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L'impérialisme humanitaire de Jean Bricmont pour comprendre la frénésie de l'ingérence
«Le militant anti-apartheid Stève Biko disait que l'arme la plus puissante entre les mains de l'oppresseur est le cerveau de l'opprimé»
Publié dans La Tribune le 15 - 05 - 2008

Voilà un livre clé, préfacé par Noam Chomsky, au bout duquel je n'ai envie, pour toute note de lecture, que de produire sur ces deux pages, en grand et en gras, un conseil : «lisez-le !», tant il me semble qu'elle resterait en deçà, bien en deçà, de ce qu'il contient et tant je crains de réduire la complexité du travail à quelques résumés condamnés à raccourcir les chemins qu'elle a empruntés. Jean Bricmont, dans un travail de fouilles impressionnant, n'a évité aucune des difficultés que posait l'examen d'une idéologie tout à la fois dominante, hégémonique et il ne s'agit pas de redondance dans la juxtaposition de ces deux mots, socialement et culturellement meurtrière pour ses opposants et bénéficiant des armes de la bonne conscience et des apparences de son «évidente vérité». Jean Bricmont aborde le thème, renouvelant le travail de Sisyphe de tous ces intellectuels obligés, pour démonter les mensonges, de tout remettre à plat, en questionnant les mots, les idées, les faits, les rapports établis et l'histoire. Il le fait avec un souci constant d'en rester au niveau auquel l'idéologie des droits de l'Homme se targue d'agir et de se légitimer : l'éthique et l'universel auquel prétend toute éthique et sans lequel elle ne serait pas ni ses corollaires comme la liberté et la responsabilité. Bref, Bricmont reste sur le terrain de cette idéologie ne fuyant aucun de ses pièges, aucun de ses arguments, les relevant et les notant un à un, les examinant un à un, leur répondant dans une démarche d'une rigueur certainement nourrie par une grande probité intellectuelle et sa formation de physicien. L'idéologie des droits de l'Homme répond-elle aux critères de validité de l'éthique dont le principal est qu'elle doit être valable pour tous et agir en tant que principe sans égard aux circonstances et aux sujets concernés ?
Jean Bricmont va déblayer le terrain méthodiquement. Il nous remet sous les yeux des documents qui nous rappellent cette vieille règle, connue de tous et constamment oubliée, que le dominant pense, croit et déclare toujours agir pour le bien dominé ; peu importent les termes employés au cours des siècles, des conditions concrètes, des hommes et de cultures en question.
L'essentiel reste la structure du sens que se donnent les maîtres face aux esclaves, les seigneurs face aux serfs, les colons face aux colonisés et, aujourd'hui, les puissances impériales face aux peuples. Rappel nécessaire pour dévoiler que le discours actuel sur les droits de l'Homme appartient bien à la sphère des idéologies, et non du droit si on épargne au droit un rôle de représentation sociale, par ses fonctions justificatrices et légitimantes de l'usage de la violence et du permis de tuer de la part d'Etats et de gouvernements. La déclaration des droits de l'Homme reste une déclaration jusqu'au moment où des hommes s'en emparent pour s'arroger un droit sur d'autres hommes sous les différents prétextes de lutte contre les dictatures, la légitime défense préventive, la libération des femmes, etc., toutes préoccupations qui disparaissent dès que l'invasion a eu lieu et que l'occupation s'est installée comme le note l'auteur. Qui se soucie aujourd'hui des femmes afghanes ou de la vie des Irakiens ?
Mais il ne suffit pas, à ses yeux, de ramener dans nos souvenirs qu'hier on envoyait les canonnières pour nous civiliser et qu'aujourd'hui on envoie les marines et troupes de l'OTAN pour apporter au bout de nos morts la liberté et la démocratie. Si, par essence, les principes sont généraux, l'examen de leur réalisation doit être concrète car c'est bien sur le concret qu'elle agit et c'est bien dans le concret qu'elle doit prouver l'accomplissement de son discours. Méthodiquement, Bricmont reprend les grandes questions autour desquelles cette idéologie s'est déployée, a produit des effets, entraîné l'adhésion passive ou active des opinions publiques, mobilisé médias et militants. Bosnie, Irak, Serbie, Rwanda, Kosovo, Haïti, Afghanistan, Indonésie, Vietnam, Palestine, Congo belge, Cambodge, etc.
