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L'île déserte aux milliers de serpents et de tortues
Golem Grad, en Macédoine
Publié dans Le Midi Libre le 05 - 11 - 2011

Golem Grad signifie «grande ville» en macédonien. Pour une raison dont les siècles ont effacé la trace, c'est le nom donné à l'unique et minuscule île de 600 mètres de long sur 300 de large plantée au beau milieu du lac Prespa, à la frontière de la Macédoine, de la Grèce et de l'Albanie.
Golem Grad signifie «grande ville» en macédonien. Pour une raison dont les siècles ont effacé la trace, c'est le nom donné à l'unique et minuscule île de 600 mètres de long sur 300 de large plantée au beau milieu du lac Prespa, à la frontière de la Macédoine, de la Grèce et de l'Albanie.
Golem Grad est ce qu'il est convenu d'appeler une île déserte, ce qui est vrai au plan de la population humaine : personne n'y habite. En revanche, elle est extrêmement peuplée si l'on prend le temps de compter les reptiles, occupation qui amène régulièrement Xavier Bonnet et quelques-uns de ses collègues à quitter leur laboratoire CNRS du Centre d'études biologiques de Chizé, dans le paisible écosytème charentais, pour rejoindre, à Golem Grad, des confrères serbes et macédoniens. Vingt mille serpents et tortues de terre vivent sur cet îlot solitaire de 18 hectares : la densité est un record mondial. Un phénomène faunistique d'un attrait irrésistible pour un biologiste comme Xavier Bonnet, 48 ans, herpétologue, c'est-à-dire spécialiste des reptiles. En juin, il a débarqué à Golem Grad pour y passer une semaine, comme il le fait deux ou trois fois par an depuis quelques années, à la tête d'une équipe de sept chercheurs français, serbes et macédoniens. Libération les a accompagnés, plantant sa tente avec eux afin d'en savoir plus sur la vie curieuse des bêtes de Golem Grad et de ceux qui les observent.
De très rares morsures
Pour atteindre l'île, perdue dans des montagnes d'une grande beauté, il faut faire des heures de voiture sur une route, puis une piste sinueuse, gagner Konjsko, sur le lac Prespa et, enfin, traverser 2 km en barque. «Ici, les serpents se ramassent au kilo», avait prévenu Xavier Bonnet. Une matinée à fouiner dans les sous-bois suffira pour en rafler trois kilos. Ils sont partout : dans les eaux cristallines du lac, où les couleuvres pêchent de petits poissons, leur mets favori. Dans les arbres, où ces animaux à sang froid aiment à se prélasser au soleil. Sous les pierres, dans l'herbe, et parfois même, non loin de votre assiette. Surprenant, voire effrayant, leur voisinage devient moins incommodant à mesure que les jours défilent. On veillera seulement à les tenir à l'écart du sac de couchage. Pour le reste, l'affaire était entendue avant le départ : qui redoute le sifflement des couleuvres tesselées et des vipères ammodytes — les deux espèces présentes sur l'île — doit se tenir à l'écart de Golem Grad.
Xavier Bonnet, lui, les adore. Depuis vingt ans, il sillonne le monde, de la Nouvelle-Calédonie au Togo, pour étudier ses bêtes favorites, parfois redoutables. Mais les risques sont mineurs, nous assure-t-on : les couleuvres tesselées ne sont pas venimeuses et les vipères ammodytes «mordent rarissimement, explique Xavier Bonnet. Ces animaux sont très craintifs, pas le genre à vous sauter aux chevilles». Pour lui, l'écosystème de l'île est un véritable rêve d'herpétologue, «un lieu exceptionnel, si merveilleusement favorable aux reptiles». Et cela, pour une raison majeure : l'absence de l'homme. Certes, l'île a été peuplée dans des temps anciens. Témoin, les ruines d'un réservoir romain du IVe siècle, des vestiges de basiliques du Ve et des traces de quatre églises du XIVe siècle. Mais l'homme a quitté l'île depuis des siècles, entraînant la disparition de tous les animaux qui lui sont inféodés (chats, rats, chèvres…) et qui dévastent, classiquement, les nichées d'œufs dans toutes les îles du monde, modifiant les équilibres écologiques.
