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Une récolte amère
«Lady sings the Blues» de Billie Holiday
Publié dans Le Midi Libre le 23 - 08 - 2007

Dans un texte écrit à la première personne, la diva conte avec un humour enragé sa vie jusqu'en 1956 date de la parution du livre en Amérique.
Dans un texte écrit à la première personne, la diva conte avec un humour enragé sa vie jusqu'en 1956 date de la parution du livre en Amérique.
Sa détresse psychologique ne semble avoir eu d'égale que son talent. Et ce n'est pas peu dire car Billie Holiday (1915/1959) brille encore et toujours dans la galaxie des stars.
Ses albums sont aussi demandés que de son vivant, aussi bien dans son pays qu'à travers le monde. Sa voix est considérée comme l'une des plus grandes voix du jazz de tous les temps.
Et dès le début des années quarante, c'est cette artiste immense et désemparée que la police américaine harcèle nuit et jour, suit à la trace et jette en prison par trois fois durant sa courte vie. Un parcours au bout duquel, la voix plus rauque, la diction embrouillée, le corps détruit par une cirrhose avancée, une insuffisance rénale et des œdèmes aux jambes, la Dame du blues s'est éteinte à 44 ans, alors qu'encore une fois la police guette la fin de sa convalescence pour la faire condamner pour «détention et usage de stupéfiants ».
Barbarie…
C'est toutes les barbaries subies par une fillette, une teen-ager, puis une jeune femme, considérée comme «de couleur», que cette biographie résume. Traduit de l'américain par Danièle Robert, cet ouvrage est écrit sur la base d'un récit recueilli par le journaliste William Dufty grand admirateur de la cantatrice. Le matériau de base en est une compilation de toutes les interviewés que la star lui accorde jusqu'à son dernier procès, c'est-à-dire trois ans avant sa mort.
Dans ce texte écrit à la première personne, la diva conte avec un humour enragé sa vie jusqu'en 1956 date de la parution du livre en Amérique. Dans une langue populaire colorée de dictons et de qualificatifs épicés, elle y décrit toutes les étapes de son existence depuis son enfance livrée au sadisme des adultes, jusqu'à son triomphe au Carnegie Hall alors qu'elle vient de sortir de la maison fédérale de redressement pour femmes à Alderson en Virginie. Elle vient d'y purger une peine d'un an et un jour pour détention et usage de stupéfiants. Nous sommes en 1948 et la loi ne lui permet plus de se produire dans les clubs où l'on vend de l'alcool.
Après ce concert historique où elle chante 34 chansons, elle ne peut plus travailler à New-York et est obligée de reprendre les tournées épuisantes à travers les States.
Le lecteur réalise que dans l'Amérique noire qui a enfanté le jazz et le blues, vivre c'est réellement «perdre du terrain» comme le mentionne le quatrième de couverture.
La galère au féminin
«Il paraît que personne ne chante comme moi le mot faim ou le mot amour. C'est sans doute parce que je sais ce que recouvrent ces mots, parce que je suis assez orgueilleuse pour vouloir me souvenir de Baltimore et de Welfare Island, de l'institution catholique et du tribunal de Jefferson Market, du sheriff devant notre appartement à Harlem et des nombreuses villes d'une côte à l'autre, où j'ai été blessée et meurtrie.» Souvent affamée et épuisée au cours de nombreuses expériences professionnelles avec les sublimes musiciens noirs de cette période, elle devient après sa rencontre avec Count Basie en 1937 et Artie Shaw en 1938, la première chanteuse noire à se produire avec un orchestre blanc. Une véritable révolution en cette période où les lois sur la ségrégation raciale entérinée par la Cour suprême depuis 1896, selon le principe « séparés mais égaux», ont toujours cours. Son père mourra plus tard d'une simple pneumonie car aucun hôpital ne veut le recevoir !
Billie Holiday est refusée partout dans les hôtels et les restaurants où la troupe s'arrête, elle ne peut même pas en utiliser les toilettes !
