Résumé de la 3e partie n Marthe a épuisé toute sa peur, toutes ses larmes, et à trois heures du matin, une rage la prend. Une rage positive et réfléchie… Elle frappe de plus belle contre la paroi, mais pas de chance : à ces étages, sur dix appartements, deux seulement sont occupés, mais pas ce soir. Elle a beau crier, cogner. Rien. Alors Marthe se met à pleurer. Assise par terre avec sa boîte d'orchidées. Elle n'ose plus appuyer sur les boutons à présent, de peur de tomber définitivement et que la cabine se décroche. Elle croit avoir compris que lorsque c'est elle qui appuie sur ces boutons, l'ascenseur descend et se coince au sous-sol, alors que lorsqu'un inconnu appuie sur le bouton d'appel, l'ascenseur monte et se coince n'importe où. Son cerveau électronique est déréglé. Jusqu'à une heure du matin, l'ascenseur «D» et Mlle Marthe font encore trois voyages. En hauteur car elle ne touche plus à rien. Elle préfère monter que descendre, cela lui fait moins peur. Mais à chaque fois c'est un nouvel espoir, et elle guette les étages. Si la cabine s'arrêtait par chance devant une porte, elle pourrait sortir, peut-être. Mais tout s'éteint à chaque fois, et à chaque fois elle est coincée entre deux étages Et à chaque fois elle tambourine, appelle, pleure, et chaque fois personne ne l'entend. Les gens dorment, les moquettes sont épaisses, les appartements insonorisés. De plus, à cette heure tardive, les gens se font rares. Enfin, c'est la grande nuit. Plus de noctambules, plus de sursauts. Marthe a épuisé toute sa peur, toutes ses larmes. Il est trois heures du matin et la rage la prend. Une rage positive, une rage réfléchie. Pour la première fois depuis plus de cinq heures qu'elle est enfermée là, il lui vient une idée. Une idée bête, et pas logique du tout, mais puisque cette machine est folle, pourquoi pas une idée folle ! A tâtons, toujours dans le noir, Marthe cherche le dernier bouton du bas et le dernier bouton du haut. Peut-être qu'en appuyant en même temps sur les deux, il va se passer quelque chose ? Puisque ça descend quand elle appuie elle, et que ça monte quand quelqu'un d'autre veut descendre, alors.. main gauche sur le deuxième sous-sol, main droite sur le 28e, Marthe respire un grand coup, compte jusqu'à trois, et appuie ! Il y a une secousse légère, un petit bruit bizarre, et la lumière s'allume, s'éteint, se rallume en clignotant. Marthe appuie toujours sur ses deux boutons, le cœur battant. II y a une sorte de ronflement et la cabine démarre, elle monte, elle monte, elle continue de monter, 17, 20, 21, 24, 25, 27. 28 ! Plof ! elle s'arrête, devant une porte ! Marthe manque d'en perdre la tête. Si je lâche les boutons, se dit-elle, ça recommence, c'est sûr. Alors d'un pied elle tâte la porte, la pousse, et constate que ça s'ouvre. De l'autre pied, elle glisse sa boîte d'orchidées, pour coincer la porte, se contorsionne sans lâcher les boutons, met un pied sur le palier, puis l'autre, toujours bras tendus, à quatre-vingt-dix degrés. Un en haut, l'autre en bas Un coup de rein, un bond, et elle est dehors, sur le palier. La boîte d'orchidées glisse lentement, la porte se referme, et vlan! l'ascenseur redégringole en chute libre jusqu'au sous-sol, et freine de tous ses circuits hydrauliques, avec un bruit épouvantable. II était temps ! Une manœuvre de plus, et qui sait ? A 3 h 05 du matin, le 25 octobre 1965, Marthe a sonné à la porte des Courtney, et leur a tendu sa boîte d'orchidées, d'un air hagard, avant de s'évanouir une dernière fois sur leur luxueux paillasson du 28e étage ! Une colonie de cafards, de l'ordre des Orthoptères et du genre Blattides (mauvais genre), avait envahi, dévoré, désorganisé, et rendu fou le cerveau électronique qui commandait l'ascenseur «D» du 357 Mighlay Street... Il n'y a qu'eux pour arrêter le progrès.