Mercredi, la salle Ahmed Bey, en clôture de l'événement «Constantine, capitale de la culture arabe 2015», a résonné de la voix sublime de la soprano libanaise, Majda El Roumi, laquelle, outre son talent, est une femme vouée aux justes causes. Mais il m'a été difficile d'apprécier cette nouvelle dans l'indignation et la colère qu'en suscitait une autre, résolument triste : la fermeture quasi manu militari du Conservatoire municipal d'Alger, le plus ancien du pays et le seul du centre-ville. Mon émoi n'est rien aux côtés de la douleur des 200 à 300 élèves de cette institution et de sa trentaine de professeurs, chassés comme des malpropres, devenus par la disgrâce d'un oukase administratif les indus-occupants de la maison de leurs passions. Rien aux côtés du message de cette amie chanteuse : «Je viens d'avoir une énorme crise de larmes. Tous mes souvenirs sont détruits». Un préavis de 48 heures pour déguerpir et voilà tout un pan de notre vie culturelle jeté aux oubliettes, sous prétexte de rénovation des locaux et, dit-on, d'affectation à un service des passeports biométriques ! Du mobilier et des archives balancés on ne sait où, des pianos transportés comme de vulgaires madriers, dont l'un de concert qui se vendrait en Europe aux enchères. Au diable la musique, les artistes, l'art et la culture ! Rassurez-vous, leur a-t-on dit, vous serez dispatchés dans les autres conservatoires ! Pas même le temps de solliciter un recours (garanti par la toute neuve Constitution), de s'organiser, de pouvoir réagir comme des citoyens capables de réflexion et non des animaux que l'on chasse d'un enclos… Pas même le temps de terminer l'année, les examens artistiques étant prévus à la mi-mai… Ici, l'âme de l'Algérie a été défendue dans une âpre résistance culturelle qui a vu naître, entre autres, la classe de musique andalouse de Fakhardji et celle de chaâbi de Hadj El Anka. Le pire, c'est que ce conservatoire regroupait des enfants des quartiers populaires du Centre, de ceux que les parents ne peuvent accompagner en voiture et qui ne pourront se rendre dans les institutions en périphérie comme plusieurs de leurs professeurs d'ailleurs. Pour la plupart, on a sonné la fin de leur élan artistique. Ici, c'est plus d'un siècle que l'on efface avec une brutalité de Cosaque ignorant des belles choses qui ont forgé notre identité culturelle qui, elle, n'a pas la chance d'être biométrique. A une centaine de mètres, les troupes coloniales avaient détruit en 1830 la Qassaïrya, le quartier des libraires où se produisaient nombre d'artistes. Elles ont trouvé des continuateurs qui ont le même passeport biométrique que vous et moi. Aussi, si je suis sincèrement heureux que mon pays accueille Majda El Roumi, comment ne pas me demander combien de petites Majda algériennes viennent d'être anéanties dans l'œuf de leurs beaux rêves ?