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Mouloud Mammeri : La dernière traversée d'un juste
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Publié dans El Watan le 29 - 12 - 2017

Chemin Sfindja (ex-Laperlier), El Biar. Mi-février 1989. Les quatre immeubles de l'AéroHabitat, achevés en 1952, cachent une partie de la baie d'Alger.
De ce quartier d'El Biar, il est possible de voir une partie d'Alger-Est et au-delà, les montagnes de Kabylie.
La crinière très blanche, le visage avenant d'un sage, le regard malicieux caché par des lunettes posées sur un nez proéminent, l'homme, septuagénaire très heureux, à de l'allure, malgré un dos légèrement courbé.
Mouloud Mammeri finit par installer ses affaires dans le coffre de sa Peugeot 205. Manteau en alpaga sur le dos, il suit la rue en lacet menant au centre d'Alger. Passé la Moutonnière, il s'engage sur la RN4 vers Blida, et de là pour rejoindre les régions de l'ouest du pays.
Motif de ce voyage : un colloque organisé par la faculté des lettres et sciences humaines de l'université Mohammed 1er d'Oujda, ville de l'Oriental marocain.
Mouloud Mammeri devait être accompagné par une de ses connaissances, employé dans l'édition. Mais son accompagnateur a été subitement terrassé par une crise de sciatique. Il a été décidé que Mammeri fera le voyage par avion jusqu'à Tlemcen, où ses hôtes marocains devaient venir le récupérer à la frontière. «Le billet d'avion a été acheté à l'agence en face de l'hôtel Aletti (Es Safir). Mammeri avait ce billet en poche le jour de départ… C'est Nezha, sa fille, qui devait l'emmener à l'aéroport pour son vol prévu à 11h», raconte son ami qui a souhaité garder l'anonymat.
Prenant de court son beau monde, Mammeri décide finalement de faire le voyage par route malgré les vives protestations de sa femme, Na Aziza, et de sa fille. «Il leur a dit qu'il fait beau et qu'il préfère aller à Oujda en voiture. Pour convaincre sa femme et sa fille, très inquiètes, Mammeri a dû les rassurer qu'il fera des arrêts et qu'il se reposera à Oran où il comptait des amis», poursuit ce proche de la famille.
A ses amis aussi, qui ont essayé de le faire revenir sur sa décision, Mammeri répondra invariablement qu'il connaît bien le trajet et que son véhicule, une 205, est sûr. «Ne vous inquiétez pas pour moi, voyons ! (…)Vous savez bien que je suis immortel», rapportait Assia Djebar, reprenant le témoignage d'une amie commune et collaboratrice, Malika (Le Blanc de l'Algérie, Albin Michel, 1995).
Jeans et baskets de rigueur, Mammeri, 72 ans, aimait conduire. Mais depuis quelque temps, un souci de santé, une hypertension oculaire, le tourmentait. «C'est la pire chose qui puisse m'arriver», se confie-il à un proche qui témoigne de la hantise de Mammeri de ne plus pouvoir lire.
Et d'ajouter : «Cette maladie aurait pu l'empêcher de conduire, de jour comme de nuit avec la lumière vive. Sa fille était très vigilante. Elle a toujours essayé de l'empêcher de prendre le volant. Mais lui n'écoutait personne, il mettait son jeans et ses baskets et démarrait au quart de tour.» Pour ce familier, Mammeri «conduisait comme un rêveur». Un jour, des gendarmes ont voulu lui retirer son permis pour dépassement grave sur la route de Draâ Ben Khedda (Tizi Ouzou). «Il n'a pas voulu que je m'interpose en leur disant qu'ils ont affaire au grand Mammeri. Dda Lmuloud savait qu'il avait mal négocié ce virage.»
Les derniers mois de sa vie dans une Algérie qui connaissait les soubresauts des événements d'Octobre, l'occasion s'offrait à ce voyageur patenté de parcourir de longues distances dans des régions parfois aux antipodes (Oranie, Alger, la Kabylie…).
Il se rendait à ces manifestations dans sa 205 ou dans la R4 d'un de ses proches. «On se retrouvait à trois ou quatre, lui, moi, Tahar Djaout et parfois Rachid Mimouni, qui venaient, les deux, de publier des textes remarqués chez Laphomic, premier éditeur privé qui venait d'être autorisé par le ministère de la Culture», signale ce familier.
