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Algéricides de Rabeh Sebaa
Publié dans Le Soir d'Algérie le 28 - 04 - 2018

Avix aux lecteurs stressés, aux esprits carrés ou tourmentés, à tous ceux portant en eux l'inquiétude d'un malaise perpétuel : ce recueil de chroniques vous est réservé en priorité. La lecture de ces textes est également recommandée à ceux qui ont encore un cerveau en état de fonctionner. Sans oublier les dégustateurs d'humour de grand cru.
Les jeunes enfants, eux, ont intérêt à s'abstenir tant la fumée de bois vert picote les yeux. C'est le genre de chroniques qui remet les idées en place, dissipe la morosité. La sottise des hommes, il vaut mieux en rire qu'en pleurer, n'est-ce pas ? Tous ces «algéricides», au fond, sont plutôt chose comique. Des clowns qui se promènent sur la route. La première page de couverture du livre attire déjà l'œil du chaland, promesse d'un recueil décapant. Des mots pour annoncer le diagnostic du mal profond qui ronge une société. De l'humour noir pour dire des crimes noirs. Sous le titre méchamment drôle, la bonne bouille d'un Rabeh Sebaa à la gaieté espiègle est une préfiguration de l'humour hilarant qui traverse toutes les chambres obscures (de la maison Algérie) telles que revisitées dans ces chroniques, cela ne trompe pas : le chroniqueur a cet instinct que ne peut tuer un raisonnement de l'esprit, et qui s'appelle l'espoir. Lui sait reconnaître tous les siens. «Demain» (le titre de la dernière chronique), le voyage au bout de la nuit s'achève. Forcément, il y aura un jour nouveau pour «allumer tous les soleils» et «chevaucher les arcs-en-ciel». N'en déplaise à la valetaille à larges galons d'or qui s'imagine contrôler les événements et les hommes.
Rabeh Sebaa fait précéder ses textes d'un avant-propos dont voici quelques extraits : «Ces chroniques tirent leur sève nourricière des faits sociétaux qui habitent et agitent les quotidiennetés de la société algérienne. (...) Des faits et des événements qui ont durablement élu domicile au cœur de l'inconséquence. Et devant lesquels nous sommes la plupart du temps tragiquement démunis. Des faits et des événements qui nous précipitent inexorablement au creux de l'anxiété. Au tréfonds du questionnement angoissé (...). C'est dans les abysses de cette inquiétude indignée que ces textes puisent leur humus. Dans cet univers où la parole vive est cernée de toutes parts par les indécrottables vigiles de l'insignifiance. Les sentinelles indéboulonnables du dessein créaticide. une engeance qui veut condamner l'Algérie à une suffocante exigüité. Et qui s'échine à étouffer un pays où l'imagination ne renonce pas à voyager. Un pays où tout incite à aimer et à rêver.»
Juste après, dans l'avertissement aux lecteurs, le chroniqueur a ces mots d'une impitoyable lucidité : «Vous pouvez écrire durant toute la vie. Et même après la mort. (...) Vous pouvez dénoncer. Objecter. Rouspéter. Contester. Protester. Insulter. (...) Rien ne bouge. Tout continue en empirant. Toutes les engeances régnantes se font plus insolentes. Effrontément exaspérantes. Scandaleusement impudentes. Ouvertement arrogantes. Et ostentatoirement plus provocantes. Elles se foutent copieusement de vos dénonciations, de votre récrimination, de votre protestation et de votre contestation. (...) Vous pouvez tremper votre plume dans tous les vitriols du monde. (...) Mais ne touchez pas à l'intouchable. Une seule fois. Ne touchez pas aux biens usurpés. Volés. Détournés. Devenus plus sacrés que le Sacré. Ne touchez pas aux fortunes obèses et mal acquises. (...) Ne dévoilez aucun mic-mac. Aucune magouille. Ne donnez aucune liste. Ne prononcez aucun nom. A part ça, vous pouvez tout dire. Tout écrire. Absolument tout.»
Autant s'indigner contre la pluie, alors ! Ou encore se mettre en colère contre les choses... On s'épuise pour rien. Mais lorsque la bêtise et la vulgarité atteignent des sommets himalayens et que cela ajoute morgue, grossièreté et mépris aux malheurs de l'Algérie, il faut bien que le stylo se transforme en scalpel. Relever la phénoménologie de l'indigne, appeler un chat, un chat : tel sera l'objet de ces chroniques.
