L'ambitieux plan de transformation économique et social de l'Arabie saoudite amènera un lot de nouveaux enjeux et défis. Analyse. Présenté en avril 2016, le plan de transformation économique et social de l'Arabie saoudite intitulé Vision 2030 avait l'ambition de propulser le royaume au XXIe siècle. Porté par le jeune prince héritier Mohammed Ben Salmane, un vent de changement semblait souffler sur l'une des dernières monarchies absolues au monde, toujours associée au wahhabisme, une branche rigoriste de l'islam sunnite . Ce projet visait à sortir le royaume saoudien de sa dépendance historique au pétrole et promettait des réformes sociales pour mener le pays vers un islam plus tolérant et progressiste. Toutefois, près de trois ans après son annonce, le projet a subi des ratés et est sujet à de nombreuses critiques. Quels sont les enjeux concernant du plan Vision 2030? Un plan de diversification ambitieux La baisse du prix du pétrole entre 2014 et 2016 a engendré des déficits record et l'État saoudien n'a eu d'autres choix que de réorienter ses politiques en misant sur la diversification économique. C'est dans ce contexte qu'a été annoncé le projet Vision 2030. Accessible en ligne, le programme qui est expliqué en détail dans un document de plus de quatre-vingts pages est orienté autour de trois thèmes : une société dynamique, une économie prospère et un pays ambitieux. Pour dynamiser la société, l'État saoudien mise sur le développement du secteur culturel et du divertissement. De plus, on souhaite augmenter la qualité de vie en encourageant l'activité physique, en améliorant les services de santé et en rendant la vie en ville plus attrayante. On croit ainsi pouvoir faire passer l'espérance de vie de 74 à 80 ans. Afin de rendre l'économie plus prospère, le pays mise sur la diversification économique. On laissera une plus grande place au secteur privé en développant le secteur financier, l'industrie du tourisme et les industries innovantes. En vue d'y parvenir, la monarchie facilitera l'arrivée des femmes sur le marché du travail, en plus d'ouvrir son économie aux investissements étrangers. La section du plan consacrée aux ambitions saoudiennes traite notamment de la bonne gestion gouvernementale, de l'incitation à l'épargne privée ainsi que de la modernisation de l'économie par le truchement de l'augmentation des services en ligne. Pour atteindre ses objectifs économiques, l'État saoudien a articulé son plan autour de douze programmes opérationnels, dont sept ont été dévoilés. Étant donné l'ampleur du déficit, un programme d'équilibre budgétaire a rapidement été mis en vigueur. Celui-ci compte notamment l'instauration d'une taxe de 5% à la consommation, les Saoudiens étant jusqu'alors exempts de ce type d'obligation.
Un projet en contradiction avec les intérêts de la monarchie Possédant approximativement 16% des réserves pétrolières mondiales, l'Arabie saoudite est le plus important exportateur de pétrole au monde. L'industrie pétrolière représente 90% des revenus de ses exportations et approximativement 42% de son PIB . Vision 2030 est donc un projet qui semble logique, permettant à l'Arabie saoudite de réduire sa dépendance au pétrole, une denrée rare dont le prix a beaucoup varié dans les dernières années et dont l'avenir n'est plus assuré comme autrefois. Si rien n'est fait pour sortir le pays de sa dépendance à l'or noir, celui-ci risque de se retrouver face à de nouveaux déficits budgétaires. Par contre, bien qu'elle soit souhaitable à bien des égards, une diversification économique mènera forcément à des changements sociaux importants qui ne seront pas toujours compatibles avec les intérêts de la monarchie saoudienne. C'est l'avis de Samir Saul, professeur au département d'histoire de l'Université de Montréal: " Une économie diversifiée exigera une société plus complexe, plus spécialisée qu'une société qui dépend des matières premières. Le niveau d'éducation devra avancer, il faudra prévoir des changements sociaux. Le problème c'est que la préparation de Mohammed Ben Salmane va dans le sens contraire de ce qu'il pourrait ou devrait faire pour que la diversification réussisse. Pour qu'il y ait diversification et que la société se développe au même rythme que cette économie diversifiée, il faudra une ouverture du système politique. Un système politique où il y a plus de participation de cette société qui va l'exiger de toute façon. " La concentration du pouvoir dans les mains d'un seul homme sera de moins en moins acceptable dans une économie moderne et ouverte sur le monde. Or, les changements les plus importants que Mohammed Ben Salmane (MBS) a opérés depuis son arrivée ne sont pas d'ordre économique ou social; ce sont putôt les changements par lesquels il a réussi à concentrer le pouvoir entre ses mains. Il a d'abord limité les pouvoirs de la police religieuse saoudienne [12]. Par la suite, il a fait enfermer des dizaines de gens d'affaires, princes et proches du régime pendant des mois à l'hôtel Ritz-Carlton de Riyad [13]. Ceux-ci ont été obligés de verser des milliards de dollars en échange de leur liberté. Officiellement, les autorités parlent d'un plan d'élimination de la corruption. Dans les faits, MBS a réussi à récupérer des sommes colossales et à asseoir son pouvoir sur les membres du régime [13]. Seul l'avenir nous dira si le prince est prêt à faire des concessions, mais pour l'instant MBS fait exactement le contraire. Chose certaine, une économie moderne avec une population instruite exigera des changements politiques; or, cela ne représenterait qu'une menace à long terme pour MBS et la monarchie saoudienne.
