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Le Cardinal Duval, cet homme juste
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 12 - 06 - 2010

Denis Gonzalez, Ancien vicaire général de Etienne Duval
« Le Cardinal Duval, cet homme juste »
El Watan 12 juin 2010
C'est le 30 mai 1996 que décédait le Cardinal Etienne Duval. La commémoration solennelle du quatorzième anniversaire de cette mort a été célébrée au palais de la culture d'Alger. Ancien vicaire général du Cardinal, Denis Gonzalez revient dans cet entretien sur l'engagement de l'archevêque. Gonzalez a publié un livre fort intéressant dans lequel sont réunies des déclarations solennelles de l'archevêque et les interventions des participants au colloque.
Vous avez rencontré Mgr Duval en 1947, quel souvenir en gardez-vous ?
C'est un certain 23 février 1947 que, jeune évêque, alors âgé de 43 ans, Mgr Duval débarquait à Alger pour se rendre à Constantine. Quelle image offrait-il de lui ? Celle d'un homme à la stature élancée, plutôt austère, nez proéminent et le visage glabre, alors que tous les ecclésiastiques de ce temps-là portaient la barbe. Le souvenir des répressions sanglantes de Sétif de 1945 était évidemment là. Le nouvel évêque manifesta très vite la vive conscience qu'il avait des enjeux en cours. C'est ainsi que, dès sa première prise de parole publique, il proclama : « Nous ne sommes pas de vrais croyants si nous ne sentons pas peser sur nos épaules les responsabilités de tous nos frères les hommes…Toute injustice est une menace constante de conflit. »
C'est à partir de cette époque qu'il débuta une lecture complète des œuvres de saint Augustin, son prédécesseur à Hippone. Ce dernier l'accompagnera toute sa vie. C'est au point que la voix du saint ne cessera de trouver en lui son écho. Ainsi, le premier et le dernier mot de sa prédication seront sans cesse : l'amour de Dieu, et l'amour fraternel ; mieux encore, il affirmera que, d'une manière privilégiée, c'est « l'amour fraternel qui conduit à l'amour de Dieu ». Foi simple et profonde dont tout le reste découlera par la suite, sans hésitation ni compromission.
Cette année 1954 devait être jalonnée de plusieurs grands événements…
Evidemment ! Il y a d'abord, dans la nuit du 8 au 9 septembre 1954, le terrible tremblement de terre qui ravagea la ville de Chlef (El Asnam à l'époque). Le matin-même, Mgr Duval se rend sur les lieux pour témoigner de sa compassion aux personnes sinistrées. Mais survient peu après un autre séisme, celui du 1er novembre, le début de la révolution… Le pays entre très vite, alors, dans un cycle de violences et de peur. L'armée accroît ses effectifs pour des opérations dites de « pacification ». Une guerre clandestine s'instaure. La recherche du renseignement, jugée essentielle par les « agents de l'ordre », conduit à des arrestations et des détentions arbitraires, ainsi qu'à l'usage de la torture. Or, dès fin novembre, des informations parviennent à Mgr Duval, communiquées par des aumôniers militaires, de jeunes appelés, ainsi que par Me Amar Bentoumi, de l'existence « d'exactions à l'encontre de certains Algériens ».