Pâté de thon et piments verts
«Dans ce lieu, hormis quelques rapaces, explique Xavier Bonnet, les serpents ne subissent presque aucune prédation.» Il a commencé à travailler ici en 2007 après que Bogoljub Sterijovski, herpétologue macédonien, lui a parlé de cette île mystérieuse, lors d'un congrès scientifique au Portugal. Depuis, les «terrains» se sont succédé dans ce laboratoire à ciel ouvert, avec l'objectif de comprendre l'évolution de ces populations de reptiles en l'absence de prédateurs, travaux qui ont fait l'objet d'un petit film du CNRS, Golem Grad, l'île aux reptiles. Un des mystères de cette évolution tient à l'existence sur l'île de types nouveaux de couleuvres tesselées, sans les motifs typiques «à carreaux», et arborant des couleurs inconnues ailleurs.
Au boulot, donc, après une toilette à l'eau du lac, et un petit-déjeuner de pâté de thon serbe assaisonné de piment verts crus. Des heures et des jours durant, les scientifiques passent l'île au peigne fin pour capturer et marquer un maximum d'animaux. Certains avec plus de succès d'autres : alors qu'on soulève chaque pierre susceptible d'abriter une de ces foudroyantes vipères prêtes à détaler, Xavier Bonnet, lui, gambade en short à fleurs. «Attraper des serpents, c'est pas plus compliqué que ramasser des escargots», déclare-t-il en tenant entre les phalanges une vipère ammodyte déchaînée. Il la palpe, identifie son dernier repas : «Un petit lézard. C'est la nourriture principale des vipères adultes. Plus jeunes, elles mangent des iules, des sortes de mille-pattes.» Le chercheur manipule des animaux depuis l'adolescence. Des serpents. Et des bêtes plus dociles, tel ce wallaby qu'il garde à son domicile des Deux-Sèvres, confié pour quelques mois, explique-t-il, par la ménagerie du Jardin des plantes à Paris. Ou des tortues d'Hermann.
Cette espèce terrestre est l'autre curiosité de l'île. Plus discrètes que les serpents mais néanmoins fort abondantes, elles passent le plus clair de leur temps à brouter. Ljiljana Tomovic, professeure à l'université de Belgrade, leur a découvert, au fil de ses missions à Golem Grad, une particularité qui, si elle n'est pas inconnue dans le monde animal, demeure toujours une interrogation pour les scientifiques : l'homosexualité. «Les tortues de Golem Grad sont, à ce jour, les seules sur la planète que l'on ait identifiées s'adonnant à de telles pratiques sexuelles, explique-t-elle. Une des raisons principales de nos études ici est de savoir pourquoi ces bêtes, hétérosexuelles à la naissance, changent de comportement par la suite.» L'équipe avance une hypothèse : le relief singulier de l'île.
Balises GPS sur les tortues
Golem Grad est un énorme caillou dont les extrémités sont marquées par d'abruptes falaises. Sur cette masse rocheuse, l'érosion a formé un plateau relativement plat qui ne communique avec les plages découpées de l'île que par de sinueux et étroits sentiers. A l'époque du rut, les mâles s'aventurent partout à la recherche de femelles, y compris dans ces passes menant au plateau. Une fois là-haut, ils sont incapables de trouver le chemin du retour et se retrouvent entre eux, en chaleur, et passent à l'acte.
«Ce scénario nous semble solide, estime Xavier Bonnet, mais nous devons procéder à des explorations complémentaires pour le confirmer. Nous sommes d'ores et déjà certains que les tortues qui développent des comportements homosexuels ne redeviennent pas toujours hétérosexuelles dans un environnement peuplé de femelles. Il y a quelques mois, nous avons posé des balises GPS sur des tortues homosexuelles du plateau et sur des tortues hétérosexuelles de la plage. Nous les avons ensuite relâchées en échangeant leurs positions. Résultat : chacune a rejoint au bout de quelques jours son milieu d'origine et ses pratiques !», s'exclame le chercheur qui ne se lasse pas d'explorer la faune de cette île. Un travail de patience. Chaque animal capturé est marqué, au fer pour les serpents, par une entaille sur la carapace pour les tortues, puis mesuré et pesé avant d'être relâché. «Ainsi, nous avons d'une année sur l'autre une vision du rythme de croissance des deux espèces», explique Catherine-Louise Michel, spécialiste des effets de l'environnement sur la reproduction qui effectue sa seconde expédition.
