C'était il y a deux ans et le «printemps arabe» battait son plein, porté par une première vague tunisienne, puis égyptienne et enfin libyenne avant qu'un mouvement insurrectionnel gagne la Syrie. Comme dans ces pays précurseurs, c'est à travers Facebook que des jeunes internautes ont fait passer le message. Ils réclamaient un «jour de colère» pour exiger des réformes politiques et sociales. Encouragés par la tournure prise par les révoltes en Tunisie et en Egypte, accueillies avec sympathie en Occident, les manifestants ont été relativement nombreux à répondre à l'appel en se massant au centre de Manama. La révolte ne devait durer qu'un mois et elle était portée par des revendications claires et légitimes : la fin des discriminations dont sont victimes les Bahreïnis de confession chiite. Pour une révolte qui devait durer un mois seulement. La répression sera brutale et hors de proportion. Pourquoi ? Géostratégie, géopolitique, crainte d'un renversement confessionnel, intérêts économiques… sont les éléments d'explication a contrario -par rapport aux autres pays du «printemps arabe»- de la violence de la répression par laquelle ont répondu les autorités. La révolte née il y a deux ans est largement le résultat de réformes inabouties, au plan interne, et de l'ingérence des pétromonarchies voisines, appuyées par les Etats-Unis, au plan externe. Pour comprendre la panique qui s'est emparée de la dynastie des Hamad et de leurs alliés occidentaux et la brutalité de la répression, il suffit de rappeler une originalité, à leurs yeux insupportable : Bahreïn est le seul pays du Golfe composé d'une majorité de chiites (voir encadré) et qui, non seulement ne détiennent pas le pouvoir mais en sont sciemment exclus. Marginalisés par le pouvoir sunnite, ils n'ont pas accès notamment à certains postes sensibles dans l'Administration et la sécurité. Depuis son indépendance en 1971, Bahreïn, émirat devenu monarchie en 2002, est d'ailleurs dirigé par une dynastie, les Al-Khalifa dont sont issus le chef de l'Etat, le Premier ministre et les vice-Premiers ministres, la direction des forces armées et des services de sécurité… Si la révolte, violente, est récente, la contestation est beaucoup plus ancienne. Des réformes avaient été d'ailleurs engagées au début des années 2000, mais sans trop avancer. Raison pour laquelle, le triptyque revendicatif est resté pratiquement le même : une monarchie constitutionnelle, un gouvernement issu d'élections et la fin de la discrimination confessionnelle. C'est un constat identique qu'a d'ailleurs dressé le 14 février dernier Amnesty international, pour les deux ans du soulèvement. L'ONG reproche au pouvoir de perpétuer les pratiques de violation de la liberté d'expression et de détenir des opposants en prison depuis février 2011 et dont elle réclame la libération.
Silence coupable Amnesty admet que «le gouvernement a introduit quelques réformes, comme la nomination de deux médiateurs chargés de lever le voile sur les abus perpétrés par le ministère de l'Intérieur, l'installation de caméras dans les commissariats ou la réouverture de négociations avec l'opposition. Mais la liberté d'expression est toujours piétinée, tout comme celle d'association et de rassemblement», relève l'ONG Pris entre les intérêts américains, les grandes familles de l'Arabie saoudite et du Qatar, le Bahreïn est victime de sa position stratégique dans le Golfe. La contestation bahreïnie donne l'impression d'être bloquée dans une impasse, faute d'un dialogue sincère et constructif. Il n'y a pas que la famille Al Khalifa qui bloque, les autres monarchies du Golfe sont hantées par un effet domino qui les soumettra aux mêmes difficultés. Un autre round de discussions (appelées dialogue) a été ouvert ce 10 février par le pouvoir bahreïni avec l'opposition, mais il y a fort à parier que cette séquence connaîtra le même sort que les précédentes, car les réponses à apporter seront imposées par l'Arabie saoudite, le Qatar et les Américains. Elles seront, il faut s'y attendre, avec les bouleversements qui agitent le contexte régional, notamment le conflit syrien et la tournure communautariste et confessionnelle qu'il prend. Mais sinon c'est un silence calculé : ce qui est bon pour la Syrie, la Libye et l'Egypte ne l'est pas pour la majorité des Bahreïnis. A. S.
Au centre d'enjeux vitaux Pas plus grand que Singapour, Bahreïn est le plus petit des pays arabes avec 711 km2 seulement de superficie. Petit par l'étendue territoriale, mais important par sa position stratégique et sa place dans la géopolitique de la région, c'est précisément en raison de cette position au milieu du golfe arabo-persique, que l'île suscite naturellement les convoitises et est au centre d'âpres luttes d'influence depuis au moins le XVIe siècle quand Ottomans et Portugais y ont établi des places fortes. A partir de 1782, l'île tombe sous l'influence durable de la Perse. Elle modifia les caractéristiques de la société bahreïnie et la marqua d'une empreinte culturelle arabo-persane. Elle apporta également l'islam chiite qui représente environ 70 % de la population actuelle. Depuis la fin du XVIIIe siècle, le Bahreïn est gouverné par la famille Al Khalifa qui a maintenu des liens étroits avec le Royaume-Uni en signant un traité de paix et de protectorat en 1820, renouvelé, depuis, plusieurs fois. Cet accord stipule que le tuteur a un droit de regard sur la politique extérieure de l'émirat et a obligation de lui venir en aide en cas d'agression. Indépendant de la Couronne depuis 1971, l'Emirat change de statut en 2002 pour devenir un royaume sous l'autorité du Roi Hamad bin Issa Al Khalifa depuis 1999. Le gouvernement est dirigé par Cheikh Khalifa bin Salman Al Khalifa, oncle du roi et Premier ministre depuis 1971, et, à ce jour, il est encore en poste. Le Prince héritier est Cheikh Salman bin Hamad Al Khalifa. Il est commandant en chef des forces armées depuis 2007 avec le titre de «Commandant suprême adjoint des forces armées». Le Bahreïn compte 1,2 million d'habitants, dont presque la moitié de nationaux. Il fait face depuis février 2011 à une crise politique persistante aggravée par tensions confessionnelles. La communauté chiite, majoritaire, réclame de la dynastie sunnite des réformes politiques et la fin des discriminations dont elle s'estime victime. Moins richement doté en hydrocarbures que ses voisins du Golfe, le Bahreïn affiche un PIB par habitant de 27 000 dollars, alors que celui-ci atteint 100 000 dollars au Qatar voisin. Les perspectives économiques se sont assombries avec une diminution drastique des revenus pétroliers annonciatrice d'un épuisement de la production d'hydrocarbures. De fait, Bahreïn est sous quasi-protectorat de l'Arabie saoudite, dont la compagnie pétrolière, l'Aramco, exploite le seul champ pétrolier encore en exploitation, celui d'Abou Safaa. Cependant un effort important est consenti depuis les années 70 pour diversifier l'économie du pays. Elle s'est traduite notamment par la présence de 470 établissements financiers (25 % du PIB), faisant du royaume la principale place financière du Golfe, ainsi que la promotion de l'immobilier de luxe et du tourisme. Economiquement dépendant de l'Arabie saoudite, Bahreïn est tributaire pour sa sécurité d'une forte présence militaire américaine. Sa relation avec la première puissance mondiale peut être qualifiée de «très privilégiée», puisqu'il abrite le commandement de la Ve flotte et le Commandement central des Forces navales américaines. A. S.