Lorsque le cinéaste Jacques Tourneur (1904-1977) tourne La bataille de Marathon, en 1959, il est auréolé de son statut de maître incontesté du genre fantastique. Dans ce registre, son film La féline (1941) est considéré, de nos jours encore, comme un chef-d'œuvre. Fils du réalisateur français Maurice Tourneur, Jacques Tourneur a essentiellement vécu en Amérique et fait sa carrière cinématographique à Hollywood où ses qualités lui valent la confiance des studios. Avec La bataille de Marathon, Jacques Tourneur prend tout le monde, y compris ses admirateurs les plus résolus, à contre-pied. Ce film, diffusé sur Arte, est en effet un peplum dont l'action, située en 490 avant J.-C., est aux antipodes de la touche intimiste très personnelle du cinéaste. La bataille de Marathon est un film d'autant plus dédié à l'action que la vedette y est tenue par Steve Reeves, qui popularisera à l'écran la figure légendaire d'Hercule. Dans La bataille de Marathon, Steve Reeves incarne le personnage de Philipides, un athlète qui, de retour des Jeux olympiques où il a triomphé, est nommé chef de la garde sacrée d'Athènes. C'est à ce moment que le général perse Darius arrive aux portes d'Athènes qu'il s'apprête à soumettre. Le sort d'Athènes se jouera donc à Marathon, lors d'une bataille qui entrera dans l'histoire. Lorsque les Grecs eurent la certitude que le sort des armes leur était favorable, ils envoyèrent un messager pour annoncer la bonne nouvelle à Athènes. Après une course de 42 km, le messager meurt d'épuisement. Cette fin tragique peut paraître invraisemblable tant la distance parcourue par ce messager est entrée dans les habitudes des sportifs de haut niveau que des coureurs ordinaires. L'énigme reste entière sur les causes de la mort de ce messager dont l'identité n'a pas été percée. C'était probablement l'un des protagonistes de la bataille contre les Perses et la question se pose de savoir s'il n'était pas déjà diminué physiquement en entamant sa course. Ce messager est vraisemblablement mort d'épuisement. Le marathon s'est couru par la suite à plusieurs — des centaines, voire des milliers de concurrents — et il symbolise dans le sens commun la confrontation avec une épreuve qui s'inscrit dans la durée et l'espace : 42 km n'est pas une distance de tout repos. Mais ce n'est pas le sacrifice de ce coureur solitaire que Jacques Tourneur a réellement voulu immortaliser. Il a plutôt exalté la farouche résistance d'Athènes à l'impérialisme perse de l'époque, car Darius arrivait en conquérant. Par inévitable association d'idées, La bataille de Marathon est attachée à La bataille des Thermopyles qui avait eu lieu en 480 avant J.-C. et avait opposé le roi de Sparte, Leonidas, au général perse Xerses. Le cinéaste hollywoodien Rudolf Maté (1898-1964) avait consacré un film, en 1962, à La bataille des Thermopyles, avec Richard Egan dans le rôle principal. Le titre original du film était The 300 Spartans. L'histoire étant un éternel recommencement, surtout au cinéma, on retrouve ce roi Leonidas dans 300, le peplum à très grand succès que le réalisateur Zak Snyder vient de réaliser d'après la BD de Frank Miller. L'éloge aux Spartiates est d'ailleurs tout aussi présent dans le film de Jacques Tourneur qui les dépeint comme l'allié qui renverse le sort de la bataille contre Darius et ses milliers de soldats. Ce sont des films qui ne sont pas sans liens, également, avec l'actualité et c'est encore plus vérifiable pour le 300 de Zak Snyder qui a cette particularité de sortir sur les écrans, alors les Américains présentent l'Iran comme un danger pour l'humanité. Le lien commun entre La bataille de Marathon, La bataille des Thermopyles et 300 est la défaite de l'envahisseur perse. Il s'agit d'œuvres de propagande à très grand spectacle où s'exprime un point de vue européen qui, par ailleurs, trouvera justifié et grandiose l'impérialisme grec avec Alexandre le Grand. Sur ce point, il serait naïf de croire que l'écriture de l'histoire, même au cinéma, est dénuée d'arrière-pensées.