Tergiversation sur le dossier Saudi Aramco Véritable État dans l'État, Saudi Aramco est de loin la plus importante compagnie pétrolière au monde. Elle serait même, selon certains experts, l'entreprise ayant la plus grande valeur sur la planète [15]. Si Aramco a fait la fortune de l'Arabie saoudite, elle est aussi le symbole d'un pays presque exclusivement dépendant du pétrole. Pour mettre à bien le plan Vision 2030, il est essentiel de revoir la place d'Aramco et même de s'en servir comme levier pour la diversification. C'est pour cette raison que le régime saoudien a fait de sa privatisation un pilier du plan de diversification économique [7][8]. Annoncé en 2016, la vente de 5% des parts de l'entreprise, dont la valeur est évaluée à 2000 milliards de dollars américains [2], permettrait de générer des revenus de l'ordre de 100 milliards et de renflouer le fonds souverain du royaume [2]. Cependant, trois ans plus tard, Riyad tergiverse et l'entrée en bourse d'Aramco a été reportée à de nombreuses reprises. Ces retards sont en partie attribuables à une surévaluation de la valeur financière d'Aramco qui est administrée de manière opaque [15]. La taille de l'entreprise et son importance dans l'économie saoudienne en sont aussi pour beaucoup. Une mauvaise entrée en bourse de ce géant pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur les finances de la pétromonarchie. Il semble aussi que suite à la remontée des prix du pétrole, la privatisation soit moins urgente que lors de son annonce en 2016 [15]. Le ministre de l'énergie saoudien a toutefois annoncé qu'il serait possible de voir une tentative d'entrée en bourse en 2021 [16]. Chose certaine, le jour où Riyad aura besoin de capitaux, la privatisation partielle d'Aramco sera une voie logique à suivre. Pour l'instant, le régime ne semble pas avoir de stratégie claire, et on peut très certainement douter que le Royaume mène à bien Vision 2030 en agissant de la sorte.
Diversifier une économie pétrolière: une utopie ? Le professeur Samir Saul est assez pessimiste quant aux possibilités de réussite du projet de diversification économique : " Il faut comprendre que transformer une économie ultraspécialisée dans une matière première et en faire une économie industrielle, c'est une tâche monumentale, une tâche qui n'a jamais été réussie jusque-là. L'Algérie avait ce projet après son indépendance, le projet c'était d'utiliser le pétrole pour industrialiser le pays, ça n'a pas fonctionné. " Utiliser les revenus du pétrole pour s'industrialiser, c'est exactement ce que l'Arabie saoudite compte faire. Les ressources colossales dont dispose le royaume et sa stabilité politique lui permettront peut-être de développer certains secteurs industriels, mais la route sera longue. Diversifier une économie pétrolière dépasse largement les compétences d'une poignée de personnes. Même entouré des meilleurs spécialistes au monde, MBS ne pourra pas arriver à réaliser ses projets sans la participation du peuple saoudien [17]. Le pays devra favoriser l'entrée des femmes sur le marché du travail et permettre à tous d'agir comme des acteurs dans les nouveaux secteurs de l'économie.