«Papa et maman étaient mômes à leur mariage : lui dix-huit ans, elle seize ; moi j'en avais trois. (…) Les deux mômes étaient pauvres, quand on est pauvres, on pousse vite. » c'est ainsi que débute le récit d'une vie entièrement consacrée à la musique. Et qu'importe si l'artiste a un peu changé les choses en traçant le portrait de ses parents selon sa propre perception et non selon les faits? «L'art du roman c'est le mentir-vrai» écrivait Aragon. Qu'attendre d'une artiste de cette envergure sinon une transfiguration des données concrètes afin de les rendre encore plus réelles ? Si le mariage de ses parents est une fiction, sa souffrance par contre est authentique.
Naissance d'une étoile
De son vrai nom, Eléonora Fagan fille de Sadie Fagan, bonne chez les Blancs, et du brillant musicien Holiday, aux poumons gazés durant la guerre mondiale, elle opte pour le surnom de Billie que son père lui donne et qui est celui de son idole l'actrice Billie Dove. C'est son grand ami, le saxophoniste, Lester Young rencontré en 1936, qui la surnomme Lady Day : «Lester a toujours été un parfait gentleman. Il a été le premier à appeler maman «Duchesse» et elle a porté ce nom jusqu'à sa mort, de même que lui et moi nous emporterons probablement dans la tombe les surnoms que nous nous sommes mutuellement donnés à partir de ce moment. Du temps de Log Cabin, les copines me chinaient en m'appelant Lady parce que je refusais de ramasser sur les tables les foutus pourboires des clients. Ce nom de lady m'est resté longtemps après, et tout le monde avait oublié d'où il venait. C'est Lester qui l'a repris et lui a ajouté le Day de Holiday : cela a donné Lady Day.» Elle l'appelle, Prez pour président, car pour elle il est le plus grand homme du pays. Quand Prez meurt quelques mois avant elle, le 15 mars 1959, elle est effondrée.Enfant, elle connaît la misère, la faim, les coups, le viol. Sa grand -mère meurt dans ses bras. Elle adore son arrière grand-mère qui était esclave d'un planteur irlandais nommé Fagan, arrière grand-père de la chanteuse. Elle travaille dur à frotter les perrons des Blancs. Après avoir été violée à l'âge de 10 ans par un voisin, elle est enfermée dans une institution catholique. C'est sa première expérience avec l'univers carcéral. Sa deuxième expérience se fera à Welfare Island lorsque call-girl elle refuse un client. Ensuite, elle se soustrait au racolage et au ménage et décide d'être danseuse, sans succès. Puis elle chante, et c'est tout de suite le miracle. Elle est une chanteuse forgée par ses seuls malheurs dont elle se consolait en écoutant Bessie Smith et Louis Armstrong.
Apartheid et lynchages
Pour comprendre le désespoir des Noirs américains dont l'expression paroxystique est portée par les musiciens de jazz et par la voix d'une Billie Holiday, il faut revenir à l'univers concentrationnaire qui caractérise l'Amérique des 19e et 20e siècles. Cet univers que Henry Miller cet autre paria de la «bien-pensance» US, décrit dans son roman «Le cauchemar climatisé» et qui est exploré par Chester Himes et Richard Wright, entres autres.
Au lendemain de la guerre de Sécession et des treizième et quatorzième amendements constitutionnels du 18 décembre 1865 qui donnent aux Noirs le statut de citoyens à part entière, les lois sur la ségrégation raciale acceptée par la cour suprême en 1896 ( (arrêt Plessy fergusson) contournent leurs effets.
Cet arrêt interdit les mariages mixtes et sépare tous les espaces publics. Les Noirs ne peuvent pas prendre le même taxi ni entrer dans un bâtiment par la même porte, ni être enterrés dans les mêmes cimetières, ni jurer sur la même bible que les Blancs. Ils sont exclus des restaurants, des bibliothèques, des jardins publics, où la pancarte «Negros and dogs not allowed» fait la loi. Privé dans les faits du droit de vote et subissant la violence du Ku Klux Klan, un Noir n'a pas le droit de regarder une Blanche dans les yeux. Il faut attendre 1967 pour que les fameux amendements soient considérés comme anti-constitutionnels par la cour suprême sous l'impact du mouvement pour les droits civiques de 1960.