Les chercheurs disposent d'une sorte de carte d'identité biologique de centaines d'individus - serpents et tortues. Mais l'étude de l'écosystème «nécessite encore des années de travail, relève la jeune chercheure. Le problème, c'est que nous n'en aurons probablement pas le temps : Golem Grad est à la merci d'une invasion touristique qui arrivera tôt ou tard». Le contexte géopolitique a longtemps nui au tourisme dans la région. Mais, maintenant, la Macédoine entend développer son attractivité estivale. «On va au-devant de sérieux soucis, estime Xavier Bonnet. Mais notre travail, qui met en évidence le caractère exceptionnel de l'île au plan écologique, devrait plaider pour un renforcement de la protection du site qui fait déjà partie du parc national de Galitchitsa.»
Pour l'heure, les touristes débarquent au compte-gouttes à Golem Grad, intrigués par les ruines antiques ou attirés par une balade sur un sentier tout récemment tracé. Mais la notoriété de l'île va crescendo. Déjà, des surnoms frissonnants de mystère, tels que «l'Ile aux serpents», se répandent via Internet dans toute l'ex-Yougoslavie et bien au-delà. Dès lors, on imagine sans peine que des voyagistes, vantant les beautés du lac Prespa, puissent attirer, si rien ne s'y oppose, pêcheurs, baigneurs, amateurs de jet-ski et campeurs susceptibles d'allumer incidemment un feu ravageur pour la faune fragile de Golem Grad. Bogoljub Sterijovski, chercheur macédonien membre de l'équipe, révèle que la bourgade de Konjsko était un des lieux de villégiature préférés de Tito. A l'époque de la Grande Yougoslavie, la nomenklatura s'y rendait pour se baigner et admirer les dernières colonies de pélicans dalmates d'Europe. Il raconte aussi qu'à la fin des années 70, son grand-père était payé par le gouvernement pour tuer les serpents de Golem, afin d'ouvrir l'île au tourisme. Aujourd'hui, son scientifique de petit-fils consacre sa vie à leur protection. Les reptiles sont, pour quelque temps encore, peut-être, les meilleurs gardiens du monde sauvage de Golem Grad.
Golem Grad est ce qu'il est convenu d'appeler une île déserte, ce qui est vrai au plan de la population humaine : personne n'y habite. En revanche, elle est extrêmement peuplée si l'on prend le temps de compter les reptiles, occupation qui amène régulièrement Xavier Bonnet et quelques-uns de ses collègues à quitter leur laboratoire CNRS du Centre d'études biologiques de Chizé, dans le paisible écosytème charentais, pour rejoindre, à Golem Grad, des confrères serbes et macédoniens. Vingt mille serpents et tortues de terre vivent sur cet îlot solitaire de 18 hectares : la densité est un record mondial. Un phénomène faunistique d'un attrait irrésistible pour un biologiste comme Xavier Bonnet, 48 ans, herpétologue, c'est-à-dire spécialiste des reptiles. En juin, il a débarqué à Golem Grad pour y passer une semaine, comme il le fait deux ou trois fois par an depuis quelques années, à la tête d'une équipe de sept chercheurs français, serbes et macédoniens. Libération les a accompagnés, plantant sa tente avec eux afin d'en savoir plus sur la vie curieuse des bêtes de Golem Grad et de ceux qui les observent.
