La Finlande prête à reconnaître l'Etat de Palestine    Agression sioniste contre Ghaza: le bilan s'alourdit à 60.430 martyrs et 148.722 blessés    Boughali félicite la sélection nationale de basket pour son sacre au Championnat arabe des nations    Jeux Africains scolaires: six disciplines en lice samedi à Annaba pour davantage de médailles    CHAN-2024 (décalé à 2025): les Verts à pied d'œuvre à Kampala    Ministère de l'Education nationale: le dépôt des dossiers d'authentification des documents scolaires se fera désormais à l'annexe du ministère à Kouba    L'Algérie bat le Bahreïn (70-69) et remporte le trophée    La délégation parlementaire algérienne tient une rencontre de travail avec la délégation autrichienne    Clôture des travaux de la 6e Conférence des présidents de parlement tenue à Genève    Le Président de la République félicite l'équipe nationale pour son titre au Championnat arabe de basketball    Renforcement de la protection sociale de la famille    « Faire des micro-entreprises des exemples inspirants pour les Start-ups et les étudiants »    Conférence mondiale des présidents de parlement à Genève : la délégation parlementaire algérienne tient une rencontre de travail avec la délégation autrichienne    Quels impacts pour l'Algérie où l'Europe s'engage à acheter 250 milliards de dollars/an de produits énergétiques aux USA    Après la France, le Royaume-Uni reconnaîtra l'Etat de Palestine    Le basket-ball algérien 5×5 en 2e position    CHAN-2025 L'ambiance de plus en plus palpable    La BM classe l'Algérie dans la tranche supérieure des pays à revenu intermédiaire pour la deuxième année consécutive    Le colonel Abdelkrim Djaarit, nouveau commandant de la Gendarmerie nationale    Baisse significative du taux de prévalence des infections nosocomiales en Algérie    La barre des 500 kg de cocaïne saisis franchie    Seize porteurs de projets innovants dans les industries culturelles et créatives retenus    Quand Rome demeure Rome, Bruxelles n'a jamais été rien d'autre que rien    Oran : le 2e Salon international du Dentaire MDEX du 18 au 20 septembre    Solidarité nationale : parachèvement de l'opération de versement de l'allocation spéciale de scolarité dans les délais impartis    Pluies orageuses accompagnées de grêle sur 3 wilayas du Sud à partir de vendredi après-midi    Agression sioniste contre Ghaza : le bilan s'alourdit à 60.332 martyrs et 147.643 blessés    L'Algérie prend la présidence du CPS de l'UA pour le mois d'août    Oran: "La Nuit des musées", une soirée à l'ambiance singulière    Biskra commémore le 59 anniversaire des "massacres du dimanche noir"    Initiative Art 2 : 16 porteurs de projets innovants dans le domaine des industries culturelles et créatives retenus    L'Algérie plaide pour une action urgente en faveur de Ghaza    Renforcement des perspectives de coopération dans le domaine de la jeunesse entre l'Algérie et la Chine    Vers un véritable partenariat algéro-libanais    Le sarcophage maudit    Le héros national, le Brigadier de Police Mellouk Faouzi s'en est allé    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Les aléas maliens de la « guantanamisation » de l'autre.
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 28 - 01 - 2013


* Tweet
* * * Tweet
* *
Dans la culture musulmane classique, le fait de déclarer un individu kâfir, c'est-à-dire « mécréant », avait en quelque sorte pour effet de le priver de toutes les garanties inhérentes à son appartenance au groupe légitime. Sollicité, il y a plus de dix ans, pour trouver à cette terrible exclusion de l'autre un équivalent dans la culture politique occidentale moderne, j'avais considéré que la notion d'excommunication, la plus proche, n'avait plus, dans une société largement déchristianisée, une force suffisante. Mais j'avais tout de même fini par repérer un équivalent dont la fonctionnalité ne s'est depuis lors pas démentie : la façon « moderne » occidentale – « blanche quoi », aurait dit Coluche – de priver l'autre des garanties de son appartenance au groupe (l'humanité) légitime, au point qu'elle donne le droit à un président « normal » de prôner sa pure et simple... « élimination », c'est à bien des égards de lui appliquer le pire de ce que la « première démocratie du monde » a produit à l'échelle des deux dernières décennies : la « guantanamisation » ! À Guantanamo, l'administration Bush a poussé le vilain raccourci de sa « lutte contre la terreur » (un temps qualifiée de « croisade » avant que l'expression n'apparaisse comme une erreur de communication) jusqu'à fabriquer un instrument légal de dépolitisation des résistances et de déshumanisation de leurs acteurs. L'actuelle bonne santé politique des talibans – destinataires de cette politique – aurait dû démontrer que cette manière de faire n'était pas seulement criminelle, mais également contre-productive. Las, c'est pourtant, sur l'agenda de la République française, toutes tendances politiques confondues, une identique « guantanamisation de l'autre » que notre intervention au Mali a remis à l'ordre du jour.
