Coupe d'Afrique des clubs de handball : le HBC El Biar et l'Olymipque Annaba s'imposent pour leur entrée en compétition    Accidents de la route: 62 morts et 323 blessés en une semaine    Présidence palestinienne: Le veto américain est "immoral et contraire à la volonté internationale"    Agression contre Ghaza: le nombre de martyrs atteint 34.012    Zitouni préside une réunion pour examiner les moyens de renforcer l'exportation d'appareils électroménagers    Championnat d'Afrique des clubs de Handball: "Les infrastructures aux critères internationales ont motivé le choix d'Oran pour accueillir la compétition"    Belaribi inspecte le projet de réalisation du nouveau siège du ministère de l'Habitat    Bendjama : nous reviendrons plus forts avec le soutien de l'Assemblée générale en faveur de l'adhésion à part entière de la Palestine à l'ONU    UNESCO: l'Algérie présentera le dossier du zellige pour son inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité    Le Président-directeur général du quotidien "El Djoumhouria" relevé de ses fonctions    Le Général d'Armée Saïd Chanegriha reçoit le président du Comité militaire de l'Otan    Coup d'envoi de la célébration du mois du patrimoine    Rencontre d'évaluation du Plan de prise en charge des malades atteints de cardiomyopathie hypertrophique obstructive    Mois du patrimoine : un concours national pour le meilleur projet architectural alliant tradition et modernité    La révision des programmes scolaires a atteint un "stade très avancé"    Ouverture du 1er séminaire sur "Les tribunaux de commerce spécialisés"    BM/FMI : Faid participe aux travaux des réunions de printemps à Washington    Le projet du périmètre irrigué par les eaux recyclées, une phase importante de la stratégie nationale du secteur    Production prévisionnelle de plus de 4 millions quintaux de pomme de terre saisonnière    L'OM Annaba vise le 2e tour    Manchester City passe à l'action pour Ryan Aït Nouri    Défaite du WA Tlemcen face à Al Nasr    Toutes les structures prêtes pour la réussite de la saison du Hadj-2024    Le Conseil de sécurité se prononcera ce soir    M. Attaf reçoit à New York l'Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye    Saisie de 4,55 g de drogue dure (kétamine), une arrestation à Aïn Nouissy    Démantèlement d'une bande de cambrioleurs    Plus de 152.000 colis alimentaires distribués durant le mois de Ramadhan    Les objectifs réels d'Eric Zemmour aidé par Jean Messiah (II)    Rencontre sur le programme d'économie sociale et solidaire    Trois hauts cadres d'ATM Mobilis derrière les barreaux    La bibliothèque de cheikh Benbadis remise à titre wakf à « Djamaâ El-Djazaïr »    Soixante-dix nouveaux films en compétition    Mustapha Ramdane, homme de lettre et réformateur apprécié dans la vallée du M'zab    Rendre nos lois plus claires    Le correspondant de presse Abdallah Benguenab n'est plus        Le Président Tebboune va-t-il briguer un second mandat ?    L'ORDRE INTERNATIONAL OU CE MECANISME DE DOMINATION PERVERSE DES PEUPLES ?    L'imagination au pouvoir.    Le diktat des autodidactes    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Coupe d'afrique des nations - Equipe Nationale : L'Angola en ligne de mire    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    El Tarf: Des agriculteurs demandent l'aménagement de pistes    Ils revendiquent la régularisation de la Pension complémentaire de retraite: Sit-in des mutualistes de la Sonatrach devant le siège Aval    L'évanescence de la paix    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



55 ans de rapports entre l'Algérie et la France -1re partie
Etude
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 09 - 2018


Par Hassane Zerrouky (*)
Satisfaisant à un rituel bien établi depuis François Mitterrand après l'élection d'un nouveau président de la République, Emmanuel Macron se rend le 6 décembre à Alger pour une courte visite de «travail et d'amitié» d'une dizaine d'heures. Sauf que, cette fois-ci, sans doute pour marquer sa différence avec ses prédécesseurs, il est le premier chef d'Etat français à débuter une visite au Maghreb par le Maroc (17 juin) et non par l'Algérie. Ce qui n'a pas manqué de provoquer quelques froncements de sourcils côté algérien, alors que, pour la première fois depuis 1962, les relations entre les deux pays, souvent marquées par de réelles tensions, étaient dans une phase d'apaisement. Candidat à la présidence de la République, Emmanuel Macron a agréablement surpris les Algériens en qualifiant, sur une télé privée algérienne, le colonialisme de «crime contre l'humanité». Un