Inscience n Pour de nombreux citoyens qui n'ont qu'une vague idée de la foi, le mois de jeûne est le seul moment de l'année où l'on apprécie chaque soir les prouesses culinaires de la maîtresse de maison. En véritable «faiseuse de miracles», la maîtresse se surpasse pendant cette période comme si elle relevait un challenge. Les petits plats sont mis dans les grands. Elle sort les services à eau réservées en général aux invités de marque, les cuillères et les fourchettes offertes par la famille en cadeaux de mariage. Les vieilles recettes sont remises au goût du jour, celles nouvelles, prises sur un journal ou dans un livre de cuisine, sont répertoriées et classées par ordre de passage «à exécution». Dans certains milieux, plutôt aisés et qui ne regardent pas à la dépense, les cuisines deviennent pour un mois de véritables chambres d'expériences sur fourneaux. On essaie tous les trucs copiés sur les livres, toutes les ficelles, on attaque de front les compositions les plus élaborées, les plus compliquées quitte à en changer quelques ingrédients faute de disponibilité dans les marchés. A chaque rupture du jeûne, au moment du f'tour, on a presque envie d'applaudir le talent des épouses et de leurs filles tant la table est copieusement garnie, décorée, recherchée dans les tons, les couleurs et, bien sûr, les saveurs. A chaque rupture du jeûne, c'est l'étonnement, l'émerveillement ! Les soupes sont plus onctueuses, plus en phase avec les palais, les tadjines sont plus plus raffinés et les desserts plus goûteux. Rien n'est trop beau pour faire de ce moment privilégié un moment unique, un hymne aux plaisirs de la table. Comme si jeûner se limitait à une privation momentanée d'aliments en attendant le soir pour calmer sa faim avec les mets les plus savoureux. Le ftour devient alors une véritable fête des sens pendant laquelle les ventres se repaissent. On picore ici, on goûte là, et tous les plats sont passés en revue. On donne libre cours à sa gourmandise et sa fringale, sans retenue aucune, traînant parfois à table avec l'envie de ne pas la quitter. Certains dès les premières bouchées n'ont déjà plus la force de continuer et se contentent d'avoir les yeux plus gros que le ventre. Tout le monde s'est gavé. Personne n'a le courage de prendre une autre bouchée. Ce rituel qui tient de la bombance quotidienne n'a rien, strictement rien, à voir avec le rite et l'essence même du jeûne. On en est loin !