Les colonnes armées dites djihadistes, qui allaient en fonçant sur Bamako écrire une page nouvelle de l'histoire du pays, étaient-elles les plus à même de faire progresser dans les meilleures conditions la nécessaire redistribution des ressources politiques dans la région ? Pas nécessairement ! C'est pourquoi se trouvent, dans le tissu des sociétés concernées, des acteurs pour se féliciter légitimement que des avions soient venus de très loin pour différer l'écriture de cette page d'histoire-là. Mais le réajustement des équilibres – ou plutôt des profonds déséquilibres – hérités en droite ligne de l'histoire coloniale du Sahel reste plus que jamais d'actualité. Il devra se faire sur d'autres présupposés que cette criminalisation aveugle de tout un camp qui sert aujourd'hui de matrice explicative à notre intervention au Sahel (pour ne rien dire de son impact sur le tissu national de l'Hexagone) et qui creuse un peu plus encore de terribles malentendus. Lorsqu'il faudra les réparer, il n'est pas certain que nos Mirages seront encore en mesure de tenir le crayon de l'histoire.
Les interventions militaires de la France dans le nord de l'Afrique se suivent, mais elles ne se ressemblent pas. Dans l'intervention libyenne, si présents qu'aient pu être nos intérêts pétroliers, notre allié stratégique était une population en lutte contre quarante années d'autoritarisme. À l'opposé, dans les sables du Mali, nous sommes aujourd'hui l'allié régional de l'Algérie, conduite par un régime qui incarne le pire de ce qu'a produit cette séquence noire de l'histoire arabe. Ce membre éminent de la caste des « dictateurs sans frontières », a significativement été l'un des rares régimes arabes à avoir tout tenté pour prolonger le règne de son homologue libyen. La différence n'est pas mince. Voici donc la diplomatie française de retour sur le versant de l'histoire dont, au cours des dernières décennies, elle a malheureusement été plus familière.
Au terrifiant régime de prédateurs (ou de « vieillards sanguinaires », comme les qualifie l'ONG Algeria-Watch[1]) qui sévit à Alger, la France a emprunté de surcroît la plus pernicieuse de ses méthodes de communication. Après l'annulation des élections législatives de 1991, envers et contre toutes élections législatives ou présidentielles, la junte d'Alger a inauguré, avec une particulière virtuosité et, il faut le reconnaître, un certain succès, la terrible recette de « guantanamisation » de l'autre. Elle lui a permis de transférer sur le terrain sécuritaire (celui de la « lutte contre les djihadistes ») un combat qu'elle savait irrémédiablement perdu sur le terrain des urnes. Face à un partenaire occidental, français en particulier, traditionnellement impatient, de l'extrême droite à l'extrême gauche du spectre politique, de « casser du barbu » musulman, elle n'a pas eu trop de peine à criminaliser, pour mieux pouvoir ensuite la réduire par les armes, ce qui était en fait une puissante dynamique oppositionnelle pas si éloignée que cela – à bien des égards et malgré ou à cause du lexique musulman usé par les opposants – de ce que seront les « printemps arabes » de 2011.
Les généraux « éradicateurs » ont d'abord fait usage de cette recette au nord de leur territoire, où bat le cœur de leur système d'accaparement de la rente pétrolière. Mais à partir du début des années 2000, ils l'ont ensuite déplacée – pour lui permettre de perdurer – sur son leur flanc saharien, là où gisent ces richesses pétrolières qui sont la condition de leur existence. C'est l'image de leur opposition interne qui a d'abord été réduite à une caricature suffisamment répulsive (des « terroristes », déjà) pour légitimer son écrasement militaire. Alors que la supercherie de leurs « groupes islamiques de l'armée » commençait à être éventée et que de nombreux observateurs commençaient à établir leur paternité dans des pans entiers de la violence attribuée aux islamistes, ce fut au tour de l'opposition régionaliste touarègue de subir très préventivement le même traitement. Comme le soulignait justement en avril 2012 l'anthropologue Hélène Claudot-Hawad, directrice de recherche au CNRS, elle aussi vit alors tous ses militants réduits à ces « terroristes, islamistes, trafiquants, preneurs d'otages, voleurs, violeurs de fillette, égorgeurs, usurpateurs minoritaires, indépendantistes illégitimes, aventuriers sans programme politique, activistes obscurantistes et quasi-médiévaux et, pour couronner le tout, destructeurs potentiels de manuscrits trésors de l'humanité », dont la présence devait légitimer la solidarité internationale autour du seul régime de la région à « lutter avec détermination contre le terrorisme[2] ».
