C'est en Mésopotamie que l'on a retrouvé le premier alphabet, vieux de 6 000 ans. C'est avec l'écriture que s'achève la préhistoire et que commence l'histoire. On peut donc considérer que l'histoire de l'humanité a commencé en terre d'Irak. Et c'est encore sur cette terre que se commet le plus grand pillage de patrimoine des temps modernes. Au regard de l'effroyable hécatombe humaine, vies arrachées, destins brisés, familles émiettées, on se demandera quelle valeur peuvent avoir des pièces archéologiques ? Faut-il pourtant qu'à tant de malheurs, s'ajoute celui de la perte de trésors qui portent en eux l'âme d'un pays au passé extraordinaire, fierté justifiée de son peuple et offrande à tous les autres ? La semaine dernière, des responsables irakiens du patrimoine sont allés au siège de l'Unesco à Paris clamer leur désespoir. C'est que, depuis le sac du prestigieux musée de Baghdad, sous l'œil complice de l'armée américaine entrant dans la ville, non seulement l'horrible dépouillement n'a pas cessé, mais il a empiré. Des réseaux puissants, secrets, entraînés, parfaitement renseignés, disposant de stratèges, de nervis, de complices, de moyens de transport et de ramifications internationales perpétuent cette razzia planétaire. Des trésors d'Hammourabi à ceux d'Haroun El Rachid, rien n'est épargné par ces croque-morts de l'histoire. Ainsi, les marchands d'armes ont-ils creusé le lit des marchands d'art, du moins les véreux d'entre eux. Douze mille sites archéologiques demeurent quasiment sans surveillance, si ce n'est une force de 1 400 hommes que l'Unesco a aidé à constituer. Mais dans le chaos, elle se trouve bien démunie. Cela sans compter, dixit Amira Idan, directrice irakienne des Antiquités, les dégâts immenses résultant par exemple de l'installation d'une base militaire sur le site-même de Babylone ! La liste rouge dressée par Interpol s'arrête aux objets volés en 2003 pendant que, sur Internet, sans crainte de représailles, d'innombrables pièces irakiennes sont mises en vente. Alger s'apprête à accueillir un Congrès extraordinaire des ministres arabes de la Culture (25 et 26 nov.). Pourraient-ils, non pas déplorer, regretter, dénoncer, espérer, envisager, mais exiger avec clarté et vigueur, et actions concrètes à l'appui (comme l'a proposé la directrice adjointe de l'Unesco Mme Rivière), un moratoire international sur le commerce de tous les objets en provenance d'Irak ? Si l'histoire a commencé dans ce pays avec l'alphabet cunéiforme, notre époque, elle, ressemble furieusement à une préhistoire du troisième millénaire. L'Age de la pierre volée, commencé avec la période coloniale, atteint son apogée !
