Trente-quatre ans après sa première représentation, une deuxième générale de la pièce théâtrale Babor Ghraq, du dramaturge Slimane Benaïssa, a été donnée, lundi soir, au Théâtre national algérien. Cette mythique pièce, qui a marqué les annales du théâtre algérien dans les années 80, continue, aujourd'hui, d'avoir un impact des plus positifs auprès du public. Preuve en est, lundi soir, lors de la représentation de cette pièce théâtrale où l'ancienne et la nouvelle génération se sont bousculées au portillon du TNA. Il y avait une certaine nostalgie dans l'air. Après quelques minutes de retard, le rideau s'ouvre sur un décor des plus simplistes, mais où le spectateur est d'emblée introduit dans un univers marin avec un fond sonore, brisé par le ressac des vagues. Au fur et à mesure que la lumière se fait plus éclaircissante, une épave fracassée en deux se donne à voir avec ici et là, entre autres, une malle métallique, une caisse en bois, une veille radio, des tabourets, des filets et des cordages. A bord de cette épave désarticulée, trois naufragés - dont l'espace temps est inconnu - résistent tant bien que mal à ce malheur. Les trois comparses, à savoir l'intellectuel Mustapha Ayad, l'affairiste, Omar Guendouz, l'ouvrier, et Slimane Benaïssa décident, au départ, d'un commun accord d'écrire une missive de détresse à l'ONU et de la lancer dans une bouteille à la mer. La trame narrative progresse, par la suite, par des conversations croisées bien rigolotes, mais ô combien lourdes de sens. La société algérienne des années 1980 est revisitée avec tous ses maux et ses déboires. En effet, dans un texte soutenu, présenté en arabe dialectal, les comédiens pointeront du doigt avec élégance, entre autres, la condition sociale avec toutes ses contradictions, l'abus de pouvoir, la politique, l'économie et la démocratie. Dans un jeu scénique irréprochable, les trois personnages se donneront de belles répliques en ne manquant pas de montrer leur ras-le-bol face au hold-up de l'histoire et du militantisme du parti unique. Ces confrontations d'idées bien épicées de tirades et de dérision, conjuguées au pluriel, donnent naissance à un constat de taille : celui d'une société algérienne rongée par des tourments multiples, mais aspirant à la quête du renouveau et du changement. Le dernier tableau fort émouvant met en scène l'ouvrier qui se lance dans des séquences ayant trait à la Révolution algérienne, contées par son regretté grand-père. «L'histoire de mon grand-père, lance-t-il, est une douleur qui ne dort jamais.» Au terme d'une représentation d'une durée de 100 minutes, cette pièce théâtrale bien construite et qu'on ne se lassera jamais de revoir s'est refermée par l'incontournable et magnifique chanson El Hamdoulilah Mâbkach istiâamar Fi Bledna, signée par le cardinal de la chanson châabie El Hadj M'Hamed El Anka. Cette tragi-comédie sociale d'une durée de 100 minutes, rappelons-le, entre dans le cadre de la célébration des 50 ans de carrière du dramaturge, auteur et metteur en scène Slimane Benaïssa. L'artiste avait émis le vœu, il y a quelques années, de reprendre l'ensemble de son répertoire. Il a commencé à faire du théâtre en juin 1967. Comme il nous l'a si bien précisé, juste après la générale de sa pièce. «J'ai cinquante ans de théâtre dans les pieds et dans les reins. Et c'est le meilleur cadeau que de revenir et de présenter cette pièce après presque trois décennies. Je voulais fêter cet anniversaire en Algérie. Nous avons essayé de mettre tous les moyens pour présenter cette pièce», dit-il. Slimane Benaïssa tient à préciser, en outre, que sa pièce a été jouée telle qu'il y a 34 ans, mais «nous avons seulement remplacé Sid Ahmed Agoumi par Omar Guendouz. Sur le plan du texte, la pièce est adaptée à la condition actuelle. Elle résonne toujours. Sans prétention aucune, cette pièce détient une profondeur universelle. Elle est adaptée à toutes les époques. Les conflits que nous faisons vivre dans la pièce sont des conflits universaux qui peuvent se produire à n'importe quelle époque avec d'autres contextes et d'autres situations. Le monopartisme qui n'existe plus aujourd'hui mais nous à l'époque, nous parlions d'un parti unique. Aujourd'hui, cela a un écho, car le pluralisme, aujourd'hui, est fragile». Le dramaturge, qui est auteur de quatre pièces de théâtre, se bat depuis sept ans pour les monter en Algérie. A l'international, il compte présenter, en novembre prochain, à Montréal une nouvelle œuvre intitulée Trois jours avant l'heure. Il est à noter que pour ceux qui ont raté la générale de Babor Ghraq ou encore ceux désirant revoir cette œuvre majeure, la pièce sera à l'affiche du 12 au 22 juin avec un off le 15 juin, au Théâtre national algérien avant d'entamer une tournée nationale à la rentrée prochaine.