Dans le pays de Billie Holiday, il y a eu 3.833 personnes lynchées entre 1889 et 1940. 90 % dans le Sud et 4 sur 5 sont des Noirs. La chanteuse voulait que sa biographie ait comme titre Bitter crop (Récolte amère) en référence à sa chanson devenue incontournable : « Strange fruit ». Cette chanson célèbre dont on dit qu'elle a fait autant pour la cause des Noirs américains que le refus de Rosa Parks en 1955 de laisser sa place à un Blanc dans un bus, est refusée par la Columbia records mais acceptée par la Commodore.
Une chanson réquisitoire
«Strange fruit» dont Billie Holiday couronne ses prestations, dans l'obscurité et les larmes est devenu progressivement «Le» réquisitoire pour la dignité et la justice pour toutes les communautés.
A travers l'analyse de cette chanson, dans son livre Blues Legacies and Black Feminism, Angela Davis bouleverse la manière frivole dont Billie Holiday était perçue. Elle révèle une femme pleine d'assurance, tout à fait consciente du contenu et de l'effet de «Strange Fruit». «Pour Angela Davis, «Strange Fruit» a relancé de façon décisive la tradition de la résistance et de la protestation dans la musique et la culture noires américaines, mais aussi dans celles des autres communautés.» Cette chanson censurée par la radio américaine et interdite en Afrique du Sud a été écrite par un enseignant communiste et juif d'origine russe Abel Meeropol. Ayant perdu le sommeil après le lynchage de Thomas Shipp et Abram Smith, il écrit ce texte douloureux.
«For the sun to rot : Pourri par le soleil
For the tree to drop : il tombera de l'arbre
Here is a strange and bitter crop : étrange et amère récolte»
Billie Holiday de sa voix qui échappe à toute classification et avec son immense sensibilité d'artiste persécutée l'inscrit au panthéon des œuvres éternelles.
Sa détresse psychologique ne semble avoir eu d'égale que son talent. Et ce n'est pas peu dire car Billie Holiday (1915/1959) brille encore et toujours dans la galaxie des stars.
Ses albums sont aussi demandés que de son vivant, aussi bien dans son pays qu'à travers le monde. Sa voix est considérée comme l'une des plus grandes voix du jazz de tous les temps.
Et dès le début des années quarante, c'est cette artiste immense et désemparée que la police américaine harcèle nuit et jour, suit à la trace et jette en prison par trois fois durant sa courte vie. Un parcours au bout duquel, la voix plus rauque, la diction embrouillée, le corps détruit par une cirrhose avancée, une insuffisance rénale et des œdèmes aux jambes, la Dame du blues s'est éteinte à 44 ans, alors qu'encore une fois la police guette la fin de sa convalescence pour la faire condamner pour «détention et usage de stupéfiants ».
Barbarie…
C'est toutes les barbaries subies par une fillette, une teen-ager, puis une jeune femme, considérée comme «de couleur», que cette biographie résume. Traduit de l'américain par Danièle Robert, cet ouvrage est écrit sur la base d'un récit recueilli par le journaliste William Dufty grand admirateur de la cantatrice. Le matériau de base en est une compilation de toutes les interviewés que la star lui accorde jusqu'à son dernier procès, c'est-à-dire trois ans avant sa mort.
Dans ce texte écrit à la première personne, la diva conte avec un humour enragé sa vie jusqu'en 1956 date de la parution du livre en Amérique. Dans une langue populaire colorée de dictons et de qualificatifs épicés, elle y décrit toutes les étapes de son existence depuis son enfance livrée au sadisme des adultes, jusqu'à son triomphe au Carnegie Hall alors qu'elle vient de sortir de la maison fédérale de redressement pour femmes à Alderson en Virginie. Elle vient d'y purger une peine d'un an et un jour pour détention et usage de stupéfiants. Nous sommes en 1948 et la loi ne lui permet plus de se produire dans les clubs où l'on vend de l'alcool.