Très vite en effet, dès les premières heures de la répression des vainqueurs algériens des urnes de 1990 et 1991, il s'était avéré que la simple rhétorique de la disqualification verbale des opposants ne suffisait pas. C'est donc la manipulation ou la fabrication pure et simple par la police politique (le DRS) de groupes radicaux qui avait pris le pas, pour mieux diaboliser le bouc émissaire islamiste – en assassinant en 1996 des moines français à Tibhirine ou, en 2003, en enlevant des touristes européens dans le Sahara. À l'inverse de la regrettable propension des grands médias à paraphraser les communiqués des services algériens plutôt qu'à faire face aux exigences de l'investigation de terrain, cette stratégie de fabrication d'un repoussoir « terroriste » sahélien (GSPC puis AQMI) – à des fins de contrôle de toute opposition et de toute résistance, notamment touareg, tout en recueillant la sympathie occidentale – a été dûment documentée.
Une formule de l'anthropologue britannique Jeremy Keenan la résume parfaitement : « Le modus operandi des militaires algériens depuis le début des années 1990 (voire, pour certains, plus tôt), [a été de] fabriquer, manipuler et dans la pratique de gérer les expressions régionales du terrorisme. [...] C'est ainsi que s'explique la propension des médias algériens à souligner l'importance de la menace transsaharienne d'Al-Qaida, tout en affirmant au monde que ses services de sécurité sont capables de l'en préserver. Alors que la première partie de cette partition à deux volets est généralement fabriquée ou exagérée par le régime, il se trouve que la seconde est quant à elle... parfaitement exacte[3]. » Cette stratégie s'est révélée d'autant plus facile à mettre en œuvre que, contrairement à tous les wishful thinkings occidentaux prévoyant leur « déclin » et autre « dépassement », c'est le large spectre des forces usant du langage de l'islam politique qui s'est maintenu puis, à la faveur des printemps arabes, confirmé comme le fer de lance des dynamiques oppositionnelles dans toute la région.
Lorsque, au terme de plusieurs décennies de lutte, lassé de « crier dans le désert » les aspirations d'une population abandonnée de l'histoire coloniale puis postcoloniale, un ancien diplomate malien porteur des attentes de larges pans de l'une des principales composantes de la population du Nord-Mali (les Touaregs) choisit, selon ses propres termes, de s'« allier avec le diable » – soit d'obscurs groupes djihadistes régionaux –, la République française va... emprunter le plus incertain des raccourcis de l'« ère bushienne » : la « guantanamisation ».
Dans un complexe confrontation, loin des nuances réalistes intégrées – fut-ce très tardivement, pour faire face à la réalité des urnes égyptiennes et tunisiennes –, voici donc la France socialiste revenue à la facilité de l'ostracisation pure et simple de l'un des deux camps. S'agissant de protéger, à Bamako, le bénéficiaire du dernier coup d'Etat militaire, le prétexte démocratique était encore plus improbable que d'habitude. Mais les pratiques et le langage de rupture des marges radicales de l'islam politique (même si le leader d'Ansar Eddine a pris soin de se démarquer très clairement des plus désavouées d'entre elles) sont venus à point nommé donner la couverture nécessaire. Sous l'étendard de la lutte « contre la terreur », sans crainte d'alimenter, encore et toujours, les pires raccourcis islamophobes et les déchirures du tissu national dont ils sont porteurs, nous voilà donc de nouveaux partis en campagne contre l'« islam radical ». La cause est belle et, depuis Mme Massu à notre engagement contre les Talibans, nous en sommes devenus de vrais virtuoses : il ne s'agit ni plus ni moins que de libérer les épouses de ceux qui nous résistent.
[1] Algeria-Watch, « Algérie 2012 : un régime de vieillards sanguinaires en fin de règne », www.algeria-watch.org, 11 janvier 2013.
[2] Hélène Claudot-Hawad, « Business, profits souterrains et stratégie de la terreur La recolonisation du Sahara », http://temoust.org, 7 avril 2012.
[3] Sahara Focus, vol. 5, n° 1, 2009 (cité in François Burgat, L'Islamisme à l'heure d'Al-Qaïda, La Découverte, Paris, 2010). S'agissant de l'activité réelle du successeur du GSPC, la médiatique AQMI, voir également François Gèze et Salima Mellah, « “Al-Qaida au Maghreb" ou la très étrange histoire du GSPC algérien », www.algeria-watch.org, 22 septembre 2007.
Nombre de lectures: 413 Views


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.