne l'ont pas désacralisée.
Nous, nous avons désacralisé notre identité, croyant bien faire, au nom d'un faux modernisme qui tourne le dos à ses racines d'une manière parfois violente et prétentieuse. D'un autre côté, vous avez de la virulence émanant d'un certain discours religieux, et qui est, en réalité, un discours purement idéologique et politique. Et les deux font beaucoup de mal à notre identité qui manque de sérénité. Il faut se pacifier avec soi-même, avec ses ancêtres, ses origines. Je me souviens, à une époque, on présentait le soufisme comme étant réactionnaire.
Et il était combattu, il était assimilé à du charlatanisme. Mais c'est maintenant qu'on vit le vrai charlatanisme. C'est maintenant qu'on vit le vrai «réactionnisme». Ce n'est pas le soufisme qui est réactionnaire. Le soufisme était moderne et il l'est toujours parce qu'il est vivant. C'est un islam de la vie, ce n'est pas un islam de la mort. Il ne peut pas être démodé.


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