Pour plus de visibilité et d'expertise, une plateforme de concours photo a été lancée par de jeunes activistes culturels. Peut-être est-ce le fait de développer une attirance vers les belles choses, bercée dès l'enfance par l'andalou et le chaâbi que les parents apprécient tant ; peut-être aussi ce rêve que l'adolescente partage avec sa sœur : créer un espace où tous les arts seraient pratiqués, alors que le pays se refermait dans le fracas de la guerre des années 1990 ; peut-être, enfin, la déception de la jeune femme, qui a vu tant de pays fructifier la créativité de leurs artistes, transformer l'art en or et valoriser les créatifs comme des trésors nationaux, qui ne comprend pas que tant de génie artistique dans son propre pays ne soit ni valorisé, si peu visible à l'international, si peu «managé». Peut-être est-ce tout cela qui a motivé Samia Bestandji, 32 ans, à lancer, avec ses associés passionnés, AlgeriArt, plateforme de concours d'art, une première en Algérie, et qui vient d'avoir son véritable acte de naissance en organisant son premier concours photo et dont on peut apprécier les travaux des six heureux lauréats, qui viennent d'Alger, de Annaba, d'Oran et de Blida, à l'espace Sylabs à Alger-Centre depuis début octobre. «L'idée que j'ai eue l'année dernière est de commencer, dans le domaine de la création, par la reconnaissance aux artistes, alors avec ma sœur Katia et d'autres amis qui nous ont rejoints de l'agence Capsa Vision, nous avons lancé ce concours photo, explique Samia Bestandji, qui nous accueille dans son lieu de travail, une boîte d'accompagnement d'entreprises. Je ne voulais pas rajouter un autre organisme d'événementiel, il y a tant de choses qui existent et heureusement.» Alors, il faut commencer par chercher les membres du jury : difficile exercice dans un environnement où ce genre d'activité n'a jamais été «professionnalisé». Donc, on tâtonne, on cherche sur internet, on demande à des contacts. L'objectif est double : «Imposer l'excellence avec un regard professionnel et aussi rendre hommage et reconnaître nos grands talents, c'est pour cela que nous avons, en parallèle, réalisé des interviews, filmé des membres du jury, c'est pour archiver leurs paroles et leurs expériences.» Inédit Le jury ? Pas des moindres : Zohra Bensamra, une des rares photo-reporters femmes algériennes à avoir une impressionnante carrière à l'international et qui a travaillé d'abord pour El Watan dans les dures années 1990, puis pour l'Agence de presse mondiale dans les coins les plus chauds de la planète ; Amar Bouras, plasticien, photographe, vidéaste, une des valeurs sûres de l'art contemporain algérien et au-delà : c'est le seul artiste algérien vivant, dont l'œuvre fait partie d'une collection permanente (au Musée d'art moderne de Bamako) ; Naïma Kaddour, éditeur photo chez la mythique agence Magnum ; Fouad Bestandji, photographe professionnel et cinéaste, membre fondateur de l'agence Capsa Vision, porté aussi bien sur l'art visuel que sur le marketing du secteur artistique. «L'excellence, la revalorisation du travail du photographe en ces temps de la gratuité et de la facilité digitale, se surpasser en faisant des photos», pour reprendre les termes de Zohra Bensamra dans l'interview filmée sur le site d'AlgeriArt : telles sont les exigences de ce concours inédit. «Même si la période était trop courte pour le concours (de mai à fin juillet 2016 Ndlr), nous avons quand même réussi à intéresser une soixantaine de photographes (de 12 wilayas et d'Algériens à l'étranger). Nous avons fait des appels à travers notre site, les réseaux sociaux, des pubs payantes, etc. Il y a même des passionnés de photo étrangers résidant en Algérie qui ont voulu participer (les lecteurs fidèles d'El Watan Week-end en reconnaîtront au moins un ! Ndlr) ! Mais nous voulions des photographes algériens, vivant ici avec des photos réalisées en Algérie, car la contrainte est différente ailleurs.» «Certains avaient posé la problématique des droits d'auteur et de la protection de leurs œuvres, d'autres ont considéré qu'en tant que créatifs, ils pouvaient dépasser cette crainte en produisant encore et encore», se rappelle Samia, qui voit là un des axes de réflexion autour de la création artistique en Algérie. Exigence La coordinatrice du projet, en bonne diplômée en gestion et en web marketing, n'est pas avare de stat' : la moyenne d'âge des participants est de 34 ans, le plus jeune ayant 19 ans et le vétéran 57 ans, mais seulement 32% des participants sont des participantes. Et aucune lauréate ! Il faudra creuser ça plus amplement. «L'année prochaine, pour la deuxième édition, il y aura plus de catégories photo pour le concours et on donnera plus de temps aux candidats, nous organiserons aussi un autre concours d'une autre forme d'art, ainsi que d'autres surprises», énumère la porteuse du projet qui annonce également la prochaine exposition des lauréats du dernier concours à Oran. «L'art n'est pas facultatif, ce n'est pas que du loisir, le secteur culturel peut créer de l'emploi et de la richesse, peut faire vivre les artistes, à condition qu'il y ait une véritable industrie culturelle. Aux Etats-Unis par exemple, toutes les compétences sont au service de l'art. Par ailleurs, ce qui nous manque chez nous, c'est l'identification des experts, c'est pour cela qu'en parallèle de la constitution des jurys, nous voulons créer une base de données des experts algériens dans toutes les formes de l'art», détaille la jeune gestionnaire qui défend une approche plus experte et professionnelle de l'art et de la chose culturelle. Prochainement, le portail web de la plateforme aura une version en anglais «pour gagner plus d'audience et plus d'ouverture sur le monde», précise Samia Bestandji.