Fertiliser les musiques de la Méditerranée au creuset mondial de l'univers symphonique et opératique, c'est l'enjeu d'un festival qui joue à fond l'ouverture. L'année prochaine, Aix-en-Provence donnera pour la première fois de son histoire un opéra en langue arabe : Kalila wa dimna, d'après le recueil de fables d'Ibn Al Muqaffa, qui avait inspiré Jean de la Fontaine. Déjà, il y a trois ans, une première expression de l'œuvre avait été présentée par des artistes liés à l'académie européenne de musique, véritable festival dans le festival qui chaque année reçoit en stage des artistes du monde européen, mais aussi de plus en plus de l'univers méditerranéen puisque désormais l'orchestre des jeunes de la Méditerranée féconde Aix. L'opéra sera sous la direction musicale de Zied Zouari qui sera d'autre part au violon. La mise en scène sera d'Olivier Letelier, ancien de l'académie. Pour l'instant, le casting est en préparation. On sait seulement que la voix troublante de Monein Adwan sera Dimna, et Reem Talhami chantera la mère du roi. Emilie Delorme, directrice de l'académie, que nous avons rencontrée à Aix nous en parle : «Le livret est presque fini d'écrire, la musique est composée. On finalise l'équipe artistique et on répète beaucoup dans plusieurs ateliers. C'est le moment d'ailleurs pour nous d'espérer qu'on arrivera à le donner dans le nouvel opéra d'Alger. Il réunit des musiciens de plusieurs pays de la Méditerranée et il est important qu'il soit chanté en français et en arabe. On y tient à cette double culture où chacun s'enrichit de l'autre et comment elle est fertile». Emilie Delorme évoque pour nous les relations actuelles avec les structures algériennes. «C'est long à mettre en place. L'orchestre des jeunes de la Méditerranée a toujours auditionné en Algérie à l'Institut national supérieur de musique d'Alger et on continue à y aller régulièrement, mais c'est une forme de collaboration qui nous semble restrictive. La Méditerranée est grande et l'une des raisons par rapport à l'Algérie est que je n'y ai jamais assez passé de temps». Pour l'instant, l'orchestre invite chaque année un violoniste algérien qui a un parcours symphonique mais, insiste Emilie Delorme, «il me semble qu'il y a d'autres artistes algériens, il faut arriver à les identifier et engager les bons projets». Il s'agirait, selon Emilie Delorme, d'élargir les partenariats, pensant notamment au futur établissement d'Ouled Fayet : «Je pense que la potentielle maison d'opéra à Alger peut apporter un souffle nouveau. Dès que l'équipe sera en place, on essaiera d'aller les rencontrer, on n'est vraiment pas loin». UN MUSICIEN DOIT DIVERSIFIER SES INSPIRATIONS Pour elle, l'enjeu est phénoménal : «Avec ce que traverse notre époque, on a besoin de se connaître les uns les autres de manière urgente. Se rencontrer, dialoguer, échanger peut nous aider à construire un espace euro-méditerranéen de paix et de dialogue. J'aimerais que petit à petit la Méditerranée irrigue les diverses branches du festival, de l'orchestre à la musique de chambre et l'opéra. Et qu'on ne se pose même plus la question de cette Méditerranée, comme au niveau européen on ne se pose plus de savoir si l'artiste est polonais ou allemand. On doit arriver à la même dynamique au plan méditerranéen.» A ce titre, le grand projet d'Aix-en-Provence demeure Médinéa, un ambitieux dispositif dont l'objectif est «de permettre aux jeunes artistes de circuler autour de la Méditerranée, il est fondamental pour un jeune artiste d'aller voir ce qui se passe à côté et se nourrir d'autres cultures. L'idée étant aussi de naviguer entre disciplines artistiques : musiciens, vidéastes, chorégraphes, metteurs en scène, et styles : par exemple classique et oriental. Un musicien doit diversifier ses inspirations», se réjouit encore Emile Delorme dont l'activité est loin d'être achevée alors que les derniers lampions du festival 2015 se sont éteints.