Il décide alors de demander audience auprès du général Cherrière, commandant en chef interarmées, pour lui en faire part. Rencontre courtoise, me confiera-t-il, le général lui donnant l'assurance qu'il veillerait à ce que ces actes ne se reproduisent pas. Promesses sans effets. C'est alors que le 17 janvier 1955, passant outre les conseils de prudente modération que lui prodiguait son entourage, il rend public un communiqué à lire dans toutes les églises, et à paraître dans la presse. Il y condamne solennellement « les violences injustes et vexations humiliantes dont sont victimes certains Algériens, les arrestations arbitraires… la torture physique et psychique. »
Ces mêmes protestations se poursuivront tout au long du temps de la guerre, adressées successivement à Emile Hugues, ministre de la Justice, au général Lorillot, successeur du général Cherrière, Robert Lacoste, ministre résident, le général de Gaulle, Paul Delouvrier, délégué général… Le 20 août 1955, grand soulèvement populaire dans le Nord constantinois. Peu après, le 15 septembre, l'épiscopat algérien publie une lettre collective — (pour la petite histoire, étant moi-même étudiant, Mgr Duval m'avait réquisitionné pour revoir avec lui les textes avant leur expédition) — où il était dit : « L'accession de tous les éléments de la population aux divers degrés de la culture, à l'exercice des responsabilités civiques et aux charges de la fonction publique… Assurer la libre expression des aspirations légitimes, respecter les valeurs profondes des civilisations et des cultures… »
Suite à cette déclaration, le 26 septembre suivant, une assemblée de 70 membres d'élus du Collège représentant les musulmans d'Algérie adressera un hommage « aux Hautes Autorités religieuses de ce pays pour avoir reconnu la nécessité de respecter la dignité des populations d'Algérie, sans distinction d'origine. » Et c'est en août 1956 que le Congrès du FLN tenu à la Soummam mentionnera dans sa Charte l'attitude réconfortante de l'archevêque, « se dressant courageusement et publiquement contre le courent et condamnant l'injustice coloniale. »
Il est aussi intervenu en faveur de l'autodétermination de l'Algérie…
C'est exact. Aucune solution n'étant en vue, Mgr Duval croit nécessaire, le 7 octobre 1956, trois ans avant de Gaulle, de déclarer : « Dans l'établissement des rapports nouveaux entre l'Algérie et la France, il faut tenir compte de la nécessité de donner progressivement satisfaction à la volonté d'autodétermination des populations d'Algérie dans le respect des droits des personnes et des communautés… »
Ce faisant, Mgr Duval ne se mettait-il pas à dos une partie de sa communauté ?
Dans une ambiance de désarroi et de violence, si certains membres de la communauté chrétienne se tournaient vers leur évêque pour trouver des repères et un soutien dans leur conduite, beaucoup d'autres se prétendant les défenseurs de la Croix et de Chrétienté hissaient l'étendard de l'Algérie française. C'est alors que Mgr Duval réagit avec véhémence : « Le blocage du politique et du religieux, déclare-t-il, est le mélange le plus néfaste et le plus détonnant pour les esprits et pour les consciences ». L'Eglise ne doit être inféodée à aucune cause temporelle… On m'a accusé, depuis longtemps, de ne pas aimer mes diocésains… Les mêmes me reprochent de trop parler de charité. Mais la première charité n'est-elle pas dans la vérité ? La pire des cruautés n'est-elle pas d'entretenir ce qu'on sait être une dangereuse illusion et de vouloir sciemment mystifier le peuple ?
Mais, chef religieux, comment légitimait-il ses interventions dans le domaine politique ? C'est là une question qui n'a pas manqué de lui être posée. « Pour y voir clair, disait-il, il faut faire une distinction entre la politique des partis et ce que l'on peut appeler ‘‘la grande politique''. « Mais si par politique on entend la poursuite du bien commun, la politique devient, ajoutait-il, une obligation et le lieu d'un engagement (…) On ne peut parler de l'Amour universel de Dieu si on se croise les bras devant les injustices dont souffrent les hommes. »
Quelle a été la position de Mgr Duval au lendemain de l'indépendance ?
Résolument tournée vers l'avenir. Le service du bien commun de l'Algérie a immédiatement été pour lui un impératif. C'est ainsi qu'il déclarait : « Dans le bouleversement où nous nous trouvons, bien des structures, même bonnes, pourront être balayées ; le travail de fond, le travail qui restera, le travail rentable pour l'avenir, c'est tout ce qui se fait pour sauver les valeurs humaines authentiques. » Et puis, à la radio : « L'effort de développement appelle également l'aide des nations favorisées. Aide efficace, désintéressée, respectueuse de l'autonomie de l'Algérie, seule juge de ses décisions. » Cela dit, jugeant que l'Eglise ne devait pas se cantonner au seul service des personnels d'ambassades et des résidents étrangers, mais être orientée vers un service de tous les habitants du pays, le 11 janvier 1964 il déclarait à un correspondant du journal Le Monde : « En Algérie, l'Eglise, comme il se doit, n'a pas choisi d'être étrangère, mais algérienne. »
Le 11 février 1965, un communiqué du ministère algérien de la Justice annonce que la nationalité algérienne lui est accordée ; comme elle le sera également à plusieurs prêtres, religieuses et laïcs. Peu après, il sera élevé à la dignité de cardinal par le Vatican. Pour la petite histoire, retenons que c'est à l'occasion de l'accueil solennel que lui réserve Taïeb Boulahrouf, ambassadeur à Rome, que l'hymne national algérien est entonné pour la première fois dans ce pays.
