U n événement qui convoque les muses pour posséder l'espace du théâtre de la ville le temps d'une après-midi inspirée. Muses exilées est, au-delà du spectacle, un concept né d'un esprit novateur, celui d'une jeune équipe d'amoureux du beau. «Muses exilées, avant que ce soit un spectacle, est un concept qu'on veut installer», explique Sihem Benniche, membre du CLB. Pourquoi Muses exilées ? «Les muses promeuvent les arts et les protègent et, de par sa nature, l'être humain est un exilé. Encore plus le poète de par sa sensibilité», ajoute Siham, une des «muses» du CLB. Poésie, slam, musique, chant et caricature se sont côtoyés sur scène pour constituer un alliage artistique signant le programme de la troisième édition. Dans le hall du théâtre Abderrahmane Bouguermouh, un personnage de papier «expert en tout» accueille, mordant et placide, le public. «Aqecquc» est le personnage du caricaturiste et bédéiste Azzedine Aliouchouche qui a exposé quelques-unes de ses œuvres, qui allie subtilité et humour. Sur les planches, dans un décor où s'impose un amoncellement de bouquins parmi des instruments de musique prêts à parler, Sabrina et Lehna Kirouane, du trio de jeunes sœurs qui forme le groupe Ineglussen nchna, ont ouvert le bal par une prestation a cappella. Deux belles voix qui puisent leur chant du patrimoine musical kabyle et de l'envoûtant achewiq. Aux notes succède le verbe. En hommage El Mahdi Acherchour et Hadjira Oubachir, des textes de ces deux poètes, respectivement d'expression française et kabyle, ont été déclamés avec un accompagnement musical qui les auréole. «La nuit n'a pas de début, ce poème non plus/Qu'importe l'origine des choses ; c'est l'heure/D'ouvrir les clôtures, puis les yeux ; c'est toi/Je me rappelle de l'endroit où je t'ai inventé :/C'était dans la nocturne volonté de rester en vie./Comment pourrai-je l'oublier ? Comment ?» déclame, bien inspiré, Zahir Sidane du CLB un extrait de Chemin des choses nocturnes d'El Mahdi Acherchour. Dans la bouche de Dihya Lwiz s'exprime l'engagement poétique de Hadjira Oubachir à travers des vers dédiés à la femme et à la liberté : Tilleli b awal (Liberté de parole) et vghigh (Je veux). La beauté du mot, profond et embelli, s'entend dans les jeunes voix de Kamel, Imen et Nabila qui gratifient le public avec la déclamation d'autres poèmes enveloppés dans des notes de guitare et de violon de Kakou et Thiziri. Une touche militante s'incruste dans le programme avec la lecture d'un texte écrit par Kader Sadji du CLB, en soutien à Kamel Daoud, avant que la jeune Manal Djennadi ne s'installe pour interpréter ses propres chansons anglophones. Le slam prend le relais. Moh Boulassel, poète d'expression arabe de Jijel, a impressionné le public. Entre des strophes, mélancoliques, s'élèvent des cris de douleur que lance sa voix éplorée qui hérisse les poils. Accompagné à la guitare par Aïssa Belkadi, ses vers exorcisent le mal. Ghiat Mohamed Réda Houari, slameur d'expression française d'Oran, 2e prix national en 2015, invite à un voyage dans «Mon Oranie» natale et à apprécier son beau «poème de pacotille», celui de «psychopathe poète clochard», comme il se nomme. Djoudi Fahem, poète d'expression kabyle, ne déroge pas à la voie de cette jeune génération de poètes qui se libèrent des limites des poèmes à l'eau de rose, chante la femme dans sa culture et sa dignité. Omniprésente, la musique prend ensuite tout l'espace de la scène avec trois groupes qui terminent le spectacle. La belle voix de Mina, du groupe Silex, qui alterne dans son chant entre l'anglais et le kabyle, égale celle de la non moins jeune Yasmine Rabet qui s'accompagne de sa lourde contrebasse. La clôture est aux rythmes du blues avec Gaâda blues de Constantine. Le spectacle donne envie de s'exiler avec les muses.