Crimes et crimes
Une fois établie la nature d'idéologie de ce discours, Bricmont passe au crible ses justifications qui fonctionnent aussi comme mécanismes de culpabilisation de tous et d'intimidation de ses opposants : la passivité qui a permis à Hitler de commettre ses crimes et l'aveuglement qui a permis le Goulag. Mais crimes pour crimes, Bricmont dresse le tableau impitoyable de tous les crimes de masse perpétrés par les démocraties occidentales directement ou les régimes qu'elles ont mis en place à travers subversions et coups d'Etat. La somme en est considérable, des millions et des millions de morts, avec cette différence qu'il s'agit de crimes discontinus dans l'espace et dans le temps. Le lecteur a envie de s'écrier qu'Hitler avait ses camps de la mort et Staline ses goulags mais que les Etats-Unis et l'Occident démocratique ont transformé le monde entier en camps itinérants de la mort. Là où se lève une adversité, les prétextes sont inventés et les justifications préparées pour tuer au nom d'un droit, d'une liberté, d'une démocratie devenus la norme universelle de civilisation. Et il ne s'agit pas de crimes réactifs, émotionnels comme on voudrait nous le faire, en partie, croire après le 11 septembre mais d'une attitude délibérée, réfléchie, très ancienne. Bricmont ouvre son introduction par une citation d'un texte écrit en 1920 par B. Russel, l'éminent scientifique et philosophe anglais : «Il est évident, lorsque l'on considère l'attitude du monde capitaliste face à la Russie soviétique, de l'Entente face aux empires centraux, et de l'Angleterre face à l'Irlande et à l'Inde, qu'il n'y a pas de degré de cruauté, de perfidie ou de brutalité auquel les détenteurs actuels du pouvoir éviteront de descendre lorsqu'ils se sentent menacés.» Pourquoi distinguer entre les crimes et pourquoi discriminer entre les criminels ? Bricmont en cherchera les raisons en remontant loin vers les sources tues de cette idéologie. Il se demande pourquoi Bruxelles conserve la statue d'un criminel avéré comme Léopold qui a fait assassiner des dizaines de milliers de Congolais quand on exige la destruction des statues de Staline. Il nous livrera une citation de Hegel : «Je me souviens d'avoir lu qu'un ecclésiastique fait sonner à minuit une cloche pour les rappeler [les Indiens d'Amérique] à l'accomplissement de leurs devoirs conjugaux, car, livrés à leur propre initiative, même cela ne leur serait venu à l'esprit […] Les nègres représentent l'homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. Pour le comprendre, nous devons abandonner toutes nos façons de voir européennes. Nous ne devons penser ni à un Dieu personnel ni à une loi morale ; nous devons faire abstraction de tout esprit de respect et de moralité, de tout ce qui s'appelle sentiment, si nous voulons saisir sa nature… on ne peut rien trouver dans son caractère qui s'accorde à l'humain.» (in la Raison dans l'histoire). Les morts noirs ne tiennent pas de la mort humaine et Léopold conservera sa statue. L'idée de la supériorité occidentale a de vieilles racines et l'objection que les humanitaires condamnent et, même, combattent le racisme ne tient pas la route. Qui leur a donné la qualité et le droit de penser que leur mode de vie et d'exercice politique est supérieure à celui des autres ? La réponse est nette : le sentiment que leur modèle est supérieur. Les justifications et les mots ont changé, pas le sentiment d'un statut supérieur. Il n'est pas étonnant de trouver massivement la gauche française dans le gros des bataillons qui demandent à leurs gouvernements d'intervenir et de s'ingérer. La gauche française a été fervente colonialiste et une «missionnaire» du progrès. Elle reste dans sa tradition. Mais demander à son gouvernement d'intervenir, de porter la mort dans les peuples pour leur bonheur et pour les amener à un degré supérieur ne relève plus de la seule idéologie. Cela devient de l'impérialisme. Et le titre du livre de Bricmont s'en trouve pleinement justifié. Il existe évidemment d'autres facteurs, d'autres raisons, aux interventions étrangères et aux malheurs de nos peuples. Bricmont les passe en revue avec une minutie de laborantin. Pourtant, dans un argumentaire que vous allez découvrir implacable, il garde les distances du scientifique à son objet. Il ne polémique pas, ne décrète pas, n'emploie aucun ton péremptoire. Il tranche sur les questions essentielles mais, tout au long de son texte, il débat. Il discute. Il ne coupe les ponts ni ne rompt les possibilités de communication avec la masse des hommes et des femmes qui se sont laissés entraîner de bonne foi dans cet impérialisme humanitaire, et souvent, suite à l'effondrement des anciennes formes de lutte pour la justice et la liberté que représentait le mouvement socialiste. C'est vous dire combien ce texte recèle des valeurs scientifiques couplées à de hautes valeurs humaines. Et s'il existe une éthique, elle bien chez Bricmont. Je vous invite instamment à les découvrir en vous répétant que ni cette note de lecture ni même les citations que je vous ai choisies ne suffisent à refléter toute la richesse et toute l'importance de ce livre.
M. B.


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