Quitter la France quand chacun des héros de l'équipe du FLN avait une grande notoriété n'était pas facile et Rachid Makhloufi s'est souvenu qu'une fois arrivé à hauteur de la frontière suisse, un policier le reconnaissant s'est approché de lui et sollicité un autographe, en plus de s'incruster dans une discussion oiseuse et cela au moment même où la radio débitait ce qui s'était passé en France en soulignant de plus que l'un des footballeurs, en l'occurrence lui-même (Makhloufi), était militaire - le Sétifien accomplissait sa période de service national au sein du Bataillon de Joinville - et donc déserteur Par A. Lemili L'Equipe-TV, chaîne de télévision sportive française, a proposé au public dans la soirée de lundi dernier un documentaire consacré à l'équipe de football que le Front de libération nationale (FLN) a constitué lors de la guerre de libération, pour ne pas dire l'histoire des stars algériennes qui faisaient le bonheur des clubs de l'hexagone durant la sombre période de la guerre d'Algérie. Pour tout spectateur qui aurait suivi ce documentaire autant dire qu'il ne pouvait qu'en rester remué à jamais. A cette époque, le contexte est exceptionnel à commencer par un évènement sportif qui pointait à quelques semaines en Suède. En effet, la Coupe du monde devait s'y dérouler et les dirigeants français du football nourrissaient le ferme espoir de réaliser un «truc» avec les joueurs hors du commun qu'étaient les professionnels algériens évoluant au sein du championnat de France et pour cause n'étaient pas d'autorité considéré en tant que tels... Français. Et tout le monde y compris leurs proches et amis, ignoraient que les 9 footballeurs les plus en vue du championnat hexagonal allaient se retouver après avoir transité par Vintimille (Italie) en Tunisie quelques jours après le 13 avril 1958, jour retenu pour évacuer leurs familles en premier. Ainsi épouses, compagnes et enfants entraient de plain-pied et tout en y adhérant notamment pour leurs compagnes dans la révolution armée algérienne. Rédha Bentifour en parle avec beaucoup d'émotion, lui qui ne comprenait rien à ce qui se passait tout en étant certain que la vie familiale allait quelque part changer. Rachid Mekhloufi (AS Saint-Etienne), homme de la qualification pour le Mondial et présélectionné pour la Suède, Mustapha Zitouni, Abderrahmane Boubekeur, Abdelaziz Bentifour et Kaddour Bekhloufi, tous à l'AS Monaco, Amar Rouaï (SCO d'Angers), Abdelhamid Bouchouk et Saïd Brahimi (Toulouse FC), Abdelhamid Kermali (O Lyonnais). Ils ont choisi de tout laisser derrière eux - carrière, notoriété, argent - pour l'amour de la patrie et le soutien à la lutte armée engagée par le Front de libération nationale et surtout l'accès de l'Algérie à l'indépendance. Un acte qui vaut à cette constellation de footballeurs les «Une» de la presse française mais aussi de celle internationale compte tenu de son retentissement. Dans le détail quitter la France quand chacun de ses héros avait une grande notoriété n'était pas facile et Rachid Makhloufi s'est souvenu qu'une fois arrivé à hauteur de la frontière suisse, un policier le reconnaissant s'est approché de lui et sollicité un autographe en plus de s'incruster dans une discussion oiseuse et cela au moment même où la radio débitait ce qui s'était passé en France en soulignant de plus que l'un des footballeurs, en l'occurrence lui-même (Makhloufi), était militaire et donc automatique déserteur (le Sétifien accomplissait sa période de service national au sein du Bataillon de Joinville). Heureusement que le policier en question était tellement extasié devant ce footballeur exceptionnel qu'il n'y fit pas attention. Et s'agissant toujours de Rachid Makhloufi, un impondérable avait auparavant eu lieu alors qu'il disputait un match contre Béziers, celui-ci est blessé à la suite d'un contact avec un adversaire et est évacué à l'hôpital. Deux faux infirmiers l'aideront à quitter les lieux. Dans ce formidable documentaire bien fait, bien commenté et consacrant une large part à une narration romancée qui ne manque pas d'installer l'émotion de bout en bout de sa durée et plus particulièrement quand les enfants, désormais adultes, des Bentifour, Rouaï et Zitouni parlent de ce qu'ils ont vécu alors qu'ils n'avaient encore aucun discernement sur ce qui se passait autour d'eux. Rédha, Karim et Malik, ces hommes en seront par la suite reconnaissants à leurs parents. Quatre années durant, l'équipe du FLN va sillonner le monde et même si la Fifa s'est refusée à la reconnaître comme sélection nationale, Boubekeur et ses coéquipiers vont donner la réplique aux plus grandes équipes de l'époque, rencontré les plus grands leaders politiques de l'Histoire : Mao, Ho Chi Min, Nasser, Tito... en plus de battre leurs équipes nationales et ce à telle enseigne que les dirigeants de celle du Viet-Nam qui avait perdu contre les Verts de cette époque avaient exigé un match-revanche. D'ailleurs pour l'anecdote, Ho Chi Minh aurait dit, selon Rachid Makhloufi, «vous nous avez battu, donc vous gagnerez votre indépendance». Le héros de Dien Bien Phu faisait évidemment allusion au fait qu'en battant les Français lors de cette bataille, les Algériens allaient également en faire de même pour leur pays. Guillaume Maury, le réalisateur de «Un sacrifice pour l'Histoire» a voulu présenter de la manière la plus sobre cette glorieuse période d'une histoire politique associée à un sport parmi le plus aimé et donc le plus fédérateur pour les peuples et il est parvenu aussi bien par la pudeur et la retenue qui ont caractérisé ce documentaire mais aussi le choix des intervenants tels l'ancienne gloire du football français et toujours meilleur buteur d'une Coupe du monde, Just Fontaine, Michel Naït Challal, journaliste de L'Equipe et auteur de «Les dribbleurs de l'indépendance» ainsi que Kader Abderahim, auteur de «L'indépendance pour seul but». Enfin, il faudrait surtout saluer l'engagement des épouses et compagnes de ces 9 footballeurs qui ont accepté de laisser tomber leur confort habituel, une vie tranquille, l'habitude des lampions, l'opulence pour faire leur la lutte d'un autre peuple et ce jusqu'à créer collectivement une fondation consacrée à la solidarité avec celui-ci et la collecte de fonds à même de contribuer au succès de la révolution armée.