Après Chérif Kortebi, c'est un autre nom de la musique algérienne qui vient de disparaître. Haroun Errachid était aussi un militant de la cause nationale. Dans notre pays, nombre d'artistes ne se sont pas contentés de composer ou de peindre. Leurs actes furent pas ceux de dilettantes mais de citoyens engagés corps et âme dans un combat collectif. Ils ont connu aussi à l'instar de Rouiched, de Habib Redha ou d'Akli Yahiatene les affres de l'emprisonnement. Arrêté en 1957 par les paras, Haroun Errachid co-compositeur de Qassaman séjournera ainsi dans divers camps de détention notamment ceux de Sidi Chahmi, Paul Cazelles et Bossuet. Ces hommes qui ont su chanter la révolution font partie de la mémoire intime du pays. On ne saurait réduire l'histoire d'une nation aux faits d'armes de ses combattants ou aux exploits de ses diplomates. Le FLN n'avait-il pas mis en place une équipe de football et une troupe artistique pour porter loin son message et répercuter son message ? C'est dans une geôle de Barberousse que fut rédigé Qassaman par Moufdi Zakaria. La résistance, le refus de l'ordre colonial ont aussi le terrain de la culture. Ils ont revêtu la forme de pièces théâtrales, de poèmes et de chants. «A yemma Azizen» de Farid Ali dit mieux que tout discours les rêves de la patrie blessé et ligoté. Montrer que l'Algérien s'habillait, dansait et chantait différemment des Français était une preuve qu'un peuple existait. Force hélas est de constater que cette mémoire n'a pas été totalement préservée. A l'exception de Bachtarzi, Mohamed Hilmi et Rouiched, rares sont ceux qui ont rédigé leurs mémoires et légué leurs souvenirs aux nouvelles générations. Pourtant, connaître la vie des artistes, le contexte de leurs compositions est aussi une manière de connaître et d'interroger l'histoire. De nos jours, la mémoire n'est plus celle qui est liée aux faits et gestes des puissants, des princes mais s'abreuvent aux récits de vies, aux expressions du cœur. On a même recours dans des nations développées à la bande dessinée, une autre voie plaisante et moins rebutante de se plonger dans le passé. Certes, ces dernières années, beaucoup de chercheurs à l'image de Mehenna Mahfoufi, Malha Benbrahim Bendameche ou Nacib ont publié des travaux de recherches sur ce patrimoine culturel. S'il n'est pas fixé et valorisé, la voie est largement ouverte à l'aliénation des plus jeunes. Parions que dans quelques années, ils retiendront davantage le nom du calife abbasside Haroun Errachid que celui du musicien qui s'est sacrifié aussi pour sa patrie. On veut happer les dernières paroles. La mémoire en effet ne saurait se délester de témoignages qui ont à la fois une valeur esthétique et historique.