Il fut un temps où le Moyen-Orient était le berceau des civilisations ; il n'est plus aujourd'hui que leur tombeau ouvert, creusé par les bulldozers de l'Histoire et comblé par les débris de conflits sans fin. Ce qui s'y joue désormais n'est plus une tragédie antique, mais une farce géopolitique où les puissances écrivent le scénario à coups de drones et de dollars, pendant que les peuples, eux, paient le prix du billet... en sang. L'histoire ? Réécrite au gré des intérêts du moment. On ne s'étonne plus de voir Emmanuel Macron accueillir avec sourire protocolaire celui que la veille encore ses services vouaient aux gémonies. Ni de voir Donald Trump, l'apôtre du deal, signer des contrats astronomiques entre deux pas de danse sous les lustres dorés de Riyad. Pendant que Gaza, elle, continue d'agoniser dans l'indifférence globale, quémandant un litre d'eau ou un jour sans bombardement. Le drame n'est plus seulement humanitaire — il est moral La géopolitique moderne n'a plus d'âme. Elle jongle avec les drapeaux comme un prestidigitateur cynique, transformant les anciens ennemis en partenaires de circonstance, le terrorisme en diplomatie, et l'oubli en vertu cardinale. Tout ce qui gênait hier devient tolérable aujourd'hui — pour peu que les affaires roulent et les caisses sonnent. Scott Ritter le résume crûment dans Dealbreaker : la mémoire n'a plus de valeur face aux intérêts. L'histoire, jadis repère des peuples, devient une marchandise périssable. Et dans ce supermarché des relations internationales, les principes ont été étiquetés « soldés », liquidés au nom d'une stabilité factice, où l'ordre repose non sur la justice, mais sur l'écrasement soigneux de toute aspiration populaire. L'oubli n'est plus une faille — il est la norme. Il ne s'agit plus d'amnésie accidentelle, mais de mémoire programmée, effacée ligne par ligne dans les manuels, les discours et les accords de normalisation. Pendant que les peuples réclament justice, les puissants redessinent les cartes avec la gomme du déni. Le Moyen-Orient devient ainsi une fresque inachevée, retouchée à l'infini par ceux qui refusent d'entendre les voix du fond. Une fresque où les visages disparaissent, où les drames se fondent dans le néant, et où l'histoire elle-même est invitée à faire silence. 5. L'amnésie arabe : entre inertie diplomatique et trahison silencieuse Le monde arabe, jadis berceau de révoltes et d'espérances, semble aujourd'hui figé dans un sommeil moral profond, une paralysie qui frôle l'agonie de son âme collective. Morcelé, divisé, anesthésié par des intérêts contradictoires et un réalisme diplomatique sourd aux cris des peuples, il s'abandonne à l'oubli. Oublier, ne plus se souvenir, ne plus affronter les blessures vives de son histoire, tel est le prix de cette inertie fatale. L'amnésie politique, rampant poison, déforme la réalité : les anciens ennemis se retrouvent sur la même table, complices d'une trahison tacite, et le cri des opprimés devient un murmure inaudible, vite étouffé par les rhétoriques convenues et les slogans creux. La résistance elle-même disparaît des manuels, effacée au profit d'une « coopération régionale » aseptisée, d'accords de sécurité qui se veulent rassurants mais qui sont en réalité des pactes d'oubli. Normalisations et dialogues diplomatiques glissent comme un voile opaque sur les antagonismes non résolus, instaurant une paix factice, fragile et mensongère. Cette amnésie institutionnalisée, véritable oubli forcé, revient à nier les luttes populaires, à fermer la porte aux revendications de justice et de dignité. C'est une négation lente mais implacable des combats qui ont forgé la conscience collective. Joseph Massad l'a souligné avec force dans The Persistence of the Palestinian Question (2006) : les accords d'Oslo ont officialisé ce processus d'effacement, substituant progressivement le langage ardent de la résistance à celui froid du compromis et du réalisme politique. Ainsi, la mémoire palestinienne, cœur battant du conflit, s'est trouvée reléguée au silence, marginalisée dans un théâtre où les projecteurs brillent désormais ailleurs. Cette marginalisation calculée fragilise non seulement la cause palestinienne mais aussi l'ensemble de la conscience arabe, qui se retrouve privée de son fil rouge historique, perdant la capacité de mobiliser autour d'un projet commun de justice et d'émancipation. L'amnésie arabe est une trahison sourde, un oubli