De très rares morsures
Pour atteindre l'île, perdue dans des montagnes d'une grande beauté, il faut faire des heures de voiture sur une route, puis une piste sinueuse, gagner Konjsko, sur le lac Prespa et, enfin, traverser 2 km en barque. «Ici, les serpents se ramassent au kilo», avait prévenu Xavier Bonnet. Une matinée à fouiner dans les sous-bois suffira pour en rafler trois kilos. Ils sont partout : dans les eaux cristallines du lac, où les couleuvres pêchent de petits poissons, leur mets favori. Dans les arbres, où ces animaux à sang froid aiment à se prélasser au soleil. Sous les pierres, dans l'herbe, et parfois même, non loin de votre assiette. Surprenant, voire effrayant, leur voisinage devient moins incommodant à mesure que les jours défilent. On veillera seulement à les tenir à l'écart du sac de couchage. Pour le reste, l'affaire était entendue avant le départ : qui redoute le sifflement des couleuvres tesselées et des vipères ammodytes — les deux espèces présentes sur l'île — doit se tenir à l'écart de Golem Grad.
Xavier Bonnet, lui, les adore. Depuis vingt ans, il sillonne le monde, de la Nouvelle-Calédonie au Togo, pour étudier ses bêtes favorites, parfois redoutables. Mais les risques sont mineurs, nous assure-t-on : les couleuvres tesselées ne sont pas venimeuses et les vipères ammodytes «mordent rarissimement, explique Xavier Bonnet. Ces animaux sont très craintifs, pas le genre à vous sauter aux chevilles». Pour lui, l'écosystème de l'île est un véritable rêve d'herpétologue, «un lieu exceptionnel, si merveilleusement favorable aux reptiles». Et cela, pour une raison majeure : l'absence de l'homme. Certes, l'île a été peuplée dans des temps anciens. Témoin, les ruines d'un réservoir romain du IVe siècle, des vestiges de basiliques du Ve et des traces de quatre églises du XIVe siècle. Mais l'homme a quitté l'île depuis des siècles, entraînant la disparition de tous les animaux qui lui sont inféodés (chats, rats, chèvres…) et qui dévastent, classiquement, les nichées d'œufs dans toutes les îles du monde, modifiant les équilibres écologiques.
Pâté de thon et piments verts
«Dans ce lieu, hormis quelques rapaces, explique Xavier Bonnet, les serpents ne subissent presque aucune prédation.» Il a commencé à travailler ici en 2007 après que Bogoljub Sterijovski, herpétologue macédonien, lui a parlé de cette île mystérieuse, lors d'un congrès scientifique au Portugal. Depuis, les «terrains» se sont succédé dans ce laboratoire à ciel ouvert, avec l'objectif de comprendre l'évolution de ces populations de reptiles en l'absence de prédateurs, travaux qui ont fait l'objet d'un petit film du CNRS, Golem Grad, l'île aux reptiles. Un des mystères de cette évolution tient à l'existence sur l'île de types nouveaux de couleuvres tesselées, sans les motifs typiques «à carreaux», et arborant des couleurs inconnues ailleurs.
Au boulot, donc, après une toilette à l'eau du lac, et un petit-déjeuner de pâté de thon serbe assaisonné de piment verts crus. Des heures et des jours durant, les scientifiques passent l'île au peigne fin pour capturer et marquer un maximum d'animaux. Certains avec plus de succès d'autres : alors qu'on soulève chaque pierre susceptible d'abriter une de ces foudroyantes vipères prêtes à détaler, Xavier Bonnet, lui, gambade en short à fleurs. «Attraper des serpents, c'est pas plus compliqué que ramasser des escargots», déclare-t-il en tenant entre les phalanges une vipère ammodyte déchaînée. Il la palpe, identifie son dernier repas : «Un petit lézard. C'est la nourriture principale des vipères adultes. Plus jeunes, elles mangent des iules, des sortes de mille-pattes.» Le chercheur manipule des animaux depuis l'adolescence. Des serpents. Et des bêtes plus dociles, tel ce wallaby qu'il garde à son domicile des Deux-Sèvres, confié pour quelques mois, explique-t-il, par la ménagerie du Jardin des plantes à Paris. Ou des tortues d'Hermann.
Cette espèce terrestre est l'autre curiosité de l'île. Plus discrètes que les serpents mais néanmoins fort abondantes, elles passent le plus clair de leur temps à brouter. Ljiljana Tomovic, professeure à l'université de Belgrade, leur a découvert, au fil de ses missions à Golem Grad, une particularité qui, si elle n'est pas inconnue dans le monde animal, demeure toujours une interrogation pour les scientifiques : l'homosexualité. «Les tortues de Golem Grad sont, à ce jour, les seules sur la planète que l'on ait identifiées s'adonnant à de telles pratiques sexuelles, explique-t-elle. Une des raisons principales de nos études ici est de savoir pourquoi ces bêtes, hétérosexuelles à la naissance, changent de comportement par la suite.» L'équipe avance une hypothèse : le relief singulier de l'île.