Pour le chroniqueur Rabeh Sebaa, il y a nécessité à dire les choses. Sans aucun filtre, sans concession ni langue de bois. En mode brut de décoffrage. Avec les fougueuses saillies d'une écriture téméraire. Mais une écriture grinçant d'un humour noir, mordant, cocasse. Autrement dit, l'humour libérateur qui permet de s'élever au-dessus des miasmes pestilentiels et des rustres australopithèques que l'auteur traque dans son livre, cette catégorie particulière de personnes méprisables que l'on pourrait peut-être dénommer «engeance-sapiens». Ce qui fait aussi la beauté de cette écriture, c'est qu'elle est pénétrée de poésie. Langage rythmé, mélodieux, vibrant, percutant. Phrases fortes où tout le monde en prend pour son grade. Phrases choc qui rappellent la culture hip-hop, les textes de rap/slam, les rimes pour rendre le contenu encore plus cinglant, tout en accentuant sa connotation comique. Le résultat de cet package (phrases fortes, humour, images, métaphores, aphorismes, formules sentencieuses), c'est de marquer l'esprit du lecteur au point où celui-ci, parfois mis KO, se souviendra longtemps des swings de Rabeh Sebaa. Le professeur de sociologie et d'anthropologie linguistique à l'université Oran II donne l'impression de s'amuser furieusement dans ces chroniques. Comme un enfant facétieux et ludique. Et après ? semble-t-il se demander, à chaque fois qu'il défie les événements et les frasques de la maudite «engeance» qui lui hérisse les poils. Pour l'écrivain, la meilleure arme de défense reste l'imagination, la confiance en soi-même, l'espoir, l'amour de la vie et de la beauté.
La réserve est fabuleuse, il suffit d'y puiser. Et c'est pour cette raison que la lecture de toutes ces chroniques ne laisse place ni à l'abattement ni au doute. Le lecteur en sort revivifié, la foi sereine.
Dans ces «Algéricides», l'auteur décrypte un vécu au quotidien, relate des faits singuliers ou cocasses, revient sur certains événements, combine différentes réflexions aussi fines que judicieuses, interpelle, questionne. En 156 chroniques, il fait un «zapping» de tout ce qui n'a ni queue ni tête, ce qui choque le sens commun. Des absurdités vraies qui obligent à avoir de l'esprit, à avoir l'art du clown («L'art du clown va au-delà de ce qu'on pense. Il n'est ni tragique ni comique. Il est le miroir comique de la tragédie et le miroir tragique de la comédie», disait André Suarès).
Ces textes courts sont présentés comme autant de photographies instantanées, des radiogrammes des éléments structuraux d'un corps malade, d'un «pays inquiet» qui souffre d'un étrange syndrome (le syndrome d'Alger ?). A chaque instantané un titre (en un seul mot), une composition de divers éléments (un thème pris à contresens pour en faire ressortir les paradoxes et les anachronismes) et, à la fin de la chronique, un résumé (un «après-dire») alliant esprit et sagesse.
Le résumé contient une citation d'auteur (une formule bien frappée, un bon mot, une tournure spirituelle...), citation suivie d'une interrogation de l'auteur (destinée à confronter et à compléter les propos cités). La parabole sert ici un objectif artistique, le lecteur étant invité à tirer lui-même l'enseignement moral de la chronique en question. Rien ni personne n'est épargné par le chroniqueur : le problème des «identités», la bureaucratie stérilisante et tentaculaire, le moralisme culpabilisant, les constantes fossilisantes, les propagateurs de ténèbres, la «torpeur somnambulique» de l'université, le «piston» et les passe-droits, l'économie de bazar, les dégâts du néolibéralisme, le phénomène des «harragas», le règne des incompétents notoires, les «historions déguisés en sénateurs et en députés» et qui siègent dans «les anfractuosités enfraudées», le travail des enfants, la galère de l'informel, le drame des «filles-mères», la pédophilie et autres phénomènes sociaux, le harcèlement des jeunes amoureux, les violences que subissent les femmes, la régression du monde du travail, la justice à géométrie variable, les atteintes aux libertés, la corruption et la prédation, l'arrogance des parvenus, les atteintes à l'environnement, les trafics en tout genre, les combines des élus locaux, les syndicalistes marrons, etc.
A chaque cible, le chroniqueur touche juste, faisant mouche avec ses pointes d'humour carrosif et impitoyable. Un régal pour le lecteur, qui en redemande, même si ça a un côté un peu redondant à force... Ah ! la façon de découper en lanières les parvenus. «Le nouveau riche crève d'indigestion après toute une jeunesse de pauvreté enragée. Car c'est ça un rêve réalisé : une indigestion», ironisait le romancier Henri Duvernois à propos des parvenus.
