Il a 55 ans. L?âge d?une personne qui a la mémoire suffisamment «pleine» pour raconter à la nouvelle génération ce qu?était naguère Alger drapée dans sa blancheur légendaire, la brise marine venant se heurter à la rudesse d?un piémont qui regorge d?habitations de fortune. Mais les jours qui se succèdent dans une irascible monotonie ont fini par lui causer quelques trous de mémoire. Merzak a oublié, depuis longtemps, plusieurs détails croustillants et ne se souvient que vaguement de quelques fragments : ses randonnées de nuit à Padovani, ses parties de belote aux Trois-Horloges et les louanges des vieilles femmes à Sidi Abderahmane, sans oublier les vendredis rouge et vert à l?estampille mouloudéenne. Ses amis, ceux avec lesquels il passait sa tendre jeunesse, ne sont plus là pour lui rafraîchir la mémoire. Merzak a 55 ans et n?a plus l?âge de réapprendre à parler le nouveau langage ni à apprivoiser les nouvelles m?urs auxquelles il ne s?identifie guère. Son demi-siècle et quelque poussière d?existence, c?est toute une vie? une vie qui lui a permis d?apprivoiser l?hemam, laissé en haute voltige en guise de testament par El-Hadj ? inutile d?ajouter El-Anka !?ou pour tendre paisiblement l?oreille au chuchotement des vagues aidées par les airs laissés par la guitare d?El-Badji, l?autre soprano d?El-Bahdja, et de remonter les chemins escarpés des souvenances quand il passait les fins d?après-midi, les cheveux enduits de gomina, devant le lycée Bugeaud, au c?ur de Bab El-Oued. Mais aujourd?hui, le petit M?rizek n?a plus de force dans les jambes pour faire des va-et-vient entre Padovani, le Majestic et le lycée. Devenu Merzak, il vit comme il peut. Comme on l?oblige à vivre : éviter la poussière et se souvenir des moments agréables lorsqu?il avait vingt ans. Une cassette de Guerrouabi se charge de lui faciliter la tâche.