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« On ne choisit pas son écriture »
Rachid Mokhtari, écrivain
Publié dans Horizons le 10 - 06 - 2013

On a l'impression, en lisant votre roman, qu'il s'agit d'une autobiographie. Le personnage principal est journaliste. Vous l'êtes, vous aussi. Certaines abréviations de noms de rédacteur de presse qui ont travaillé sous votre responsabilité dans un quotidien national, aujourd'hui disparu, font penser à une œuvre autobiographique. L'écrivain et son personnage ne sont-ils pas identiques ?
L'écrivain est le créateur de ses personnages qui souvent lui échappent. Entre le narrataire et le ou les narrateurs, il n'y a pas à mon sens d'identification formelle ou esthétique dans une œuvre romanesque. A moins qu'il ne s'agisse de mémoires où il n'y a que l'auteur en tant que sujet et objet. Dans mes romans, je dirais même qu'il y a confusion, télescopage, inversion de rôles. Dans « l'Amante », ce ne sont que des voix, des instances d'outre-tombe qui se déploient à la fois dans l'univers poétique et dans l'espace de leurs propres histoires adossées à l'Histoire collective. Je casse ainsi les codes classiques de l'énonciation qui se sont longtemps suffi d'un méta personnage narratif à souhait, dont la parole prophétique gouverne l'espace fictionnel en même temps que la trame n'a aucun motif original. Depuis « Elégie du froid », j'opte pour ce qu'on appelle des « déictiques », le couple « je-tu » qui est unique car irremplaçable et n'appartenant ni à l'auteur ni même à la réalité nominative des personnages. Mais qu'est-ce qu'un personnage ? Dans « Mauvais sang », ce qui semble au lecteur être le même personnage est en fait une pluralité d'acteurs. Nous y trouvons « Zohra, la maquisarde », « Zohra, la petite fille... », « Zohra, l'adolescente... », « Zohra, la serveuse... »... qui s'énoncent dans l'espace textuel de manière éclatée. La petite Zohra se signale d'abord par de petites phrases mises en italique dans un environnement syntaxique qui lui est étranger puis, à mesure de l'évolution du roman, les phrases grossissent comme un fleuve impétueux. Dieu et sa Création sont-ils identiques ? Aucune chose, aucun être n'est identique à un autre, même les jumeaux, hormis un physique trompeur. C'est sans doute la raison pour laquelle le clonage des manipulations génétiques s'est avéré vain car monstrueux. A fortiori, dans la création artistique. Pour ce qui relève de l'autobiographie, celle-ci n'est qu'une chimère. Le romancier, en tant que producteur d'émotion, utilise bien sûr sa sensibilité, son imaginaire, son affect mais il n'en est pas propriétaire. Il travaille sur une matière humaine dont il est. S'il y a des biographes, il n'y a pas d'autobiographes. Le concept d'« œuvre autofictionnelle » a été avancé. Mais il reste tout aussi flou. L'« auto » a des connotations automatiques. Or, tout écrivain, romancier, artiste, peintre, poète, même s'il écrit « en » soi, « sur » soi ou sur les autres qui lui ressemblent, ne fait jamais œuvre autobiographique. Mais, la dimension autobiographique rassure surtout le lecteur qui veut échapper à l'emprise du miroir. Qui ne se regarde pas dans un miroir, ne succombe pas à Narcisse. Mais le « je est un autre », dit Rimbaud.
Le journaliste qui se réfugie dans son enfance, faite de douleur et de privation, au gré des réminiscences et de voyages mnémoniques, ne fuit-il pas une réalité insupportable pour habiter un territoire accueillant, hospitalier, dut-il être chimérique ?