Etrange époque où même le paradoxe du menteur («Je mens») ne heurte plus le bon sens. Observateur patient et minutieux, Rabeh Sebaa interroge sa société et il l'écoute de toutes ses oreilles pour en montrer les travers. De façon didactique, il instruit en amusant. Faire rire des ridicules et des tares humaines, en invitant le lecteur à se regarder dans le miroir de ce «pays inquiet», c'est aussi promouvoir une forme d'action thérapeutique. Il est bien vrai que, aujourd'hui, les imbéciles sont pris au sérieux, les charlatans cultivant l'art de la réclame sont récompensés, alors que la veulerie et la stupidité induite ont le vent en poupe. Une punition pour l'esprit pratique, terre à terre, positif. Un affront pour le talent et pour l'homme d'esprit. Exemple : «Après les commissions de réforme de la justice, du système éducatif et de l'Etat, voici la commission de réforme de la pensée. La commission intellectuelle. Chargée de penser la pensée et réfléchir la réflexion. Une commission de réforme de l'esprit, de l'intelligence, du sens et des idées. Aussi bien reçues que congédiées.
Surtout congédiées d'ailleurs. Depuis cinquante-cinq ans et plusieurs félonies. Par un système qui a toujours tenu en exécration tout ce qui peut se rapporter à l'intellection. Une commission anti-intellectuelle bientôt officiellement installée, pour jouer le rôle d'une intelligentsia tampon. Ou plus précisément éponge» («Pensum»). Verdict du chroniqueur, dans l'après-dire : «Selon El Khawarizmi, ‘'rien n'est plus néfaste que l'ignorance déguisée en vertu.'' Mais que dire de l'incompétence érigée en performance ?» Des capitaines de navire en retard de plusieurs batailles et qui persistent dans la «Constance» (le titre d'une autre chronique) à tourner en rond et à vouloir tourner les autres en bourrique. «C'est ahurissant. Voilà qu'on se met à organiser des journées d'étude sur les constantes. à l'heure de la mondialisation.
Des journées d'étude sur les procédés intellectuels de la congélation. De la coagulation de l'esprit. (...) La célébration de la fixité sur l'autel de l'inertie. C'est-à-dire la guerre au mouvement. Et cette brumeuse organisation n'a pas choisi n'importe quel champ pour combat. Douteux. Elle a jeté son dévolu sur le système éducatif.
Puisque c'est là que se façonne le citoyen de demain», écrit l'auteur dans cette chronique. Intelligence épaisse ou débilité hypocrite ? Une chose est sûre : les «nouveaux rédempteurs», les «fieffés momificateurs» et autres «sinistres zélateurs» se croient investis de la mission de «sauver la société algérienne en commençant par ligoter son école» et ainsi «la mettre à l'abri des intempéries de la modernité». Heureusement que, comme par effet boomerang, il y a la société vivante, celle qui vibre et «qui s'exprime», la «société de jeunes». La jeune génération nous offre «comme une floraison d'étincelles brandie à la face des faiseurs d'opacité. Ces propagateurs de ténèbres. Ces fieffés museleurs. Gardiens de temples obscurs et froids. Vigiles de l'énergie mortifère».
Le combat des êtres vivants contre les zombis, ceux que l'auteur désigne par le concept «algéricides»... Tout au long de ces chroniques, Rabeh Sebaa dissèque chaque pièce du musée des horreurs qu'il fait découvrir dans cette visite guidée. Chaque mot, chaque texte sont comme une nouvelle histoire qui surgit au soir d'un carnaval de mannequins grotesques. Parmi les différentes catégories d'«algéricides» qu'il mouche rudement et promptement de ses réparties assassines : les «authentiques scélérats» de «la zoosphère officielle», les «souteneurs» et autres «larbins professionnels», les hypocrites en tout genre, les courtisans et les médiocres rampants, les cabotins gesticulateurs, les bavards écumant leurs frustrations, les «détourneurs invétérés», les «avaleurs» de terres et de terrains, tous ceux qui gèrent l'état comme un patrimoine privé, etc.
Rachid Ksentini avait eu ce mot impertinent : «Ceux qui ont le bras long devraient déboucher les égoûts.» Parole à méditer. Le lecteur a-t-il tiré un amer savoir de son voyage dans ce «pays inquiet» ? Plutôt des enseignements et une jouissance de l'esprit : la recherche de la vérité logique s'accompagne, dans le recueil, de la beauté du style et de mots rayonnants de poésie. Cela fait chaud au cœur. Certaines chroniques sont des oasis de vie, de lumière et d'espoir dans cette traversée labyrinthienne. Hymne à la femme, terre «de tous les périples». Hommage à Oran, la cité pétulante, exubérante, aguichante. N'est-ce pas que, «demain mon pays tournera la page (...) des décennies meurtrières». Alors, il regardera de loin les miasmes évanouis des prédateurs sanguinaires (...). «Il réinventera les déserts et les mers avec une égale aimance». Demain, dit l'auteur. C'est là qu'il faut regarder.
Hocine Tamou
Rabeh Sebaa, Algéricides, chroniques d'un pays inquiet, éditions Frantz Fanon 2017, 346 pages, 700 DA.


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