Avec l'Imposteur, son sixième roman, l'auteur sud-africain Damon Galgut dissèque froidement et implacablement sa société pour mettre en évidence la dégradation des relations humaines dans une nation où l'apartheid n'a pas complètement disparu. Pis, il n'aurait même, dans certains cas et comportements, que changé de visage. A travers l'histoire de son héros, Adam, il oppose le réalisme aux discours des officiels qui dépeignent la «Nouvelle Afrique du Sud» sous des traits idylliques. Adam, un Blanc entre deux âges, se sent exilé dans son Afrique du Sud. Il vient de perdre son travail à Johannesburg : en vertu des «quotas raciaux», il a été remplacé par le jeune stagiaire noir qu'il avait formé. Hébergé par son jeune frère Gavin, il ne sait pas quelle direction donner à sa vie. Poète, il a déjà publié un recueil, mais la critique l'a flambé. Sur un coup de tête, il s'installe dans une vieille maison du bush sud-africain pour essayer de retrouver sa muse. Mais la solitude ne lui réussit pas. Un jour, il voit débarquer, dans un 4x4 rutilant, Canning, un opportuniste qui projette de construire un complexe touristique en «achetant» les faveurs des responsables locaux. Pour se donner l'image d'un moderniste, Canning, le Blanc, a épousé Baby, une ex-prostituée noire. Il prétend être un ancien camarade de classe d'Adam. Mais ce dernier n'a aucun souvenir de lui. Pourtant, parce qu'il n'attend plus rien, parce que le vide emplit sa vie, il accepte cette nouvelle amitié, relation, dans sa vie… L'Imposture tire un parallèle entre la vie d'un homme qui n'a pas fini de repartir après les échecs et le destin de toute une nation qui n'a pas fini de renaître. Le journaliste et homme de littérature Hubert Artus qui a interviewé Damon Galgut pour le site Rue89, lui demandera si la relation Adam-Canning est une «métaphore de l'Afrique du Sud». Galgut répondra qu'«il n'y a pas de résonance politique, ici, pour moi. J'ai grandi à Pretoria, et, lorsque j'y retourne, je croise toujours des gens qui disent qu'ils étaient à l'école avec moi, et moi je fais semblant de me rappeler… En général, ces rencontres remuent des strates de souvenirs et de significations. Moi, j'ai voulu faire l'inverse : une rencontre qui est seulement un point de départ. Sans mémoire. Vide de souvenirs. Qui n'emmène que vers l'avant, vers une sorte de mémoire neuve […]. Cette rencontre entre Adam et Canning est au centre du livre. Vous avez raison, j'ai effectivement voulu réfléchir sur la façon dont un pays se reconstruit, reconstitue ses souvenirs, sa mémoire nationale, ce qu'il préfère oublier». A la question de savoir ce qu'est pour lui «la nouvelle solution sud-africaine», par rapport à l'image qu'en donne Canning à travers son mariage avec Baby, l'auteur sud-africain dira que «dans les années 1990, après la libération de Nelson Mandela et durant sa présidence, il y a eu beaucoup de discussions en Afrique du Sud sur la question communautaire, celle des quotas raciaux, de la discrimination positive. Mais en fait, la société est devenue individualiste, c'est chacun pour soi. Le mariage entre Canning et Baby, lui, incarne le mariage de deux nouvelles tendances, hypocrites, chez les Noirs comme chez les Blancs». Quant à la structure de cette «New South Africa» dont il parle, pour Galgut, elle ne présente pas réellement de grandes différences avec l'ancienne Afrique du Sud, du temps de l'apartheid. «D'ailleurs, mon titre reflète ça aussi : cette nouvelle Afrique du Sud, dont on parle, c'est autant une idée qu'une imposture. La sémantique raciste est restée, mais s'est recouverte d'une couche politiquement correcte. Par exemple, dans le milieu des affaires, on ne dit plus ‘‘un Noir'', mais ‘‘une personne autrefois discriminée'' [‘‘previously disavantaged person''] ! C'est aussi discriminatoire et segmentant, mais ça ne choque pas. On investit une énergie folle à trouver de tels subterfuges, et pendant ce temps on ne trouve pas de solutions aux problèmes sociaux. Donc le terme ‘‘nouveau'' est là pour vider de leur sens de nombreux changements ayant eu lieu, et cacher les problèmes qui subsistent : 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et pour eux il n'y a rien de nouveau […]. La discrimination positive existe encore, mais pour autant les Blancs sont toujours en position de force dans les systèmes économiques du pays. Je pense que la discrimination positive est nécessaire, mais elle pose des problèmes : des gens se retrouvent à un poste ou à des places pour lesquels ils n'étaient pas faits, juste parce que les quotas exigent qu'ils y soient…» explique l'écrivain. Damon Galgut est né à Pretoria en 1963. Écrivain précoce, il signe son premier roman à l'âge de dix-sept ans. A Sinless Season sera suivi d'un recueil de nouvelles, Small Circle of Beings en 1989. Il a reçu en 1991 le CNA Literary Award pour son deuxième roman, The Beautiful Screaming of Pigs. Depuis, il a publié la Faille (Verticales, 1998) qui a été adapté au cinéma par Marion Hänsel (grand prix du livre de la ville de Montréal) et Un docteur irréprochable (finaliste du Booker Prize 2003). H. G.