Deux écritures se donnent leurs mots, leurs syntaxes et leurs ponctuations dans « Mauvais sang ». L'une froide, raide, datée, minutée ; l'autre, élégiaque, craintive, évocatrice et, peut-être, introvertie. Pourtant ce sont deux faces de la même tragédie. Elles se télescopent, reviennent en boucle. Elles appartiennent à un même monde et n'ont pas de frontières, sinon graphiques, dans l'espace romanesque. Face à cette « graphie de l'horreur » pour laquelle le personnage-journaliste prend toutes les précautions lexicales et sémantiques, il n'a aucune échappatoire puisque les monstres qui viennent chaque nuit dans son bureau surveiller ce qu'il écrit sur eux ou d'eux, les klebs errants, les baâouch millepattes, les Minotaures, le tiennent en quelque sorte entre leurs griffes. Il convoque plutôt un univers d'enfance tout aussi pollué, englué dans les guerres qui deviennent des référents idoines de l'héroïsme, de la traîtrise. Aucun territoire ne lui est accueillant, réconfortant. C'est un être de guerres, fait de guerres. De toutes les guerres contemporaines. Le territoire appartient aux bêtes qui le marquent et le défendent bec et crocs, à la mort. Or, l'humain n'a pas de territoires primitifs. Le seul espace qui peut le sauver est le non-territoire, celui de la pensée et de la création. C'est pourquoi, tout homme est dans l'enfant car il croit sauver sa peau, trouver réconfort dans une enfance démiurgique et idyllique. Echapper à la mort aussi. Le personnage du journaliste qui va de nuit en nuit, de massacres en massacres, livre bataille avec les fantômes de son enfance et ceux des bêtes venues du fond des âges ensauvager cette quête d'enfance. C'est sans doute la raison pour laquelle il devient lui-même un fantôme qui se démultiplie et s'énonce dans une pluralité déroutante de « sujets » énonciateurs. Il est « je », « tu », « il », « l'enfant ». En tout cas, il n'est pas nommé. Cette absence de nomination est en quelque sorte une blessure, peut-être un masque, un bouclier à son propre « mauvais sang » mais aussi à ce mauvais sang qui coule, celui des victimes innocentes car, bon sang, ce n'est pas ce sang-là qui aurait dû couler sur les lieux nommés dans les dépêches d'agence. Il rêve alors d'invincibilité, de prouesses technologiques pour châtier le méchant. Il s'invente un « Manuscrit », celui de 007, James Bond, le beau, le séducteur, l'agent secret campé, dans l'histoire du cinéma, par plusieurs acteurs au fil de sa longévité de jeunesse et d'idole indémodable. Un 007 de la presse ? Un James Bond de l'enfance à Imaqar ? Un avatar de lui-même ?
Dans « Mauvais sang », l'impression qu'on a, d'emblée, est que l'écrivain règle ses comptes avec le journaliste. Est-ce vrai ?
Il est courant d'opposer l'écrivain et le journaliste. Pourtant, dans l'histoire, les écrivains sont souvent des journalistes de métier. En Algérie, n'oublions pas que Dib, Kateb, Camus, Djaout, ont fait carrière de journaliste. Dans l'écrivain, il y a toujours le journaliste et vice-versa. Le journaliste vit de son écriture alors que l'écrivain peine à vivre de ses livres. Cela dit, dans « Mauvais sang », il n'y a pas de personnage « écrivain », de « scribe » qui s'oppose, s'escrime avec le journaliste. Mais y a-t-il vraiment un personnage « journaliste » ? Il ne s'énonce d'ailleurs pas comme tel. C'est vrai, tout l'environnement de cette écriture froide, nocturne, stressante et automatique rappelle sur bien des aspects les heures de bouclage de tous les quotidiens du monde. Dans « Mauvais sang », ce personnage règle ses comptes avec lui-même. Peut-être, me connaissant, vous y trouvez trace de cette dualité que vous relevez. Oui, d'ailleurs, l'écrivain, le romancier plutôt qui est dans l'Avènement se refuse souvent à l'Evénement. Mais, l'histoire nous apprend que c'est plutôt par l'Evénement que l'Avènement naît. Dans les romans de Tahar Djaout coexistent les deux. Disons qu'ils sont faits de la même pâte, celle de l'écriture. Mon personnage en mesure la difficulté, celle de ne pas succomber à l'émoi, au ressenti, à la pitié ou à l'indignation quand les nouvelles de massacres de populations tombent du fax ou dites au téléphone. Il doit garder la tête froide, être impassible. Il doit écrire, mettre les mots qu'il faut, chercher la même tournure syntaxique, un titre choc. Il est dans la peau d'un écrivain sans en avoir le temps. Il ne peut échapper à sa propre vampirisation.
Ce roman s'inscrit-il dans le registre de la littérature dite de l'urgence ou fait-il partie du nouveau souffle de la littérature algérienne ?
