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Au camp d'entraînement des petits soldats d'Ukraine
Une cinquantaine de jeunes âgés de 6 ans à 18 ans, au camp d'été patriotique militaire des Azovets
Publié dans La Tribune le 30 - 08 - 2016

Après l'annexion de la Crimée par les Russes, un camp de vacances très spécial dirigé par une unité paramilitaire ultranationaliste inculque la guerre et le patriotisme aux enfants.
a ne dit pas un mot. Elle se poste devant le fusil d'assaut, posé devant elle sur une table en bois. Sa mission ? Le démonter et le remonter le plus rapidement possible. Très concentrée, elle commence par ôter le chargeur, puis tire la culasse. Avec ses petits doigts, elle enlève ensuite le capot, le ressort récupérateur, libère le percuteur…
Cela fait dix jours qu'elle s'entraîne quotidiennement à cet exercice, mais ses gestes restent lents et maladroits. La kalachnikov, d'une longueur de 87 centimètres et d'un poids de plus de 4 kg, lui glisse plusieurs fois des mains.
Même neutralisée (des modifications la rendent inapte au tir), l'arme paraît démesurée. Ada porte un tee-shirt rouge avec un petit chien noir et blanc à lunettes jaunes et des tongs roses : elle a 9 ans. La petite fille s'est déjà choisi un nom de guerre : Talisman. Comme tous ses camarades, une cinquantaine de jeunes âgés de 6 ans à 18 ans, elle passe une partie de ses vacances au camp d'été patriotique militaire des Azovets (Ukraine).
Préparer la résistance contre l'armée pro-russe
Nous sommes à 35 kilomètres à l'ouest de Kiev, la capitale ukrainienne, dans une forêt à la lisière de la route E40, en direction de Jytomyr. Aucun panneau n'indique le lieu. Une simple banderole est accrochée à la grille d'entrée et deux drapeaux flottent dans la cour : celui de l'Ukraine et celui du camp d'été du régiment Azov – deux silhouettes bleues d'enfants soldats portant des fusils-mitrailleurs et des casques de combat sur fond jaune.
Cette unité paramilitaire ultranationaliste a été créée au lendemain de l'annexion de la Crimée par les Russes, agression qui avait suivi la révolution de Maïdan, en mai 2014.
Composée de volontaires désireux de lutter contre l'insurrection armée pro-russe dans le Donbass, à l'est du pays, elle a été intégrée à la garde nationale ukrainienne dès septembre 2014 et placée sous l'autorité du ministère de l'Intérieur. Comme d'autres bataillons de volontaires. Une façon pour Kiev de reprendre le contrôle de ces unités, qui ont pallié dans les premiers mois de la guerre le manque de moyens et d'effectifs de l'armée.
«L'école est censée enseigner les rudiments de la guerre mais elle ne le fait plus. Avec ces exercices, nous leur apprenons à travailler en équipe et à être disciplinés.»
Opérant principalement à Marioupol, puis à Berdiansk, le régiment Azov (autrefois appelé bataillon), qui compterait plus de 2 000 combattants au front selon les estimations, a ouvert cette colonie de vacances pour futures recrues (même s'ils s'en défendent) en juin 2015. L'objectif : «Apprendre aux jeunes à être de bons patriotes», résume le directeur, Andreï, 21 ans.
Montage et démontage de «kalach»
Surnommé «Prof», ce jeune homme en jean et baskets qui semble à peine sorti de l'adolescence a rejoint le régiment par le biais d'un groupe de copains supporteurs de football. Blessé lors d'un combat à Tchornoukhiné, un village situé dans les environs de Louhansk, le «11.2.2015» – la date est tatouée sur son bras –, il a encore des éclats de grenade logés dans le dos.
C'est lui qui a eu l'idée de proposer aux enfants une formation militaire, pour «pallier le manque d'éducation patriotique en Ukraine», dit-il. «L'école est censée enseigner les rudiments de la guerre – maniement des armes, tirs, premiers soins – mais elle ne le fait plus, poursuit-il. Avec ces exercices, nous leur apprenons à travailler en équipe et à être disciplinés afin qu'ils s'entraident.» Sauf que ce programme scolaire, héritage de l'époque soviétique, était destiné aux adolescents et non aux enfants.
Au camp des Azovets, les instructeurs – trois au total – sont tous allés au combat. C'est le principe : l'art de la guerre transmis par ceux qui l'ont vécue. Et qui sont convaincus qu'elle durera encore longtemps.