Après ce concert historique où elle chante 34 chansons, elle ne peut plus travailler à New-York et est obligée de reprendre les tournées épuisantes à travers les States.
Le lecteur réalise que dans l'Amérique noire qui a enfanté le jazz et le blues, vivre c'est réellement «perdre du terrain» comme le mentionne le quatrième de couverture.
La galère au féminin
«Il paraît que personne ne chante comme moi le mot faim ou le mot amour. C'est sans doute parce que je sais ce que recouvrent ces mots, parce que je suis assez orgueilleuse pour vouloir me souvenir de Baltimore et de Welfare Island, de l'institution catholique et du tribunal de Jefferson Market, du sheriff devant notre appartement à Harlem et des nombreuses villes d'une côte à l'autre, où j'ai été blessée et meurtrie.» Souvent affamée et épuisée au cours de nombreuses expériences professionnelles avec les sublimes musiciens noirs de cette période, elle devient après sa rencontre avec Count Basie en 1937 et Artie Shaw en 1938, la première chanteuse noire à se produire avec un orchestre blanc. Une véritable révolution en cette période où les lois sur la ségrégation raciale entérinée par la Cour suprême depuis 1896, selon le principe « séparés mais égaux», ont toujours cours. Son père mourra plus tard d'une simple pneumonie car aucun hôpital ne veut le recevoir !
Billie Holiday est refusée partout dans les hôtels et les restaurants où la troupe s'arrête, elle ne peut même pas en utiliser les toilettes !
«Papa et maman étaient mômes à leur mariage : lui dix-huit ans, elle seize ; moi j'en avais trois. (…) Les deux mômes étaient pauvres, quand on est pauvres, on pousse vite. » c'est ainsi que débute le récit d'une vie entièrement consacrée à la musique. Et qu'importe si l'artiste a un peu changé les choses en traçant le portrait de ses parents selon sa propre perception et non selon les faits? «L'art du roman c'est le mentir-vrai» écrivait Aragon. Qu'attendre d'une artiste de cette envergure sinon une transfiguration des données concrètes afin de les rendre encore plus réelles ? Si le mariage de ses parents est une fiction, sa souffrance par contre est authentique.
Naissance d'une étoile
De son vrai nom, Eléonora Fagan fille de Sadie Fagan, bonne chez les Blancs, et du brillant musicien Holiday, aux poumons gazés durant la guerre mondiale, elle opte pour le surnom de Billie que son père lui donne et qui est celui de son idole l'actrice Billie Dove. C'est son grand ami, le saxophoniste, Lester Young rencontré en 1936, qui la surnomme Lady Day : «Lester a toujours été un parfait gentleman. Il a été le premier à appeler maman «Duchesse» et elle a porté ce nom jusqu'à sa mort, de même que lui et moi nous emporterons probablement dans la tombe les surnoms que nous nous sommes mutuellement donnés à partir de ce moment. Du temps de Log Cabin, les copines me chinaient en m'appelant Lady parce que je refusais de ramasser sur les tables les foutus pourboires des clients. Ce nom de lady m'est resté longtemps après, et tout le monde avait oublié d'où il venait. C'est Lester qui l'a repris et lui a ajouté le Day de Holiday : cela a donné Lady Day.» Elle l'appelle, Prez pour président, car pour elle il est le plus grand homme du pays. Quand Prez meurt quelques mois avant elle, le 15 mars 1959, elle est effondrée.Enfant, elle connaît la misère, la faim, les coups, le viol. Sa grand -mère meurt dans ses bras. Elle adore son arrière grand-mère qui était esclave d'un planteur irlandais nommé Fagan, arrière grand-père de la chanteuse. Elle travaille dur à frotter les perrons des Blancs. Après avoir été violée à l'âge de 10 ans par un voisin, elle est enfermée dans une institution catholique. C'est sa première expérience avec l'univers carcéral. Sa deuxième expérience se fera à Welfare Island lorsque call-girl elle refuse un client. Ensuite, elle se soustrait au racolage et au ménage et décide d'être danseuse, sans succès. Puis elle chante, et c'est tout de suite le miracle. Elle est une chanteuse forgée par ses seuls malheurs dont elle se consolait en écoutant Bessie Smith et Louis Armstrong.
