Près d'une semaine après la furie de l'oued Fedhala, la commune montagneuse de Beni Fedhala (40 km environ au sud-ouest de Batna) ressemble à une zone sinistrée, dont l'agriculture, axée sur l'exploitation d'un long ruban de vergers longeant ce cours, a été ruinée par une crue d'été. Ces habitants, estimés à 1 507 par le dernier recensement, sont sous le choc. «Il ne me reste qu'à prendre ma veste et voir où aller», affirme sur un air éperdu Saïd Touatit, 66 ans, au milieu de son verger au village de Tibhirine, dont les 800 pommiers de la variété Royal, aux fruits arrivés à maturité, ont été soit arrachés, soit mis à terre par les flots. Les quatre puits de ce paysan ont été obstrués par les boues, pierres et troncs d'arbres charriés par la crue, alors que ses cinq pompes, sa ligne électrique et ses systèmes d'irrigation au goutte-à-goutte semblent n'avoir jamais existé. «De toute ma vie, je n'ai jamais vu rien de pareil», affirme ce sexagénaire. L'envergure des flots de l'oued, sorti hors de son lit, avait atteint le 14 juillet au soir plus de 150 mètres, affirme le président de l'Assemblée populaire communale, M. Brahim Tiri. L'impétuosité des eaux descendues des hauteurs des forêts de Z'gag et d'Oustili, relève-t-il, était telle qu'elle a dévasté la quasi-totalité des vergers de la commune du village de Boussalam à Timahjart en passant par Tibhirine, Akkar, Tarkiket, Taananet, Merkeg El Jabs et Taghrout Ouziane, sur plusieurs kilomètres. Onze pylônes électriques ont été arrachés. Certains de ces poteaux métalliques ont été comprimés par la pression du torrent et des gros troncs déplacés. Les équipes de Sonelgaz ont commencé à réparer les dégâts, mais l'approvisionnement en électricité n'est encore que partiel. Le réseau d'alimentation en eau potable a été également endommagé, même si les forages de la commune, creusés à des endroits bien élevés, ont été épargnés. Pour boire, la population recourt actuellement aux camions-citernes mobilisés par la commune. Les services municipaux ont ouvert un fichier pour recenser les dégâts. 142 agriculteurs y sont déjà portés, et l'opération demeure ouverte. D'autres, sous le choc, ne savent plus à quel saint se vouer. Au total, cette localité rurale compte 357 agriculteurs déclarés exploitant 15 787 hectares, dont 267 de vergers fruitiers. Les paysans non déclarés sont également nombreux. Pour le vice-président de l'association des paysans de la région de Boussalam, qui compte 140 fellahs, les dégâts causés à l'agriculture sont «catastrophiques, et, à défaut d'aides publiques d'urgence, la plupart des agriculteurs ne pourront plus se relever après ce coup». Certains paysans tentent de redresser les arbres couchés par les eaux, en les appuyant sur des branches, mais sans se faire d'illusions. «Même remis sur pied, ces arbres sont bel et bien morts. Mais c'est là le peu qu'on peut faire», affirme Ziane Mohamed du village de Taananet, qui a perdu la moitié du fruit de ses dix ans de labeur, un verger de 600 pommiers et pêchers, et regarde aujourd'hui l'autre moitié périr à petit feu sous le poids des tas de boue, vases, débris de bois mort et autres cadavres en putréfaction d'animaux déposés par le torrent. «Ces dépôts étouffent mon verger. Et je n'y peux rien», affirme-t-il, en soulignant que l'odeur fétide dégagée par ces amas signale la présence de cadavres d'animaux. Les vergers se trouvant dans la même situation sont légion, affirment les paysans de Timahjart, Tibhirine, Akkar, Tarkiket, Taananet, Merkeg El Jabs et Taghrout Ouziane, venus déclarer leurs dommages aux services municipaux. «La priorité pour nous est de sauver nos puits obstrués par les boues, les vases et multiples autres débris», affirment-ils. Pour le technicien agricole de la commune, il faudrait en urgence mobiliser des motopompes pour extraire les boues et éviter qu'elles ne ferment irréversiblement les puits et ne changent le cours des eaux souterraines. Déficitaire, la commune n'a pas les moyens de satisfaire à cette requête pressante, affirme le président de l'Assemblée municipale élue, qui souligne que les seuls espoirs résident dans des aides d'urgence accordés par les pouvoirs publics pour sauver d'une faillite certaine l'économie exclusivement agricole de cette localité. Une des plus vastes communes de la wilaya de Batna avec 29 918 hectares de superficie, Beni Fedhala, renferme le plus grand peuplement forestier, s'étendant sur 11 220 hectares de chênes, de genévriers, de pins et même de cèdres de l'Atlas. Beni Fedhala est également un des plus importants potagers de la wilaya, au point qu'elle a acquis le sobriquet de «casseuse des prix», comme affirmé dans le proverbe bien connu des agriculteurs, selon lequel «quand les légumes de Beni Fedhala arrivent sur le marché, les pauvres sauront acheter». APS