A Aïn El Hammam (Tizi Ouzou), fin décembre, l'auteur a été l'invité d'honneur de la première activité de l'association Si Mohand U M'hand que venait de fonder le chanteur Lounis Aït Menguellet. «Dans la salle de spectacle de la ville, bondée, le public n'avait d'yeux que pour Dda Lmulud, comme me l'a fait remarquer Lounis. La joie de Dda Lmulud était immense quand l'association lui a offert un burnous», raconte celui qui a accompagné l'écrivain dans sa virée en Haute-Kabylie.
La revanche d'un Amusnaw
Invité par ses hôtes à passer la nuit au village Ighil Bouamas, chez son ami Lounis, Mammeri a préféré prendre la route. «Il était 23h ou minuit, je ne me rappelle pas exactement, quand nous avions repris la route d'Alger (160 km, ndlr), malgré un temps capricieux. Mammeri n'aimait pas déranger», poursuit-il. Fin décembre 1988, à l'USTHB (Bab Ezzouar), les jeunes étudiants, réunis au village universitaire, se souviendront toujours de sa docte présentation de la poésie kabyle ancienne.
Début janvier 1989, à Béjaïa, «seul le stade fut suffisant pour les milliers de gens venus entendre sa conférence sur la culture berbère», rappelle, très émue, Assia Djebar qui raconte sa rencontre avec Mammeri, fin décembre, dans le quartier Laperlier, qui a été aussi celui de son père.
Celle qui sera élue plus tard à l'Académie française a fait un constat juste : les dernières cinq ou six années de sa vie, l'homme «choyé des dieux» avait rejoint définitivement sa jeunesse d'autrefois, ou celle qu'il méritait tant.
Insistant, lui aussi, sur l'«endurance physique» de celui qui a choisi une «voiture de jeune homme», Djaout, qui lui a adressé une lettre posthume publiée par Awal, garde un souvenir ému de ses derniers jours de compagnonnage avec l'amusnaw : «Sois rassuré, Da Lmulud, la dernière image que je garderai de toi ce n'est pas celle, émouvante, du mort accidenté que j'ai vu, mais celle de ce jeudi 16 février où nous nous étions retrouvés avec d'autres amis à Ighil Bwamas pour discuter du tournage d'un film. Tu étais élégant et alerte comme toujours, en tennis.
Tu étais le premier au rendez-vous. Tu nous plaisantais sur notre retard, disant que tu croyais te tromper de jour. Tu étais aussi le premier à repartir, toujours disponible et toujours pressé.»
Mammeri n'a pas cessé de produire durant sa dernière décennie de vie. Après son départ à la retraite du Crape (CNRPH), il publie Poème kabyles anciens (1980). C'est l'interdiction de sa conférence à Tizi Ouzou sur cet essai qui est à l'origine des événements du Printemps berbère.
En 1982, il fonde à Paris le Centre d'études et de recherches amazighes (Ceram) et la revue Awal, tout en animant un séminaire sur la langue et la littérature amazighes à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Avec le journaliste d'Algérie-Actualité, Tahar Djaout, il réalise des entretiens publiés chez l'éditeur privé algérois, Laphomic. Une partie des échanges enregistrés sur cassettes audio s'est déroulée, durant toute l'année 1986, à Alger, au siège de l'éditeur à la rue Si El Haouès (Alger-Centre), ou encore en France.
Grâce au responsable de l'organe de l'Amicale des Algériens en Europe, Actualité de l'Emigration, son proche ami Abdelkader Djeghloul, Djaout a réussi à obtenir une bourse à l'Institut français de presse de Paris et a ainsi pu se consacrer à son entretien. Lieux de rencontre avec son aîné : café Le Petit Cluny, boulevard Saint-Michel, point de chute de l'intelligentsia parisienne. «C'est dans ce café réputé que Mammeri donnait rendez-vous quand il descendait à Paris.
Et c'est d'ailleurs là au premier étage que se poursuivaient ses entretiens à bâtons rompus avec le jeune Djaout», révèle un des intercesseurs entre les deux auteurs complices, et qui dirigea l'autre recueil d'entretiens publié par le même éditeur Gafaiti Hafid, (Kateb Yacine, un homme, une œuvre, un pays, 1986).
Mammeri connaissait-il une «revanche» ? A celle qu'il a connue au Maroc, où il s'est replié après la Bataille d'Alger —les paras était venus le chercher chez lui— il dira qu'il «accompagnait une reviviscence». Celle qu'il a lui-même suscitée par son engagement désintéressé en faveur de la langue et la culture berbères.
Selon des témoignages, Mammeri, qui se définissait lui-même comme apolitique, s'est longuement interrogé sur la situation politique du pays (Octobre et ses conséquences politiques en ce début d'année 1989, le mouvement berbère, la Constituion qui sera adoptée le 23 février).