Les enfants ont installé leurs tentes à l'abri, sous la galerie d'un grand bâtiment de bois, tandis que les instructeurs et les surveillants (trois jeunes portant les tee-shirts du camp des Azovets, qui, eux, ne sont pas allés au front) ont leurs chambres à quelques mètres de là, dans une grande maison de rondins.
Au programme : cours d'autodéfense et de secourisme, promotion de la langue ukrainienne (dans le pays, la langue la plus commune est le russe ; ici, les instructeurs et les surveillants ne parlent qu'en ukrainien), parcours du combattant, montage et démontage de kalach et embryon de stratégie («comment se déplacer pour approcher l'ennemi»).
«Se préparer à une longue bataille»
Chaque journée commence par une heure de leçon d'histoire de l'Ukraine, dispensée par un professeur. «Nous leur apprenons les origines de leur pays, afin qu'ils sachent qu'il n'a pas été créé par la Russie et que nous avons nos propres racines», souligne Prof.
«Les Russes nous dépeignent comme des paysans faisant partie d'une province russe. C'est faux. Nous leur montrons que l'Ukraine a une grande histoire, qu'elle est une nation à part entière», insiste Igor, le directeur adjoint âgé de 27 ans, en treillis et tee-shirt aux couleurs du camp. Celui que l'on surnomme «Gold» – à cause de sa couleur de cheveux, blond roux – a combattu les séparatistes pro-russes pendant trois mois dans la ville de Marïnka, à la lisière de Donetsk.
Pendant les mois de juillet et d'août, Azov reçoit ainsi, par sessions de douze jours et pour 95 euros (2 600 hryvnias ukrainiens) par tête, près de 300 enfants, dont 75% de garçons et 25% de filles. Le double par rapport à 2015.
Le tout grâce au soutien «de mécènes» qui font des dons en nature (fromages, pain…), «mais jamais d'argent», prétend le directeur, Andreï, sans donner plus de détails sur les sources de financement du camp.
Le succès tel que le régiment a le projet d'ouvrir un second camp l'été prochain, dans le quartier résidentiel d'Obolon, à Kiev. «Il y a cette idée, même parmi l'intelligentsia, que la Russie n'est pas près de partir et qu'il faut se préparer à une longue bataille», précise Andreas Umland, chercheur allemand basé à Kiev.
Et ce n'est pas le regain de tension récent avec leur puissant voisin qui leur donnera tort. «Depuis le début de la guerre, les formations militaires sont donc devenues très populaires et font partie de la vague patriotique, poursuit ce spécialiste du nationalisme ukrainien. A ma connaissance, seul Azov dispense ce type d'entraînement à des enfants.»
«Néonazis, nous ? C'est de la propagande russe»
Chants, discours de motivation, hymne nationaliste… au camp des Azovets, les appels à la défense et à l'amour de la patrie rythment les journées et sont affichés un peu partout. Y compris sur d'immenses banderoles accrochées aux bâtiments de bois : «Sois fidèle à l'idée de la nation. Ne te rends pas même si tous sont contre toi.» Une autre : «L'idée est dans la nation, la force est en toi.»
A l'entrée, flotte l'emblème de Pravy Sektor (secteur droit), un autre groupe de volontaires ultranationalistes, le propriétaire de cette base d'entraînement en plein air de cinq hectares, entre lac et forêt, prêtée pour l'été au régiment. Le logo d'Azov, aux furieux airs de symbole nazi, est omniprésent : une Wolfsangel inversée, utilisée par plusieurs unités SS, avec, en filigrane et en arrière-plan, le «soleil noir», symbole à l'origine païen repris par les nazis, notamment très prisé du chef des SS, Heinrich Himmler.
«Néonazis, nous ? C'est de la propagande russe, s'esclaffe Gold. Tout le monde sait que ce n'est pas bien d'être néonazi. On apprend aux enfants à aimer l'Ukraine, c'est tout, il n'y a aucun racisme ni aucune xénophobie là-dedans. Ces symboles sont de vieux symboles qui existaient bien avant l'arrivée des nazis. Pourquoi est-ce que nous en changerions ?»
Azov s'emploie à faire oublier l'image de certains de ses combattants vus avec des croix gammées sur leurs casques et les déclarations de son ancien commandant, Andriy Biletsky, un ultranationaliste prônant la suprématie blanche, aujourd'hui élu au Parlement.
«Cette réputation vient des fondateurs, à l'origine membres des Patriotes de l'Ukraine, une organisation paramilitaire néonazie fondée en 2005, explique la politologue Ioulia Shukan, maître de conférences à l'université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense (Paris-X). La guerre a produit un nationalisme assez dur.»
