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Le dilemme d'une histoire sans chair et sans sang
Noms de martyrs et noms de lieux
Publié dans La Tribune le 06 - 07 - 2017

Autour du 13 juin 2017, moins d'un mois avant ce 5 juillet 2017, 55e anniversaire de notre indépendance, une grande colère s'est exprimée sur les réseaux sociaux.
Autour du 13 juin 2017, moins d'un mois avant ce 5 juillet 2017, 55e anniversaire de notre indépendance, une grande colère s'est exprimée sur les réseaux sociaux. Des bureaucrates de la mémoire ont donné le nom d'un chahid, tout à fait légitime, pour baptiser un lieu public, la clinique Larribère, sise à Oran, célèbre justement pour avoir été, sous ce nom, un haut lieu de lutte et de résistance anticoloniale. Cinquante-cinq ans après l'indépendance, les oranais appellent le lieu du nom de son propriétaire le Docteur Larribère qui en avait fait une clinique pour le FLN/ALN (1). Avant la guerre d'indépendance, il y soignait gratuitement les plus démunis parmi les indigènes au nom de ses principes communistes. Il continuera à le faire pendant la guerre de libération. Yvonne, son épouse, et ses cinq filles, dont Lucette qui sera l'épouse de Bachir Hadj Ali, dirigeant communiste algérien, l'accompagnèrent dans ce même chemin d'engagement dans la lutte d'émancipation nationale. La clinique sera plastiquée par l'OAS et il sera soustrait, de justesse, à un attentat. La dimension du personnage a imposé au lieu son identité toponymique dans la mémoire des Oranais. C'est vous dire la teneur du lieu, sa charge symbolique de lieu de solidarité sociale et politique, alliés à sa charge de lieu de libération nationale. Cette colère jetée sur les chemins incertains des réseaux sociaux s'est enlisée dans ses méandres et, faute d'un intérêt des partis au pouvoir et de l'opposition, faute d'une opinion publique structurée la pétition projetée pour obliger le pouvoir à maintenir le nom du Docteur Jean-Marie Larribère a perdu de sa visibilité. L'idée de la pétition a eu au moins le mérite de révéler la lutte latente entre mémoire populaire et mémoire officielle. Modifier un nom consacré par l'usage et hautement signifiant dans leur vécu, n'est pas anodin. L'acte en lui-même est philosophiquement étrange. Le principe général et usité est qu'on renforce l'identité historique d'un lieu par un acte ou une individualité marquante du lieu. Il était normal et naturel que le nom de Ali Ammar, nom civil d'Ali la Pointe, soit donné à la rue la plus proche de son activité militante et de sa cache principale. Comme il est normal que le quartier de Belcourt porte le nom de Mohamed Belouizdad. Même si toute autre lieu est également indiqué pour porter les noms des personnalités et des héros les plus marquants de notre révolution. Ils sont à leur place partout. Les cités, les places, lés grands boulevards mettent à l'honneur Amirouche, El Haoues, Lotfi, Souidani Boudjemaa, Ben M'hidi, Ben Boulaïd, Zighoud... (et bien d'autres, pardon pour ceux que j'omets et dont les actions héroïques ne sont pas en reste...). Ils existent partout. Cependant, n'importe quelle personne raisonnable trouverait anormal que l'on donne le nom d'un grand chahid à un lieu déjà chargé d'une symbolique liée à un nom préexistant. Trouveriez-vous normal qu'on donne au boulevard, à Belcourt, où est mort Si Rouchaï Boualem le nom d'un autre chahid qui serait plus élevé dans l'échelle du prestige, par exemple d'un chahid parmi les six chefs directs de l'insurrection ? Ce serait d'abord une injustice à l'endroit de ce grand dirigeant que fut Si Rouchai Boualem. Rappelons que c'est lui qui avait remis sur pied une organisation militaire et civile chancelante du FLN/ALN à Alger, dans les années post Zone Autonome. Ce serait ensuite découpler histoire et territoire, les lieux et les événements. Bref, ce serait déposséder les gens et leurs espaces de leurs propres histoires locales, j'allais dire singulières, condition même de leur insertion dans la grande histoire. C'est bien cela qui explique pourquoi on donne de grands noms à de grands espaces (boulevards, places, lycées etc.) et des noms moins connus à des lieux moins en vue. Et même ces corrélations entre noms et lieux varient avec le temps. Combien de noms de martyrs ont été donnés à des lieux déjà éminents socialement juste parce qu'à l'indépendance leurs renoms, leurs auras, leurs exemplarités étaient tous proches. Pour Alger, cela me semble clair que la ferveur de l'indépendance et la mémoire encore vivace et douloureuse a permis de lier la mémoire des faits et des noms aux endroits où ils se sont accomplis en tant que faits et en tant que sacrifice. La hiérarchie des noms et des lieux ne fut pas un arbitraire joué aux dés. L'Etat naissant a nommé les lieux symboliques du pouvoir social, économique, culturel des noms qui le légitimaient, des noms qui donnaient consistance à ses mythes supposés fondateurs dans la conscience des responsables de l'époque. Bien sûr, il fallait que ces noms appartiennent à une hiérarchie de l'organisation et de l'héroïsme, la première ne fonctionnant pas sans l'autre. Sans leur héroïsme hors norme et exemplaire dans la mort, les noms des grands chefs n'auraient pas rempli leurs fonctions à l'intérieur du mythe. Il