«ça ne se sent pas bon», dira-t-il, inquiet, à ses fidèles amis, à qui il a rendu compte de la teneur des échanges qu'il a eus à Paris avec le leader du FFS en exil, Hocine Aït Ahmed.
A la veille de la préparation des assises du Mouvement culturel berbère (MCB) (9 et 10 février), des militants l'ont approché. Mais ils déchanteront, puisque le vieux sage a décidé de ne pas assister à ces rencontres.
Des animateurs fougueux n'ont pas apprécié et le lui ont fait savoir. «Un des meneurs le lui avait reproché au téléphone avec des mots durs, comme me l'a raconté, plus tard, sa femme, très affectée par cet épisode», s'offusque un familier des Mammeri. C'est après une rencontre à L'Alhambra, un café à Alger-Centre, que deux militants se sont rendus chez Mammeri à El Biar. «Il finira finalement par envoyer un texte lu par Mokrane Aït Larbi, si mes souvenirs sont bons», poursuit-il.
Mort tragique
Quelques jours après cet événement important de l'histoire du mouvement culturel, Mammeri est invité pour un colloque sur la culture amazighe à l'université d'Oujda. Les relations algéro-marocaines s'étaient réchauffées, et donc la frontière est ouverte.
Avant les grands projets autoroutiers, l'ancien itinéraire suivi par les voyageurs qui partent vers l'ouest du pays est le même. D'abord la RN4 : Alger-Mouzaia-El Khemis-Ain Defla-Chlef-Oued Rhiou-Mohammadia-Sig-Oued Tlelat-Oran. Ensuite, la RN2 : Oran-Tlemcen. Arrivée à Maghnia et passage par le poste-frontalier vers Oujda, la plus algérienne des villes du Maroc.
Mammeri a dû, selon des témoignages, faire escale à Oran, après au moins sept heures de route. Il poursuivra le lendemain son bonhomme de chemin vers Tlemcen et de là vers Oudja, où il sera logé, avec d'autres participants, dans un hôtel de la ville.
Avec sa conférence intitulée : «Faut-il écrire spécifique ?» (publiée par l'association Tala dans Culture savante, culture vécue, 1991), Mammeri fera un constat : «Depuis le temps que l'on parle de nous sans nous, c'est-à-dire en nous ignorant !» L'écrivain était confronté à ce jugement, dès ses premières années au Maroc, au lycée Gouraud de Rabat, où l'adolescent d'Ath Yenni est accueilli par son oncle,
Si Lounès, précepteur du futur roi Mohammed V. L'amusnaw s'interroge, dans sa conférence, sur l'écriture, les avantages de la spécificité et de l'universalité. Il évoquera, aussi, la fermeture de «bab al ijtihad».
«En verrouillant les issues, on est du moins sûr que l'on sera entre soi, soit sans mélange, sûr que l'air du large ne viendra pas perturber l'île préservée de ce par quoi nous nous distinguons sans recours de tous les autres», constate-il perspicace. Une photo publiée par le journal marocain, Le Matin du Sahara, à qui il accorda son dernier entretien (consultable sur le Net), le montre le regard déterminé, la main malmenant un stylo à bille…
Parmi les invités du colloque, Amin Zaoui, auteur et présentateur de l'émission culturelle Aqwass, racontera dans une chronique (Liberté) et un recueil de contribution qu'il a coordonné (L'Eternel Mammeri, éd. Tafat), sa première et dernière rencontre avec celui qu'il qualifiera de visionnaire. Pour Zaoui, la brillante communication de Mammeri a suscité un grand débat politico-culturel, entre les universitaires maghrébins, sur le droit à la culture amazighe, sur le combat pour l'indépendance…
En marge du colloque, les deux compatriotes étaient invités à une émission radiophonique sur la littérature de l'oralité, produite et diffusée par la station de la radio régionale d'Oujda. «Sur les ondes, Mouloud Mammeri a évoqué son parcours d'écrivain romancier, mais aussi de chercheur en anthropologie culturelle. Il était habité par l'histoire.
Et parce que l'animateur de l'émission ne parlait que l'arabe, avec plaisir et honneur, j'ai traduit, en direct, les propos de Mouloud Mammeri», témoigne encore l'ancien directeur de la Bibliothèque nationale d'Algérie.
Mammeri réalisa, deux jours avant son départ, un entretien avec un journaliste du Matin du Sahara (12 mars 1989). Celui-ci raconte : «Après avoir réalisé pour les lecteurs de Magazine cet entretien, je lui ai demandé de me donner son stylo afin d'écrire son adresse. J'ai écrit le nom et le prénom, mais je n'ai pas pu continuer, car il n'y avait plus d'encre dans le stylo. Alors je lui ai dit : ‘‘Il n'y a plus d'encre dans votre stylo.'' Il m'a répondu : ‘‘Peut-être qu'il est mort !'' Et ça a été un motif pour rire et échanger des anecdotes sur les stylos.