La montée du terrorisme durant les « années noires », a sûrement affecté Mgr Duval…
Démissionnaire pour raison d'âge, le 29 avril 1988, il avait alors passé le relais de sa charge à Mgr Teissier. Retiré sur les hauteurs de Notre-Dame d'Afrique, et assisté avec dévouement par sa nièce Louise Duval, il recevait de nombreux visiteurs, musulmans et chrétiens, amis et inconnus, gens de toutes conditions. Un témoin privilégié de cette époque, pour l'avoir accompagné avec une attention toute filiale, jusqu'à ses deniers instants, est le Pr Hocine Asselah, Quant à moi, je lui rendais de fréquentes visites, d'où ces témoignages que je me permets d'apporter : le premier se situe au 26 août 1992. Ce jour-là, atterrissant depuis l'étranger, c'est avec stupéfaction que j'ai constaté les énormes dégâts matériels causés par un attentat à l'intérieur de l'aérogare d'Alger… « une dizaine de morts, des dizaines de blessés », murmurait-on… C'est alors qu'en toute hâte, je me rendis auprès du Cardinal. Mon récit le bouleversa. Je le pressai, lui, cardinal Duval, de rompre son silence, de faire entendre sa voix.
Douloureux et réticent, il me faisait valoir, qu'étant à la retraite, il était tenu à un devoir de réserve. Ce à quoi je lui rétorquais que n'exerçant plus d'autorité d'ordre officiel, il avait toujours celle que lui conférait le cœur. C'est alors que, convaincu, le 31 août il fit paraître une déclaration où, avec tendresse, il lançait un appel à l'espérance : « Ma longue fidélité à l'Algérie, écrivit-il, me fait, aujourd'hui, le devoir d'ouvrir publiquement mon cœur…J'appelle tous les hommes de cœur à travailler avec force et détermination à un renouveau de confiance. L'Algérie ne périra pas ! » Mon second témoignage se rapporte à l'un de mes derniers entretiens avec lui. Il venait de subir une intervention chirurgicale suite à une chute malencontreuse.
Après s'être montré affligé de la disparition de tant d'amis, musulmans et chrétiens, et parmi ces derniers une dizaine de prêtres et religieuses, voici qu'il venait d'apprendre l'assassinat des sept moines de Tibhirine. « Ces morts me crucifient ! », disait-il. Etant à son chevet, je le revois encore, étendu sur une chaise longue, le visage cireux, l'œil mi-clos ; c'est alors que je l'ai entendu murmurer : « Que de souffrances ! Mais il faudra bien que cela finisse un jour ! Vous, vous le verrez, moi pas… l'Algérie, alors, étonnera le monde ! » Ultime expression d'une indéracinable espérance fondée dans sa foi en un Dieu-Amour, et « la dignité inviolable de l'homme quel qu'il soit… », parce que aimé de Dieu.
Lors de la célébration du quatorzième anniversaire de son décès, nombre d'intervenants se sont complus à souligner une parenté entre les professions de foi du Cardinal et celles de l'émir Abdelkader. Ce dernier ne proclamait-il pas : « Toutes les lois tournent autour de deux principes : l'exaltation du Dieu Très Haut, et la compassion pour ses créatures… » ? Par la suite, n'écrivait-il pas aussi à l'un de ses admirateurs, qui le félicitait pour avoir, en 1860, à Damas, pris la défense d'une foule de chrétiens menacés de massacre par des Druzes musulmans : « Ce que nous avons fait de bien pour les chrétiens, nous le devions par fidélité à notre foi musulmane et pour respecter les droits de l'humanité. Toutes les créatures sont de la famille de Dieu, et les plus aimés de Dieu sont ceux qui sont les plus utiles à sa famille. »
Universalisme engagé donc, fondé chez lui aussi sur sa foi, et qui suscita l'admiration de l'Europe entière. Notre humanité est aujourd'hui soumise à de profondes mutations. Que sera notre peuple, dans vingt, dans trente ans ? Comme tous les autres dans le monde, il est plus que jamais contraint de procéder à un profond « ijtihad » : se repenser, s'adapter et se rénover, tout en « demeurant fidèle à sa source » : fidélité à une Transcendance, avec, pour corollaire obligé : respect de la dignité de tout un chacun de nos frères humains. A cet égard, l'exemple offert par certains de nos grands prédécesseurs nous trace la voie. Si éloignées l'une de l'autre que soient nos montagnes, à tous ceux qui font l'effort de délaisser, un temps, l'ombre de leurs vallées pour atteindre les sommets, il leur est donné de pouvoir, ensemble, contempler la majesté du ciel.
Auteur de l'ouvrage : Cardinal Léon Etienne Duval – La voix d'un juste (ENAG )


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