fallait donc le souffle tout proche de la lutte pour qu'à l'indépendance, la mémoire du peuple impose ses propres noms à côté de ceux que sélectionnait déjà le pouvoir. Déjà histoire officielle et mémoire populaire se disputaient les noms des lieux. Il est hautement significatif que les Oranais appellent encore la clinique de Larribère du nom du docteur qui l'a fait passer d'un lieu d'utilité sociale à un lieu hautement symbolique, d'un lieu légendaire. Les bureaucrates de la mémoire qui ont donné à ce lieu légendaire un nom certainement légitime, venaient de trancher dans ce débat entre mémoire d'Etat et mémoire populaire, en exerçant le pouvoir de décider de la mémoire. Non seulement le nom de Larribère passe à la trappe du déni mais il se trouve que ce nom par sa consonance étrangère rappelle aussi que la guerre de libération doit beaucoup aux luttes sociales et politiques de notre peuple. La particularité unique des colonies de peuplement comme l'Algérie ou l'Afrique du Sud est qu'elles sont un lieu de passages entre communautés. Des Algériens indigènes ont rejoint les colons, des non-indigènes sont devenus Algériens. Les jeunes d'aujourd'hui ne comprendraient rien à nos luttes nationales, à notre guerre de libération si on leur occulte que le plus grand crime colonial a été de dresser par mille ruses ou par mille formes de corruptions, comme avec les Bengana qu'on veut réhabiliter aujourd'hui, des indigènes contre des indigènes, des Algériens contre des Algériens. Et même en général d'avoir dressé des colonisés contre des colonisés, des tirailleurs algériens et marocains contre les Vietnamiens, des Sénégalais contre des Algériens, des maghrébins contre les syriens etc.
Alors, précisément, des noms comme Larribère, Chaulet, Counillon, Iveton, Maillot, Laban, Mandouze, qui permettraient de faire œuvre de gratitude et de pédagogie nationale pour montrer et démontrer à la fois la grandeur de notre cause et sa justesse, sont passés à la trappe du déni. C'est frapper fort, dans la mise à mort de la mémoire. Ces bureaucrates viennent d'achever un long processus de dépossession du peuple de son pourvoir de nommer les lieux par lui-même.
Ce papier est trop court pour explorer les pistes qui nous mèneraient vers la compréhension de la forme élargie de ce phénomène. Je vais quand même vous dire mon intuition. Longtemps les Algériens se sont plaints qu'on les case dans des lieux sans nom, des cités atrocement anonymes et déshumanisées. Nous restons encore le pays des cités des 100, ou 200 ou encore 1200 logements, etc. Les mieux lotis avaient eux-mêmes inventé les noms de leurs cités, cité DNC, cité Sonatiba, cité SNS etc., du nom des entreprises qui les avaient construites ou fait construire. Mais, à ces citoyens qui se plaignaient ou se plaignent encore, de ce fait, il faut rappeler quand même que le lieu de construction de leurs cités avaient des noms et les gens qui habitaient ces lieux ont continué d'appeler les lieux par leurs noms. Ce sont les portions de territoire prise par l'Etat pour ériger les cités qui changeaient de dénomination et devenaient des cités DNC ou 500 logements. Observez que lorsque des Algériens achètent des terrains pour construire leurs demeures, ils désignent leurs nouveaux lieux par leurs noms : ouled Belhadj, ouled Hadjadj, etc. Dans la décision de l'Etat de donner enfin des noms de lieux à ces cités, les noms des martyrs ne viennent pour ajouter du sens à ces espaces ou ces territoires et les relier à une épopée mais à légitimer sa décision régalienne d'extraire des territoires de leurs identités en les laissant longtemps innomés pour, ensuite, se rattacher ces espaces en les rattachant à une histoire d'Etat sans sens particulier pour les personnes concrètes qui emplissent les lieux de pères en fils ou déplacés des recasement. Nommer, c'est s'approprier l'histoire de la terre et du territoire, c'est étendre son pouvoir, prendre possession, changer par le nom le rapport aux héritages culturels, faire fondre dans un projet d'Etat l'angoisse des particularismes et du singulier. Il faut que la mémoire populaire soit soumise aux bureaucrates, condition nécessaire pour qu'ils se soumettent l'Etat lui-même et en dépouillent le peuple. Les martyrs ne sont pas la seule source des noms à donner aux lieux. Beaucoup de héros moururent après 1962, et d'autres personnalités que les militants ou les militaires exercent aussi un effet d'attraction et de confortement de notre identité nationale, de contenu positif de notre conscience nationale.
En cette année du centenaire de Mouloud Mammeri, il est plus qu'urgent de repenser les rapports de la Nation et de la patrie à la vérité historique et aux mythes fondateurs, d'arracher à la bureaucratie, le pouvoir létal pour notre pays, de décider ce qu'il faut retenir ou non de notre histoire, de ce qui peut nommer nos lieux et nos vies. Nommer pour inventer du sens qui nous vide de notre histoire : voilà le dilemme d'une histoire qui se détache de sa chair et de son sang et dans lequel le sort de Larribère nous indique le sort qui attend le pays tout entier à l'heure du Mak et des Ferhat Mehenni.
M. B.
1- alger-republicain.com/Lettre-de-la-famille-Larribere.html


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