Apartheid et lynchages
Pour comprendre le désespoir des Noirs américains dont l'expression paroxystique est portée par les musiciens de jazz et par la voix d'une Billie Holiday, il faut revenir à l'univers concentrationnaire qui caractérise l'Amérique des 19e et 20e siècles. Cet univers que Henry Miller cet autre paria de la «bien-pensance» US, décrit dans son roman «Le cauchemar climatisé» et qui est exploré par Chester Himes et Richard Wright, entres autres.
Au lendemain de la guerre de Sécession et des treizième et quatorzième amendements constitutionnels du 18 décembre 1865 qui donnent aux Noirs le statut de citoyens à part entière, les lois sur la ségrégation raciale acceptée par la cour suprême en 1896 ( (arrêt Plessy fergusson) contournent leurs effets.
Cet arrêt interdit les mariages mixtes et sépare tous les espaces publics. Les Noirs ne peuvent pas prendre le même taxi ni entrer dans un bâtiment par la même porte, ni être enterrés dans les mêmes cimetières, ni jurer sur la même bible que les Blancs. Ils sont exclus des restaurants, des bibliothèques, des jardins publics, où la pancarte «Negros and dogs not allowed» fait la loi. Privé dans les faits du droit de vote et subissant la violence du Ku Klux Klan, un Noir n'a pas le droit de regarder une Blanche dans les yeux. Il faut attendre 1967 pour que les fameux amendements soient considérés comme anti-constitutionnels par la cour suprême sous l'impact du mouvement pour les droits civiques de 1960.
Dans le pays de Billie Holiday, il y a eu 3.833 personnes lynchées entre 1889 et 1940. 90 % dans le Sud et 4 sur 5 sont des Noirs. La chanteuse voulait que sa biographie ait comme titre Bitter crop (Récolte amère) en référence à sa chanson devenue incontournable : « Strange fruit ». Cette chanson célèbre dont on dit qu'elle a fait autant pour la cause des Noirs américains que le refus de Rosa Parks en 1955 de laisser sa place à un Blanc dans un bus, est refusée par la Columbia records mais acceptée par la Commodore.
Une chanson réquisitoire
«Strange fruit» dont Billie Holiday couronne ses prestations, dans l'obscurité et les larmes est devenu progressivement «Le» réquisitoire pour la dignité et la justice pour toutes les communautés.
A travers l'analyse de cette chanson, dans son livre Blues Legacies and Black Feminism, Angela Davis bouleverse la manière frivole dont Billie Holiday était perçue. Elle révèle une femme pleine d'assurance, tout à fait consciente du contenu et de l'effet de «Strange Fruit». «Pour Angela Davis, «Strange Fruit» a relancé de façon décisive la tradition de la résistance et de la protestation dans la musique et la culture noires américaines, mais aussi dans celles des autres communautés.» Cette chanson censurée par la radio américaine et interdite en Afrique du Sud a été écrite par un enseignant communiste et juif d'origine russe Abel Meeropol. Ayant perdu le sommeil après le lynchage de Thomas Shipp et Abram Smith, il écrit ce texte douloureux.
«For the sun to rot : Pourri par le soleil
For the tree to drop : il tombera de l'arbre
Here is a strange and bitter crop : étrange et amère récolte»
Billie Holiday de sa voix qui échappe à toute classification et avec son immense sensibilité d'artiste persécutée l'inscrit au panthéon des œuvres éternelles.


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