complice qui ouvre la voie aux oppresseurs, et où la résignation a remplacé la résistance. La blessure n'est pas seulement politique : elle est existentielle, un désert intérieur où se perdent les voix et les mémoires. Alors, face à ce constat glaçant, une question brûlante s'impose : comment réveiller cette mémoire collective engourdie ? Comment redonner voix aux luttes oubliées, raviver l'espoir et réinsuffler un souffle de solidarité dans une région où les intérêts personnels et la peur semblent avoir verrouillé les cœurs et les discours ? C'est un défi colossal — et une urgence — pour tout acteur conscient que l'oubli est le pire des ennemis, celui qui précipite un peuple vers la nuit la plus profonde. Conclusion : Dans les décombres, la conscience veille encore Ce qui naît aujourd'hui des ruines fumantes de Gaza n'est ni un Etat, ni même une victoire politique, mais un nouvel ordre façonné de cendres et de falsifications — une pièce écrite par les bourreaux eux-mêmes, où les victimes, telles des comédiens maladroits, s'efforcent de quémander leur humanité, et où les peuples arabes, fragmentés et perdus, s'observent mutuellement avec la froide indifférence de chiens de faïence, figés dans une vitrine brisée. Pourtant, l'Histoire, cette vieille rebelle étranglée, muselée, n'en finit pas de respirer. Même sous les décombres, elle s'infiltre, germe dans les fissures invisibles — là où le chaos prétend régner en maître. Les pierres, obstinées, parlent encore. Elles se glissent entre les gravats, chuchotent à travers les ruines, s'infiltrent dans les silences complices, dans les regards d'enfants qui refusent obstinément d'oublier. L'Algérie, hier, fut ce théâtre incandescent. Colonisée par le fer et le feu dès 1830, écrasée sous un siècle de dépossession et de terre brûlée, elle semblait vouée à l'effacement. Mais voilà, dans le ventre aride du désert, une flamme veillait, une braise jamais éteinte. L'émir Abdelkader, El-Mokrani, Bouamama, les Ouled Sidi Cheikh... autant de flammes indomptables que le colonisateur n'a jamais réussi à étouffer.Le 8 mai 1945, ces braises s'embrasèrent dans un incendie de chair et de sang : 45 000 martyrs tombèrent, mais le peuple, lui, ne plia pas. Le 1er novembre 1954, la révolution éclata, brisant le silence, fracturant l'arrogance impériale, et forçant le colonisateur à reculer — valises précipitamment bouclées, fuyard à jamais.Gaza n'est pas morte. La Palestine n'est pas vaincue. Elles saignent, souffrent, mais surtout, elles se souviennent. Ce chaos dévorant, qui semble vouloir les engloutir, pourrait être la matrice d'une aube nouvelle. Car sous chaque pierre dort une graine de liberté, dans chaque ruine sommeille une mémoire, et dans chaque enfant bat une promesse. Un jour, peut-être, de ce désert de mémoire jaillira non pas un déluge, mais un sursaut. Non pas une roquette, mais une parole. Non pas une vengeance, mais une conscience.Et comme l'a prophétisé Abou El Kacem Chebbi, poète des peuples en marche : « Lorsqu'un jour le peuple veut vivre, Force est pour le Destin, de répondre, Force est pour les ténèbres de se dissiper, Force est pour les chaînes de se briser.» Alors, que les puissants continuent d'écrire l'oubli, avec leurs plumes trempées dans l'arrogance — les pierres, elles, n'oublient pas. Elles patientent, silencieuses, accumulant leurs mémoires comme autant de cailloux dans la chaussure de l'histoire.Un jour viendra où même la poussière saura redire le nom de la justice. Car même ensevelie, la vérité respire encore ,et un jour, c'est d'elle que renaîtront les peuples. (Suite et fin…) Par Khelfaoui Benaoumeur-MCA, Université Kasdi Merbah Ouargla Références : . Finkelstein, N. G. (2018). Gaza: An Inquest into Its Martyrdom. University of California Press. . Lind, W. S. (2004). Understanding Fourth Generation War. Military Review. . Massad, J. (2006). The Persistence of the Palestinian Question: Essays on Zionism and the Palestinians. Routledge. . Peters, R. (2006). Blood Borders: How a Better Middle East Would Look. Armed Forces Journal. . Ritter, S. (2018). Dealbreaker: Donald Trump and the Unmaking of the Iran Nuclear Deal. Clarity Press. . Singer, P. W., & Brooking, E. T. (2018). LikeWar: The Weaponization of Social Media. Houghton Mifflin Harcourt. .Abou El Kacem Chebbi. (1934). Si le peuple veut vivre [Poème]. Dans Anthologie de la poésie arabe moderne (Trad. X. Dupont, p. xx). Editions Y.