Il s'inscrit dans mon univers romanesque. « Mauvais sang » continue la quête des origines depuis « Elégie du froid », « Imaqar », « L'amante ». Mes romans et davantage « Mauvais sang » sont leurs propres paysages. Ils ont pour lieu fictionnel Imaqar, un méta-personnage au cœur des tragédies intimes ou collectives. Leur paysage commun n'est pas un décor, une extériorité physique. Ce paysage est, osons le mot, « nervalien ». Il est toujours construit, rêvé, fantasmé ou inventé à partir d'une intériorité, d'un esprit, d'une sensation fugace. Je ne décris pas le physique de mes personnages ni les lieux, si tant ils en ont, où ils vivent. Ce sont des êtres insaisissables, des voix, des instances vocales, même si, parfois, ils sont de proximité avec les drames de leurs histoires et de l'Histoire. « Mauvais sang » est fait de plusieurs paysages. A chaque lecteur de choisir le sien. Celui qui le conforte, nourrit ses rêves, enjolive ou amenuise ses rêves. « Mauvais sang » est un roman de la polyphonie orchestrale. Alors même que la musique pourrait faire croire à l'écoulement d'une eau tranquille, la voilà qui s'emballe, s'enfièvre, comme dans un orchestre de jazz. Cela pour vous dire que « littérature de l'urgence » ou de « nouveau souffle » (titre d'un de mes essais sur la littérature algérienne) relève de la critique littéraire et non du romancier. Tout acte d'écrire, qu'il soit journalistique ou romanesque, relève de l'urgence de dire. La naissance de l'écriture a été pour les primitifs un acte rupestre urgent car ils prirent sans doute conscience que le temps n'accorde aucun délai et que personne n'échappe à l'attraction terrestre. Le jour où la Terre cessera de nous attirer vers ses tréfonds, alors, quelle urgence y a-t-il à écrire ? Le concept d'« écriture de l'urgence » a fait florès depuis les années 1990. J'y ai consacré un essai « La graphie de l'Horreur » épuisé aujourd'hui. Les romans de ces vingt dernières années observent une proximité événementielle avec cette tragédie. Mais, nous soupçonnons aujourd'hui que derrière ce concept se cache une velléité de taire ou de faire taire cette tragédie, de la gommer de l'espace romanesque au nom du pardon et de la réconciliation nationale. Il est curieux de constater que le romancier est parfois plus « engagé » que le journaliste sur la dénonciation du drame de « la décennie noire » ou rouge.
Le style journalistique est omniprésent dans vos romans. Certaines phrases sont réduites à leurs éléments essentiels. Cela est-il dû à votre longue carrière de journaliste, à « une blessure syntaxique » comme vous l'avez dit à propos de « Le Dernier été de la raison » ou s'agit-il d'un choix d'écriture ?
Qu'est-ce qu'un « style journalistique » ? Le journalisme a-t-il un style, est-il stylé ? Un journaliste de l'information n'a pas la même écriture qu'un chroniqueur ou un reporter, voire un enquêteur d'investigation. Les métiers de journaliste sont multiples et ne peuvent se partager un « style » comme vous dites, uniforme. Je pense que c'est une vue de l'esprit. Les phrases d'un journaliste ne sont pas plus ou moins bien construites, brèves ou longues, que celles d'un romancier. Ce sont les codes qui sont différents. Souvent même, chez le journaliste se décèle dans ses écrits une dimension poétique que n'a pas le romancier. Le sujet est complexe, trop complexe pour l'aborder ici en noir et blanc. Oui, j'ai une longue carrière de journaliste mais je ne suis pas journaliste au sens professionnel du terme. Mon métier, c'est la pédagogie et la didactique, la formation des enseignants. Mais, c'est une autre histoire. C'est dire que mon personnage dans « Mauvais sang » n'est peut-être pas un journaliste car, en définitive, il jette un regard critique sur le journalisme à un moment tragique de son histoire. Dans « Mauvais sang », le seul article qu'il a eu à écrire, c'est une note de lecture du roman « Si diable veut » de Mohamed Dib qui n'a pas été publié par manque d'espace. La page « culturelle » a été supprimée à la dernière minute face à l'afflux des nouvelles de l'horreur qu'apportent, tard, dans la nuit, les monstres des ténèbres, les klebs, klebards errants et autres bêtes de leur engeance. Vous faites bien de me rappeler cette « blessure syntaxique ». Notre syntaxe est sanguinolente. Elle a le mauvais sang dans ses mots et sa graphie. Il n'y a pas de choix d'écriture. J'écris sur une musique, un rythme mais pas dans le grammatical. Car, dès lors qu'il y a un choix, c'est faussé. On ne choisit pas son écriture. Elle est chair et sang.


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