Impact - Qu'est-ce qui fait qu'un livre a du succès auprès des lecteurs et qu'un auteur est reconnu ? C'est bien la critique. La critique est l'accompagnement du livre. Elle le fait vivre et, en même temps ou paradoxalement, le fait disparaître. Elle est l'interprétation de la littérature. Y a-t-il une critique littéraire en Algérie ? Salim Boufendassa, journaliste, est catégorique sur la question. «Il n'existe pas de presse spécialisée (journaux, revues ou magazines) accompagnant une œuvre littéraire en particulier et une œuvre en général», regrette-t-il, et de constater : «Nous avons pensé qu'avec la démocratisation des médias, donc avec la liberté d'expression et de la transparence de l'opinion, la presse spécialisée allait voir le jour. Cela n'a pas été le cas.» Salim Boufendassa déplore, par ailleurs, que les journalistes qui écrivent dans les pages culturelles des journaux, ne soient pas spécialisés ou du moins ne possèdent aucune formation leur permettant de pratiquer la critique de façon professionnelle. Quant aux raisons faisant qu'il n'y a pas de critique, Salim Boufendassa en donne une : «La critique est liée à la démocratie, tant qu'il y a absence de liberté d'expression, le champ de la critique sera limité.» Salim Boufendassa, qui a déploré l'attitude de la presse francophone qui, selon lui, néglige les livres écrits en arabe, relève que l'autre problème auquel la critique est confrontée est l'environnement dans lequel cette dernière évolue «Il y a une médiocrité culturelle et intellectuelle ambiante», estime-t-il, et d'ajouter : «En outre, il n'y a pas d'échange entre les critiques, un échange favorisant le développement de la pratique en tant que discipline professionnelle.» Notre interlocuteur regrette que la critique reste prisonnière de l'université, c'est-à-dire qu'«elle se pratique dans un cercle restreint, celui des universités et ce, seulement dans le cadre de la recherche. Les publications ne sont malheureusement pas publiées». Interrogé sur la question, Youcef Sayah, animateur d'émissions culturelles à la radio et à la télévision, répondra : «Il ne faut pas confondre critique universitaire et critique tout court. La critique universitaire a sa place dans l'université et elle ne peut pas toucher le grand public, car pour y avoir accès, il faut avoir au préalable une formation dans ce sens.» Et d'abonder : «Il n' y a pratiquement pas de critique. Nous ne pouvons pas former de critiques, parce qu'il n'y a pas d'écoles pour cela. Les critiques sont de grands lecteurs qui ont un bagage culturel, des connaissances dans différents domaines de l'art et de la culture. C'est ce qui d'ailleurs leur permet de jeter une passerelle entre tous les arts et entre l'œuvre d'art et le public, c'est-à-dire la lui faire connaître.» Youcef Sayah soutient l'idée que l'existence d'une critique est liée à l'ambiance intellectuelle. En d'autres termes, «ce sont les conditions socioculturelles qui forment le critique littéraire». Youcef Sayah regrette toutefois qu'en Algérie, «on ne soit pas encore arrivé à la critique, on en est encore à donner de l'information et à présenter l'œuvre», c'est-à-dire donner un descriptif de l'œuvre au public. Car «l'environnement social n'est pas porté sur la lecture». - Smaïl Abdoun, universitaire, explique que «la critique est une discipline professionnelle. C'est une méthode d'approche dont l'objet est la littérature».La littérature, qui, selon lui, provoque un effet d'esthétique, de beauté suscitant donc en chacun de vives émotions, est, de ce fait, «l'art du langage». Autrement dit, «le critique doit être le critique de l'art», estime-t-il. La littérature s'avère un objet de lecture, d'analyse et d'interprétation de l'œuvre d'art. Smaïl Abdoun, pour qui la critique se veut d'emblée «une pratique méthodologique s'exerçant sur des textes», explique aussi que la critique est «une pratique institutionnelle», c'est-à-dire elle a un statut social. C'est une discipline pratiquée à travers des institutions reconnues comme les canaux universitaires, les publications spécialisées comme les revues et les magazines littéraires. Pour ce faire, la critique emprunte ses instruments d'analyse aux sciences humaines, telles que la sociologie, la psychanalyse... Smaïl Abdoun, qui regrette l'inexistence d'une critique littéraire en affirmant que c'est «le parent pauvre de la culture», critique le statut actuel du livre, à savoir que l'aspect commercial l'emporte sur le contenu poétique. «Le livre devient une marchandise qui intéresse les lois du marché et où certains éditeurs véreux se font de l'argent avec des œuvres à succès». Il citera notamment les livres traitant de l'Algérie pendant la période terroriste et parus en France qui se sont vendus comme des petits pains. Tout en faisant le constat que ce qui définit une œuvre c'est le temps. «Le temps est le seul juge, le juge suprême, c'est lui qui juge si une œuvre d'art mérite d'être considérée comme telle ou pas», soutient-il.