Photo : APS Par Abderrahmane Semmar Revisitant les mythes, la mémoire, scrutant l'esprit de la modernité et planchant sur la difficulté de la circulation de la production littéraire en Afrique, le symposium des écrivains africains n'a guère cessé, depuis l'ouverture de ses travaux mercredi dernier et jusqu'à la leur clôture vendredi dernier, de repousser les frontières intellectuelles dressées par les contingences historiques. L'Afrique est un continent littéraire à bien des égards, et le symposium des écrivains africains tenu à Alger a su le prouver en l'espace de trois jours. Tout a donc commencé avec la relation, dans la littérature africaine, entre les mythes ancestraux et la modernité, qui a été débattue dès le premier jour. Et à ce propos les avis ont divergé, les lectures ont concilié et les analyses ont affiné une vision des mythes africains trop longtemps «eurocentrique». «Je n'écris que par ma tante et le maître de mon village. Ma tante disait dans ses adages l'énigme de l'existence», a indiqué d'emblée, au cours de son intervention, l'écrivain congolais Gabriel Okundji, qui a mis en exergue l'importance des mythes transmis dans l'enfance tout en évoquant la «quête poétique à partir de l'expérience des anciens». «L'homme doit savoir être propriétaire de ses empreintes culturelles», a ajouté l'auteur pour qui «le conte exhale les vertus bienfaitrices des aînés». Mohamed Kacimi, pour sa part, a évoqué tous les mystères entourant les mythes, «mythes continuant à traverser parfois la vie comme un écran total à la réalité du monde». «En croyant aux mythes, on passe souvent à côté de l'histoire», a conclu l'écrivain algérien, spécialiste également en théâtre. De son côté, l'écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert a évoqué la relation très étroite entre l'histoire et les mythes. «Le rôle de l'écrivain n'est-il pas de questionner l'histoire qu'il faut désacraliser pour amener nos pays à entrer dans la modernité», a affirmé Dalembert qui a, par ailleurs, mis en exergue la relation entre l'identité et l'histoire. «Nous écrivons dans les échos des événements historiques et des grandes figures de notre histoire», relève-t-il. Le journaliste et écrivain algérien Merzak Baghtache, quant à lui, a souligné l'importance des dialectes en Afrique, continent qui en compte des milliers. «Les écrivains africains qui s'expriment dans leurs dialectes auront-ils la chance de se faire connaître en dehors de leur pays ?» s'est interrogé l'intervenant. Concernant l'intertextualité ainsi que le rôle de la mère dans la transmission des mythes, le flamboyant écrivain congolais Alain Mabanckou s'est élevé contre «la bâtardise des mythes». A l'entendre, la mythomanie produit une idéologie qui humilie, massacre et réprime. Il en veut pour preuve le génocide du Rwanda qui n'est que la résultante de ce mythe des ethnies africaines supérieures à d'autres. «Le génocide du Rwanda a été fondé sur un mythe. Et même les colonisateurs ont utilisé les mythes pour soumettre les Africains. L'Afrique n'a pas le monopole des mythes et nous les Africains on doit comprendre que la modernité passe par la rencontre avec les autres», a souligné dans son intervention Alain Mabanckou. Quant à l'écrivain poète algérien, Mustapha Kebir Ammi, il considère que la littérature est en elle-même une écriture des mythes anciens. «C'est pour cela que l'écriture nous permet de recoller les morceaux de notre être. C'est un chemin de lumière dans l'océan intime des ténèbres», déclare l'auteur de Ciel sans détour, estimant que l'écrivain n'a pas à apporter des réponses à toutes les questions qu'on lui oppose. Au deuxième jour du symposium, c'est la jeune littérature algérienne qui a volé la vedette aux autres expressions littéraires africaines. En effet, un état des lieux de la jeune littérature algérienne a été dressé sans complaisance. «Les écrivains des années 1990 ont refusé le style littéraire réaliste des années 1970 et cherché un nouveau genre littéraire sur lequel se baser», a indiqué à ce titre l'universitaire Mohamed Sari, ajoutant que la littérature en tant que fiction «a toujours été accompagnée d'un savoir, un savoir qu'il faut capitaliser». «La littérature a toujours été et est le reflet de l'environnement social, économique, culturel et linguistique», a-t-il commenté. L'écrivain et éditeur Sofiane Hadjadj estime, pour sa part, que «les littératures algérienne et africaine ont trop à faire avec l'histoire et ne sont pas confrontées avec la géographie des villes». «La question de l'imaginaire est encore minoritaire dans notre société», a ajouté le conférencier. Vivant en France, et auteur de nombreux romans à succès, Akli Tadjer a évoqué lors de cette table ronde consacrée à la jeune littérature algérienne son expérience d'écrivain confiant : «Quand je commence un livre, qui est un bon moyen d'évasion, je ne connais pas le cheminement que je vais suivre pour aboutir à la fin.» «A force de parler du particularisme des littératures algérienne et africaine, on risque de les voir tomber dans un ghetto», a par ailleurs averti l'écrivain pour qui la littérature «a vocation, avant tout, d'être universelle et de toucher le cœur des êtres humains, de tous les êtres humains sans distinction». «Il n'y a pas de mal à écrire dans une langue étrangère. Les langues doivent être considérées comme des ponts qui réunissent les hommes des différentes cultures», a-t-il conclu. L'oralité a retrouvé son défenseur en la personne de Brahim Tazaghart dont les livres sont écrits en tamazight. L'auteur a évoqué ses débuts littéraires, confiant avoir découvert l'écriture grâce à sa mère, laquelle, même si elle ne savait pas écrire, composait des poèmes qu'elle lui récitait, alors qu'il était encore enfant. «L'Afrique partira inévitablement de l'oralité vers l'écriture sans renier ses mythes», a-t-il affirmé. Pour lui, «s'approprier les langues étrangères ne signifie pas renier sa langue maternelle». Foisonnante, riche en références culturelles et symboliques, moderne et authentique, force est malheureusement de constater que la littérature africaine circule difficilement dans son continent. Et pour cause, des éditeurs africains sont dépourvus de moyens financiers qui leur permettent de commercialiser leurs livres sur notre grand continent. Quant aux livres publiés en Europe, ils sont très chers et inabordables pour les Africains ordinaires. «Entre la nourriture et un livre, le choix de l'Africain est clair», a assuré Monique Ilboudo, femme de culture et ambassadrice du Burkina Faso au Danemark. Mais à ce sujet, Evire Maurouard, essayiste et romancière haïtienne, met en cause les carences de l'éducation culturelle en Afrique pour expliquer les contours très réduits du lectorat africain. De son côté, l'auteur algérien Yahia Belaskri appelle à une forte coopération entre les éditeurs africains et étrangers pour que les livres des écrivains africains établis en Europe puissent être disponibles en Afrique. Des éditeurs présents au symposium ont appelé à la concertation pour constituer des réseaux d'éditeurs africains qui permettraient de faciliter la circulation du livre africain dans le continent. Des propositions concrètes ont donc été discutées et des éditeurs africains se sont donné rendez-vous pour passer aux actes. Des actes, c'est ce que les littératures africaines attendent impatiemment pour évoluer dans un monde déstructuré et en permanence en crise. En attendant, balançant entre les mythes et les déchirements de la modernité, les productions littéraires africaines demeureront encore des expressions artistiques non identifiées. Au plus grand bonheur des lecteurs…. Tout de même.