«Les parents nous les envoient pour qu'ils apprennent à se développer ailleurs que devant un ordinateur, pour éviter qu'ils boivent de l'alcool ou que les filles deviennent des prostituées.»
Si ces volontaires sont souvent perçus comme des héros combattant l'ennemi russe, contrairement à ce que l'on pouvait craindre, leur influence reste limitée. D'autant que nombre de leurs membres sont apolitiques. Selon Andreas Umland, «seulement» treize députés sur 423 ont été répertoriés comme extrémistes.
«Nous essayons simplement de bâtir une nation»
«Les textes et les discours racistes des premiers temps posent un vrai problème en termes d'image à ces groupes ultras, commente le chercheur. Pour susciter l'adhésion du plus grand nombre d'Ukrainiens, ils doivent s'en éloigner. Si bien qu'aujourd'hui, certains les renient et dénoncent une manipulation des Russes. Mais personne ne sait si Azov a vraiment changé ou s'ils ne font que masquer leur idéologie néonazie.»
«Bear», un instructeur de 22 ans en treillis et à collier de barbe, ancien étudiant à l'Institut polytechnique de Kiev, a combattu de septembre 2014 à juin 2015 à Marioupol. Il va chercher dans sa chambre son sac à dos orné d'un écusson représentant le soleil noir : «Vous voyez, ce sont simplement des symboles païens, ce que je suis. Si être néonazi, c'est punir les juifs et les noirs, ou toute autre minorité, alors non, nous ne le sommes pas. Nous essayons simplement de bâtir une nation.»
En commençant par mettre une kalachnikov dans les mains d'enfants de 6 ans. C'est ainsi que les «hommes en noir» – le surnom donné aux volontaires du régiment Azov, qui se battent encagoulés – ont décidé d'inculquer à la jeune génération «l'amour de la patrie».
La scène a quelque chose d'irréel. Sur un terrain de foot transformé en zone de guerre virtuelle, une quinzaine d'enfants de 7 à 12 ans, armés de mitraillettes en bois, miment une tactique d'approche d'un ennemi fictif qui serait caché dans la forêt.
Ils crapahutent ventre à terre, puis se relèvent, courent dos courbé, se dispersent par deux, posent un genou au sol et mettent en joue avant de se regrouper. Le tout, sous les ordres de Bear. «Je suis un guerrier, lance-t-il. Je veux juste survivre car je suis persuadé qu'il y aura une plus grande guerre, je veux être prêt et que les jeunes soient prêts.»
«Les parents nous les envoient pour qu'ils apprennent à se développer ailleurs que devant un ordinateur, pour éviter qu'ils ne boivent de l'alcool ou que les filles ne deviennent des prostituées, soutient Gold. Mais nous ne les formons pas pour les envoyer à la guerre.»
«Les enfants adorent jouer à la guerre»
Vraiment ? Olea, une surveillante de 21 ans qui nettoyait auparavant les habits des combattants d'Aïdar, une autre unité de volontaires ultranationalistes, décrit ainsi sa mission : «Nous sommes là pour rendre leur esprit plus fort dans cette situation de guerre et leur apprendre à se défendre si les Russes approchent Kiev
«Je ne reviendrai pas. C'est trop dur, ils nous entraînent comme des chiens. Et en plus, j'étais venu pour apprendre la lutte au couteau et il n'y en a pas !» Sviatoslav, 10 ans
«Smallney», 8 ans, s'y voit déjà. Il suit les traces de son père, un volontaire d'Azov, mécanicien spécialiste de la réparation des tanks, dont il a repris le nom de guerre. «Mon père est Azov, et moi je suis un Azovet !», lance le petit garçon, avec hargne. C'est lui qui a demandé à venir ici, parce qu'il «aime tout». «Tout !», répète-t-il, impatient.
«Les enfants adorent jouer à la guerre, commente Gold. Ils sont très contents ici.» Ce n'est pas le cas de Sviatoslav, 10 ans, qui erre seul dans le camp. «Je ne reviendrai pas, aboie-t-il, le regard noir. C'est trop dur, ils nous entraînent comme des chiens. Et en plus, j'étais venu pour apprendre la lutte au couteau et il n'y en a pas !»
Pourquoi Sviatoslav veut-il s'entraîner à l'arme blanche ? «C'est pour me défendre contre mes ennemis de l'école qui sont méchants avec moi.» Ils parlent russe, lui, ukrainien. Sviatoslav a d'autres projets, dont un qu'il reproduit sur papier : la fabrication d'une arme automatique, une «mitraillette-mitrailleuse», comme il dit, disposant de cartouches de 300 balles et capable de «traverser le casque des Russes». Son nom de guerre ? Sans surprise : Mitrailleuse.