propos vite atténué une fois installé à l'Elysée, assurant dans un entretien accordé à deux quotidiens algériens – El Watan (francophone) et El Khabar (arabophone) – qu'il ne voulait pas être «l'otage » du passé. Mais voilà, une fois à Alger, il est vite rattrapé par le passé colonial, quand, lors d'un bain de foule dans la rue Ben-M'hidi (ex-rue d'Isly à Alger), il est interpellé sur ce sujet par un jeune Algérois. L'échange est vif et musclé : les images des deux hommes, amplifiées sur les réseaux sociaux, vues par des millions d'Algériens, illustrent bien la difficulté d'une normalisation apaisée des relations, débarrassées du poids du passé. Tourner la page, comme si de rien n'était, est un exercice qui risque de s'avérer bien compliqué «lorsque l'on en connaît la toile de fond historique». En effet, «les Algériens ont plus qu'aucun autre peuple de la région souffert de la domination coloniale, soulignait l'historien Gilbert Meynier. Nulle part ailleurs, il n'y eut conquête aussi atroce, dépossession des terres et confiscation à une telle échelle des meilleurs sols, domination coloniale aussi bouleversante ; et, in fine, une guerre de libération aussi meurtrière que traumatisante».(1) Tandis qu'en France, pour des raisons opposées, la droite et l'extrême droite n'hésitent pas à réveiller ce lourd passif parce que les harkis et les nostalgiques de l'Algérie française constituent un vrai vivier électoral.
Le pari impossible des Accords d'Evian
Les Accords d'Evian, signés le 18 mars 1962, mettant fin à sept ans et demi de guerre et à une domination coloniale de 132 ans, fixant le cadre politico-juridique de la coopération et des relations entre l'Algérie et la France, auraient dû autoriser tous les espoirs si l'Algérie indépendante n'avait pas été soumise à des conditions limitant sa souveraineté. «La coopération avec la France limite certes notre indépendance économique ; les troupes françaises continueront de stationner sur notre territoire. Mais la coopération que nous avons définie avec la France ne revêt aucune forme institutionnelle […] La révolution algérienne n'est pas terminée ; l'indépendance n'est qu'une étape», prévenait le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).(2) «La coopération telle qu'elle ressort des accords (d'Evian) implique le maintien des liens de dépendance dans les domaines économique et culturel», avertissait le programme de Tripoli adopté par le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) fin juin 1962.(3) Parmi les conditions imposées au nouvel Etat algérien : des garanties concernant les intérêts économiques français (exploitation pétrolière notamment), les droits acquis pour les personnes physiques et morales, le maintien de l'Algérie dans la zone franc, les droits culturels. De plus, la France conserverait l'usage de la base navale de Mers el-Kébir pour un bail d'une durée de quinze ans renouvelable, les sites et installations nucléaires au Sahara pour cinq ans et bénéficierait de facilités de liaisons aériennes militaires pour une même durée de cinq années sur des aérodromes algériens. En contrepartie, Paris assurerait une assistance technique, culturelle et financière d'un montant d'un milliard de francs par an, équivalant à celle en vigueur avant l'indépendance algérienne et les immigrés algériens bénéficieraient d'un statut privilégié relativement favorable par rapport aux autres nationalités.(4) En ce qui concerne le million de «Français d'Algérie», ils se voyaient garantir des droits politiques, sociaux et civiques – la jouissance de leurs biens, le droit d'administrer les quartiers d'Alger, d'Oran et d'autres villes où les Européens étaient numériquement majoritaires et de créer leurs propres associations. Ces accords qui dessinaient les contours d'un Etat multiculturel étroitement lié à la France, comme le voulait le général De Gaulle, vont être vidés de leur contenu par l'OAS (Organisation de l'armée secrète). En pratiquant une politique de «terre brûlée » – destruction et sabotage des infrastructures socio-économiques, culturelles et éducatives – et meurtrière à l'endroit des Algériens et des Européens tentés par le vivre-ensemble, l'organisation fasciste provoque le départ massif des Européens d'Algérie craignant des représailles du FLN. Ce qui fait que le pari de la réconciliation entre Algériens et Européens sur lequel reposait une partie de cet édifice politicojuridique signé à Evian devenait de fait caduc. Côté algérien, le premier gouvernement de l'Algérie indépendante dirigé par Ben Bella, issu d'un conflit au sein du FLN ayant pour enjeu le