Après son décès, le 15 juillet 1988, nous avions écrit un article dans Algérie-Actualités intitulé «Le Prince populaire», car Mohamed Temmam était assurément un aristocrate de l'art et de la vie qui ignorait toute fanfaronnade, simple comme peut l'être un paysan des Aurès ou un pêcheur de Ténès. Nous avions reçu alors plusieurs lettres du monde entier, dont celle d'Edmonde Charles-Roux, écrivaine et ancienne présidente de l'Académie Goncourt, récemment décédée. C'est que notre homme avait été aimé ou apprécié par tant de personnes au cours de ses pérégrinations existentielles et artistiques, dont une trentaine d'années en France et en Europe dans une époque à la fois formidable du point de vue artistique et terrible du point de vue historique avec la Seconde Guerre mondiale. L'exposition que lui a consacrée le Musée national des beaux-arts d'Alger et qui a été décrochée cette semaine a rendu un bel hommage à cette personnalité exceptionnelle de l'histoire culturelle nationale. Organisée pour le centième anniversaire de sa naissance, le 23 février 1915, la modestie de sa surface était compensée par la richesse de ses pièces et une scénographie subtile, orchestrée par la conservatrice du musée, Dalila Orfali. Dans ce condensé efficace et émouvant d'une vie et d'une œuvre, celui qui connaissait l'artiste a pu trouver là des «pièces à conviction» illustrant son rare parcours, entre la maîtrise de la miniature et de l'enluminure et la pratique de la peinture de chevalet sur les sentiers de l'art moderne. Quant à celui qui découvrait Temmam pour la première fois, il pouvait mesurer sa surprise. Mais en réalité, les surprises ne manquaient pour personne. Voir les pochettes de disques qu'il avait dessinées pour le grand maître de la musique arabe, Abdelwahab ; les maquettes de timbres pour les postes algériennes, d'une minutie et d'un raffinement rares ; des photos émouvantes de lui et des milieux artistiques algériens exilés à Paris dans l'entre-deux guerres dont celles de son épouse, la chanteuse Bahia Farah, qu'il avait dû séduire avec son luth, car il était aussi musicien, etc. On pouvait y voir aussi l'enveloppe de la lettre (jamais retrouvée) que lui avait adressée en personne le Maréchal Pétain, chef de l'Etat français inféodé à l'Allemagne, sous son numéro de prisonnier dans le camp d'internement où il avait été maintenu de 1939 à 1943. C'était, dit-on, pour le féliciter de son art car, même là, il avait trouvé le moyen de créer, peignant les calligraphies de l'endroit transformé par les prisonniers musulmans en salle de prière ou encore dressant le portrait des femmes d'officiers en échange de quelques menus avantages. Impossible de rendre ici toute la richesse humaine et artistique de Mohamed Temmam, sinon pour signaler que deux ouvrages sont en vente au musée pour le découvrir plus amplement dans la grandeur de son aventure discrète.