24 heures après... La mort tragique l'attendait au tournant ! Et durant son séjour à Oujda, il disait qu'il avait un rendez-vous et qu'il ne pouvait pas rester parmi nous au-delà du samedi. Avec qui avait-il ce rendez-vous ? Il ne le dit pas. C'était peut-être avec la mort !»
Le matin de son départ, Mammeri et Zaoui prenaient leur petit-déjeuner ensemble à la terrasse de leur hôtel. Pour son confident du jour, Mammeri devait passer la nuit du 25 au 26 février à Tlemcen. Son ami qui a été retenu par la maladie détaille : «Mammeri a appelé chez lui pour dire de ne pas l'attendre à cause du mauvais temps. Il avait décidé de passer la nuit à Oran. Il a même pris le soin de préciser à ses proches qu'il descend au Grand Hôtel situé en face de la Grande-Poste.» Il n'en sera pas ainsi, puisque Mammeri décide de prendre la route à 21h.
Selon ce confident de la famille, c'est donc le matin du 26 que l'accident de la route se produisit : «C'est vers 4 ou 5h que les gendarmes ont pu l'identifier, ses papiers portaient le nom de Mohamed Mammeri. Ils ont appelé vers 7h la famille pour l'informer.»
El Watan a publié le 11 avril 2005 un témoignage inédit. Son auteur, l'écrivain Djilali Khellas, natif de Aïn Defla, où trouvera la mort l'écrivain : «Il était 23h et quelques minutes de cette nuit du 26 février 1989, quand Mouloud Mammeri sortit de la ville de Aïn Defla. Il amorçait, avec sa 205, un virage dangereux.
La nuit était opaque. Aucun clair de lune. Soudain, il voit un camion en stationnement, feux éteints, sans triangle de panne, voulant l'éviter, Mouloud Mammeri donne un coup de volant à gauche. Malheur, les phares d'une voiture qui arrive à toute vitesse en sens inverse l'aveuglent, l'obligent à donner un autre coup de volant, toujours à gauche.
Catastrophe, la 205 tombe dans un ravin et s'immobilise en s'écrasant sur un tronc d'arbre.» Pour Khellas, le chauffeur du camion s'est présenté de lui-même aux gendarmes et a raconté tous ces faits. C'est un pédiatre, Amar Khris, chef du service pédiatrie de l'hôpital de Ain Defla, qui a reconnu la victime. Mme Djebar donne une version presque similaire, mais avec d'autres détails : «Il est environ 11h du soir ; il pleut très fort.
Un taxi 504 le suit, d'assez près. Les deux voitures roulent ainsi environ une dizaine de kilomètres. A un tournant, Mammeri est surpris par la signalisation d'un camion en stationnement. Il freine brutalement ; le taxi qui vient à son tour de tourner percute la 205 : la voiture de Mammeri déportée vers la droite, continue sa course droit sur un arbre, en contrebas.»
Reconnu par sa femme et sa fille, venues à la morgue de Ain Defla, le corps est transféré à son domicile à la rue Sfindja. La nouvelle est diffusée juste après.
A la Télévision publique, un texte laconique annonce la mort de l'écrivain et chercheur. Mais sans image. «La télévision de ton pays n'avait aucun document à nous montrer sur toi : elle ne t'avait jamais filmé, elle ne t'avait jamais donné la parole», s'est offusqué Djaout dans sa lettre.
Des versions parlent d'assassinat de l'auteur et chercheur. «C'est farfelu comme thèse, vu qu'à l'aller, du moins, rien ne le permet de le penser», signale un proche. «L'idée a fait son chemin parce que les gens n'ont pas confiance en leur Etat. C'est toujours le malaise social, politique qui fait que toute mort est suspecte», estime un militant berbériste.
Mammeri avait des projets qu'une mort «bête», comme le rappelle Khellas, avait freinés : il devait donner une conférence au colloque international sur l'oralité africaine, CNEH (12-15 mars), il était invité pour des ventes-dédicaces de ses livres, particulièrement le dernier publié chez Laphomic.
Les obsèques de l'immense Mammeri, le 28 février, chez lui à Taourit Mimoun, étaient exceptionnelles. Comme le défunt. Au moins 200 000 personnes ont suivi la procession funéraire. «Je le répète et je le crois fermement : il fut un choyé des dieux», soutient à raison Mme Djebar.


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