Je peux dire que 70% des chalutiers n'ont pas de mécanicien. Il y a un arsenal dans le port, mais la pêche est souvent mauvaise car les pêcheurs ne s'aventurent pas au large par peur et par incompétence. A la moindre panne, c'est le remorquage», s'offusque un formateur dans les métiers de la pêche au niveau du Centre de formation professionnelle spécialisé dans ce domaine de Zemmouri El Bahri. «Les mécaniciens de bateau sont très rares. Et sans eux, le chalutiers ne part pas en mer», confirme un «raïs», capitaine de pêche depuis les années 1970 dont l'embarcation est amarrée au port de Zemmouri El Bahri. L'heure est à la vérification du matériel, mais le mécontentement des marins anime la discussion. Le sujet engagé est le manque de main-d'œuvre qualifiée dans les métiers de la pêche. «Ce qui nous arrive est insensé. Personnellement, j'ai un diplôme de mécanicien (électromécanicien) obtenu en 2004 dans un centre de formation professionnelle. Mais ce document n'est pas reconnu par les garde-côtes, donc je ne peux pas travailler. Alors, l'attestation, je l'ai jetée à la maison», dénonce un marin, soutenu par son collègue qui affirme se trouver dans la même situation avec un diplôme décroché en 2006. Comment peut-on expliquer que des diplômes dispensés par une institution ne soient pas reconnus par d'autres institutions du même Etat ? Au centre de formation de Zemmouri El Bahri, récemment spécialisé dans les métiers de la pêche, à moins d'un mille du port, le bureau de la directrice accueille le directeur de la Chambre de la pêche et de l'aquaculture (CPA) de Boumerdès venu négocier les termes d'une convention entre les deux secteurs. «C'est un combat qui dure depuis plus de cinq ans», assure Baziz Karima d'un ton amer. Dans ces négociations, la directrice du centre tente d'arracher l'accès de ses stagiaires au fascicule de navigation, indispensable pour la reconnaissance des diplômes dispensés par le CFPA. Pour l'accès aux eaux territoriales, une autorisation appelée «fascicule» est accordée par les ministères de la Défense, des Transports et de la Pêche. Selon la directrice du CFPA, la Chambre de la pêche est habilitée également à le dispenser. «A partir du moment où le stagiaire doit s'engager en mer pour ses cours pratiques, même à un barrage, il doit présenter le fascicule. On ne peut pas dispenser uniquement des cours théoriques aux marins pêcheurs, les mécaniciens de bateau, les chefs d'embarcation et même les agents aquacoles, sans accès à la mer ! C'est insensé. Or, malgré les conventions signée entre les deux tutelles (ministères de la Pêche et de la Formation professionnelle) la situation ne semble pas se débloquer», dénonce Mme Baziz. En fait, le directeur de la CPA de Boumerdès souhaiterait inclure dans la convention une clause imposant au CFPA, pour bénéficier du sésame «fascicule», la formation exclusive des adhérents de la Chambre. «Je ne peux pas céder à cette requête. Nous sommes un établissement public ouvert à tous. Nous avons une nomenclature des métiers bien claire. On pourrait assurer ce genre de prestation pour la Chambre de la pêche, mais pour des formations autres que celles répertoriées», explique la directrice. Mais pourquoi la Chambre fait-elle la fine bouche ? Serai-ce à cause de son statut d'Epic où les responsables ont un intéressement en fonction du nombre d'adhérents et des diplômes qu'elle-même dispense ? Car, il faut savoir qu'en plus de ses prérogatives d'organiser et de faire valoir le secteur, la CPA forme aussi dans les métiers de la mer. Mais ses formations sont payantes. «La Chambre forme des marins pêcheurs en une journée contre 7000 DA. La formation de mécanicien dure une semaine à raison de 12 000 DA », informent les marins du port de Zemmouri. Ces professionnels de la pêche, à l'image du raïs en colère, dénoncent des formations bâclées et des marins «frelatés». «Un jour, j'ai carrément déchiré mes documents. J'avais affaire à un mécanicien nouvellement diplômé qui m'affirmait ne pas savoir si l'eau de la mer était salée ou sucrée», dénonce-t-il avec un sens aigu de l'anecdote réputée chez les bahara. Pourtant, Haouas Smaïl, le directeur de la CPA de Boumerdès, reconnaît le manque flagrant de marins qualifiés dans les métiers de la pêche. «Il y a une grande demande, entre 300 et 400 ouvriers de la mer par an. Nous avons cette année plus de 4000 inscrits en formation à notre niveau», assure-t-il en faisant valoir les 49 projets prévus dans la future zone industrielle spécialisée dans les métiers de la pêche ainsi que la vingtaine d'autorisations accordées à des investisseurs privés et publics en aquaculture, synonymes de besoins en main-d'œuvre qualifiée. Mais pourquoi donc ce blocage dans la délivrance de ce fameux fascicule au profit des diplômés de la formation professionnelle ? Serait-ce pour des raisons de bénéfices sonnants et trébuchants que la Chambre de la pêche de Boumerdès perdrait face à des formations gratuites, rémunérées même par des bourses accordées aux apprenants ? Le centre de formation professionnelle spécialisé dans les métiers de la pêche, assure des formations de ramendeurs, de marins pêcheurs, d'électromécaniciens (mécanicien de bateaux de pêche et de plaisance), en aquaculture, en aquariophilie et même dans la conservation et la transformation des produits de la pêche. Le matériel flambant neuf, parfois pas encore déballé dans des ateliers en cours d'installation, renseigne sur la volonté de bien former les stagiaires. Des jeunes de la région de Zemmouri, enfants de la mer, voient dans ces métiers un avenir presque garanti. Une rémunération par part (selon la pêche) allant jusqu'à 7000 DA la journée pour les marins et 2500 DA pour les ramendeurs est à portée de main. Seulement, une aberration administrative, de surcroît entre institutions publiques du même Etat, bloque une activité stratégique pour l'autosuffisance alimentaire. La volonté d'accaparer un secteur de l'économie a fait du poisson et ses dérivés un produit de luxe que des Epic empêchent de naviguer sereinement malgré les conventions signées entre les deux tutelles.