La méthode est rodée et désormais éprouvée. Sitôt en retraite, beaucoup de ceux qui occupaient des responsabilités dans l'appareil de l'Etat se mettent à l'écriture de leurs mémoires. Mourad Benachenhou, ancien ministre de l'Economie, déjà auteur de plusieurs ouvrages, a cédé, à son tour, à cette manie utile. Paradoxalement, il décoche des piques à l'endroit des tenants d'une ligne idéologique qui, dans un passé récent, avaient imposé un monopole d'ordre politique sur l'écriture de l'histoire. Pis, cette occultation au niveau de l'enseignement a désincarné des faits, des hommes. L'auteur, dès les premières lignes, ne manque pas d'ailleurs de rappeler qu'à l'exemple de ceux qui ont livré des témoignages vivants, « ces derniers serviront aux professionnels de la recherche scientifique, guidés par des méthodes scientifiques rigoureuses ». Il vient de publier ses mémoires (*) qui s'arrêtent brutalement à l'année 1958, quand après une année dans les maquis de la Zone 2 de la Wilaya V (Oranie), il est retourné au Maroc. Il ne s'étale pas sur ses activités évoquant juste dans les dernières pages « d'autres combats, tout aussi périlleux » (P.143). Le livre vaut surtout par l'évocation de l'histoire de sa famille et de ses années de scolarité dans le royaume chérifien où le père de l'auteur s'établira dès les années 20 du siècle dernier. Des photographies insérées dans le livre le montrent alors qu'il est à la zawiya El Qarawiyine de Fès et après l'indépendance du Maroc, secrétaire général du ministère de l'Intérieur marocain. Ce parfait bilingue, maîtrisant le tamazight du Moyen-Atlas où il était traducteur, est diplômé de la première école pour indigènes qui ouvrit ses portes à Tlemcen en 1880. Le grand-père de l'auteur quittera, pour fuir la conscription obligatoire établie en 1912, sa ville natale pour Oujda. Le jeune Mourad vivra plutôt à Rabat où il était l'élève du prestigieux lycée Gouraud, réservé aux étrangers non marocains et aux Français. Dans cet établissement que fréquentera le romancier Mouloud Mammeri. Il cite aussi Kateb Yacine mais à notre connaissance, celui-ci n'a jamais fréquenté cet établissement huppé. Cette partie du livre fourmille de renseignements historiques et quelques personnages comme Boumediène, Kasdi Merbah où le père du président Ahmed Ben Bella y font d'inattendues intrusions dans le récit. Cette vie de privilégié sera rompue par la grève du 19 mai 1956 qui vit l'élève à mille lieues de la misère sous laquelle ployait la grande majorité des Algériens rejoindre les rangs de l'ALN. Après un stage de 45 jours dans un centre de formation aux transmissions militaires près d'Oujda, il est affecté par Boussouf à l'intérieur du pays en compagnie de Boualem Dekkar. Certes, celui qui sera versé dans des actions qui ont peu à voir avec les transmissions faute d'un matériel performant n'occupera pas de hautes fonctions dans le commandement. Réhabiliter Messali Son témoignage sur le déroulement de la guerre dans cette région de l'extrême ouest (Nedroma, Fillaoucene, massif des Beni Ménir...) est important. Il restitue tout à la fois la vie dans les maquis, l'engagement total des populations pourtant démunies aux côtés des moudjahiddine et fait le récit de quelques accrochages. Il mettra l'accent sur l'œuvre collective que fut la révolution populaire dans notre pays consacrant quelques passages à des héros oubliés comme « Qomboula », un de ces homme « mort en « fraude », « les restes parsèment les champs et les montagnes de notre pays et qui n'ont pas eu droit à la reconnaissance qui est due au plus humble des hommes » (P.101). Il nous replonge dans ces années de feu, dévoilant la stratégie militaire dans ces zones frontalières de l'ALN et des forces coloniales qui ont érigé les fameux barbelés électrifiés. Il nous raconte les circonstances où il eut à traverser cette muraille de mort quand il retourna au Maroc fin juillet 1957. Dans quelques pages, l'auteur défend la mémoire de Messali Hadj qui, pour lui, mérite réhabilitation totale pour le rôle qu'il a joué dans le mouvement national. Son opposition au FLN est de l'ordre d'erreurs et de dépassements mis sur le même niveau que d'autres dirigeants de la révolution dont il ne cite pas les noms. Il révèle que Messali s'est vu refuser en 1971 une demande de carte nationale d'identité et de passeport introduite au consulat algérien de Genève. Un des passages qui risque de faire oublier l'intérêt des autres et de déclencher des polémiques que cette figure n'a cessé de susciter. R. Hammoudi * « Les clairons de la destinée » 158 pages, Editions Casbah, 600 DA.