Les plus âgés ne sont pas moins belliqueux. Dima, 16 ans, n'a qu'une idée en tête : combattre les Russes pour «la liberté et l'indépendance de l'Ukraine». «Je veux devenir plus fort et apprendre la tactique», dit-il. Il ne veut pas rejoindre l'armée, mais Azov.
Gold intervient : «Azov, ce n'est pas comme à l'armée. Ici, tu peux t'exprimer, tu peux te laisser pousser la barbe si tu veux, tu n'as pas besoin de te raser la tête… Azov est une famille.» Pour lui comme pour Andreï, le directeur, il n'était pas question de rejoindre l'armée. «Certains généraux sont des traîtres», affirme-t-il, citant l'exemple d'un ami dont le commandant n'aurait pas hésité à ordonner à ses troupes d'avancer sous les tirs de l'ennemi russe. «C'est Azov qui les a sauvés», conclut-il sous le regard admiratif d'Anton, 15 ans, qui rêve de rejoindre à son tour le régiment de volontaires.
Des instructeurs de 20 ans
Si les combattants du régiment Azov ont gagné leurs galons sur le front aux yeux de la jeune génération, malgré les rapports faisant état d'exactions et d'actes de torture, au camp des Azovets, le désordre règne.
Les instructeurs et les surveillants ont, à part Gold, à peine plus de 20 ans. Le chef n'a que 21 ans. Les rassemblements sont brouillons ; les horaires à géométrie variable ; la discipline fantaisiste ; le port des uniformes aléatoire (certains sont en tenue de camouflage, d'autres pas) ; les activités souvent mal organisées et parfois même dangereuses.
Ainsi, lors du parcours du combattant. Alors que les adolescents courent, grimpent, rampent et sautent dans la terre et la boue en poussant des hurlements de bête, les instructeurs et les surveillants leur jettent de l'eau et des poignées de terre à la figure, enfument un tunnel avec une grenade lacrymogène, leur donnent des coups de sifflet dans les oreilles et leur tirent dessus à l'air soft.
L'utilisation de ces répliques d'armes à feu propulsant des billes en plastique nécessite en principe de porter des masques ou des lunettes de protection ainsi que des vêtements résistants. Mais ici, les adolescents ne portent rien d'autre que pantalons, tee-shirts et sweat-shirts. Ils sortent de cet exercice boueux et trempés, épuisés et toussoteux : «On vous avait dit de retenir votre respiration sous le tunnel !», gronde l'un des surveillants, avant de les envoyer sauter tout habillé dans le lac.
En fin de journée, lors du rassemblement pour le baisser du drapeau, les enfants, debout, le poing de la main droite serré sur le cœur, écoutent religieusement Gold prononcer son discours sur la «protection de la patrie».
Puis vient l'heure du bilan. «La moitié d'entre vous ne sait pas se servir des armes correctement, tonne Bear, portant deux kalachnikovs, une à la main, l'autre en bandoulière. Je n'ai pas pu vous apprendre tout ce que je voulais. Dix jours, c'est court. Si vous pouvez rester, c'est bien. Sinon, revenez.» Le lendemain, c'est le grand jour, le dernier aussi, celui de la compétition finale au cours de laquelle les campeurs vont s'affronter dans chacune des épreuves.
Mais nous n'en verrons rien. Le matin suivant, nous sommes sommés par Gold, bras tendu vers la sortie, de quitter les lieux sur-le-champ. Motif de cette expulsion ? Nous ne le connaîtrons jamais.
La version officielle : «Vos questions ne sont pas correctes, explique le directeur adjoint, gêné. Les enfants ont appelé leurs parents et ceux-ci veulent que vous partiez.» Alors qu'il s'éloigne, un surveillant lâche : «Il y a encore une vidéo qui est sortie sur nous sur Internet.» On comprend qu'il s'agit d'une mauvaise pub. Visiblement inquiet, et maladroit, il demande à lire nos notes. Refus poli.
«Beaucoup de ces combattants se voient comme l'avant-poste de la défense européenne contre la Russie, explique le chercheur Andreas Umland. Ils ne comprennent pas qu'on puisse se poser des questions sur leur méthode ou sur leurs racines néonazies. Avant la révolution de Maïdan, ces groupes étaient si minoritaires que personne ne s'en souciait. Maintenant qu'ils sont sous les projecteurs, ils veulent lisser leur image.» Virer une équipe de journalistes occidentaux n'est sans doute pas la meilleure option.
L. C.
In Le Monde Magazine


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