Balises GPS sur les tortues
Golem Grad est un énorme caillou dont les extrémités sont marquées par d'abruptes falaises. Sur cette masse rocheuse, l'érosion a formé un plateau relativement plat qui ne communique avec les plages découpées de l'île que par de sinueux et étroits sentiers. A l'époque du rut, les mâles s'aventurent partout à la recherche de femelles, y compris dans ces passes menant au plateau. Une fois là-haut, ils sont incapables de trouver le chemin du retour et se retrouvent entre eux, en chaleur, et passent à l'acte.
«Ce scénario nous semble solide, estime Xavier Bonnet, mais nous devons procéder à des explorations complémentaires pour le confirmer. Nous sommes d'ores et déjà certains que les tortues qui développent des comportements homosexuels ne redeviennent pas toujours hétérosexuelles dans un environnement peuplé de femelles. Il y a quelques mois, nous avons posé des balises GPS sur des tortues homosexuelles du plateau et sur des tortues hétérosexuelles de la plage. Nous les avons ensuite relâchées en échangeant leurs positions. Résultat : chacune a rejoint au bout de quelques jours son milieu d'origine et ses pratiques !», s'exclame le chercheur qui ne se lasse pas d'explorer la faune de cette île. Un travail de patience. Chaque animal capturé est marqué, au fer pour les serpents, par une entaille sur la carapace pour les tortues, puis mesuré et pesé avant d'être relâché. «Ainsi, nous avons d'une année sur l'autre une vision du rythme de croissance des deux espèces», explique Catherine-Louise Michel, spécialiste des effets de l'environnement sur la reproduction qui effectue sa seconde expédition.
Les chercheurs disposent d'une sorte de carte d'identité biologique de centaines d'individus - serpents et tortues. Mais l'étude de l'écosystème «nécessite encore des années de travail, relève la jeune chercheure. Le problème, c'est que nous n'en aurons probablement pas le temps : Golem Grad est à la merci d'une invasion touristique qui arrivera tôt ou tard». Le contexte géopolitique a longtemps nui au tourisme dans la région. Mais, maintenant, la Macédoine entend développer son attractivité estivale. «On va au-devant de sérieux soucis, estime Xavier Bonnet. Mais notre travail, qui met en évidence le caractère exceptionnel de l'île au plan écologique, devrait plaider pour un renforcement de la protection du site qui fait déjà partie du parc national de Galitchitsa.»
Pour l'heure, les touristes débarquent au compte-gouttes à Golem Grad, intrigués par les ruines antiques ou attirés par une balade sur un sentier tout récemment tracé. Mais la notoriété de l'île va crescendo. Déjà, des surnoms frissonnants de mystère, tels que «l'Ile aux serpents», se répandent via Internet dans toute l'ex-Yougoslavie et bien au-delà. Dès lors, on imagine sans peine que des voyagistes, vantant les beautés du lac Prespa, puissent attirer, si rien ne s'y oppose, pêcheurs, baigneurs, amateurs de jet-ski et campeurs susceptibles d'allumer incidemment un feu ravageur pour la faune fragile de Golem Grad. Bogoljub Sterijovski, chercheur macédonien membre de l'équipe, révèle que la bourgade de Konjsko était un des lieux de villégiature préférés de Tito. A l'époque de la Grande Yougoslavie, la nomenklatura s'y rendait pour se baigner et admirer les dernières colonies de pélicans dalmates d'Europe. Il raconte aussi qu'à la fin des années 70, son grand-père était payé par le gouvernement pour tuer les serpents de Golem, afin d'ouvrir l'île au tourisme. Aujourd'hui, son scientifique de petit-fils consacre sa vie à leur protection. Les reptiles sont, pour quelque temps encore, peut-être, les meilleurs gardiens du monde sauvage de Golem Grad.


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