pouvoir, se réfère au programme de Tripoli dont les orientations socialisantes et anti-impérialistes allaient nécessairement à l'encontre de l'esprit des Accords d'Evian. C'est le cas lorsqu'il décide d'entériner par décret dès novembre 1962 l'occupation, par des collectifs de travailleurs constitués en comités de gestion, des grandes fermes coloniales et des entreprises industrielles et commerciales abandonnées par leurs propriétaires européens : c'est le début de l'autogestion socialiste qui sera institutionnalisée par les décrets de mars 1963(5). Et ce, alors que les Accords d'Evian prévoyaient, dans le cas d'une réforme agraire, le rachat négocié des terres coloniales. Ce processus autogestionnaire couplé aux demandes de révision des clauses militaires des Accords d'Evian, exprimées par le gouvernement Ben Bella qui, par ailleurs, a commencé à nouer des relations avec les pays socialistes d'Europe et d'Asie, l'Egypte de Nasser et Cuba, dans un contexte d'ascension du Mouvement de libération des peuples, allait nécessairement provoquer de premières frictions entre les deux pays, moins de deux ans à peine après l'accession de l'Algérie à l'indépendance. Paris prend des mesures de rétorsion : l'aide financière est maintenue, mais diminuée de quelque 200 millions de francs représentant le montant de l'indemnisation des colons expropriés par l'Etat algérien. Bon an mal an, la coopération se poursuit, notamment dans le domaine culturel : Paris tient à ce que le français reste langue de travail et d'enseignement, d'autant que le premier gouvernement algérien a engagé un effort de scolarisation et d'éducation visant à réduire l'analphabétisme qui touchait en 1962 plus de 80% de la population.(6) Toutefois, une chose était sûre : l'Algérie ne faisait pas mystère de son intention de récupérer la totalité des richesses minières et pétrolières. Ce n'était qu'une question de timing. Le général De Gaulle, pas dupe des intentions algériennes, savait qu'il serait difficile de faire respecter la totalité des engagements pris à Evian. Aussi avait-il recommandé de maintenir la coopération avec l'Algérie quelles qu'en soient les «péripéties »(7). Selon Le Monde, il voulait démontrer qu'il était «possible de réussir avec l'Algérie ce que les Etats-Unis n'ont pas su faire avec Cuba».(8) Mais à l'évidence, ses successeurs, Valéry Giscard d'Estaing en particulier, n'étaient pas sur la même longueur d'onde.
Nationalisation des hydrocarbures et tournant giscardien
Avec l'arrivée de Houari Boumediene au pouvoir, succédant à Ben Bella après l'avoir renversé le 19 juin 1965, l'Algérie affiche clairement sa volonté d'entamer la dernière étape de la décolonisation en procédant à une série de nationalisations durant les années 1966-1968 — mines, banques, commerce extérieur, industries — suivie, cinq années plus tard, le 24 février 1971, par la nationalisation des hydrocarbures. Avec la création de la compagnie pétrolière Sonatrach, en décembre 1963, puis la création, en 1965, avec l'aide de l'URSS, de l'Institut algérien du pétrole (IAP) pour former des techniciens et des ingénieurs, il était évident que les autorités algériennes, engagées dans un ambitieux plan de développement (1971-1974), voulaient se donner les moyens de leur politique. Et de ce fait, la récupération et le contrôle des ressources naturelles revêtaient une importance stratégique. La nationalisation des hydrocarbures le 24 février 1971, que seuls le PCF et le PSU avaient soutenue, provoque la première crise majeure entre les deux pays : mise en quarantaine du pétrole algérien, menaces de poursuites judiciaires à l'endroit d'acheteurs éventuels du «pétrole rouge», fermeture de l'usine de montage Renault-Algérie, cessation d'achat du vin algérien, le tout assorti d'une menace de révision de l'accord de 1968 sur la main-d'œuvre en France. S'ensuit alors une flambée raciste – «chassons les fellaghas qui nous prennent notre pétrole» – avec mort d'hommes, culminant, deux ans plus tard, le 2 avril 1973, par un attentat à la bombe visant le consulat algérien de Marseille, faisant plusieurs morts et blessés. La multiplication des actes racistes conduit, le 19 septembre 1973, le président Boumediene à suspendre «jusqu'à nouvel ordre» l'émigration algérienne vers la France, alors contingentée à raison de 35 000 personnes par an. Les relations entre les deux pays sont alors à un niveau critique. Avec la nomination de Michel Jobert à la tête de la diplomatie française en avril 1973, les relations entre les deux pays connaissent un début d'apaisement. Il sera de courte durée. Un an plus tard, avec l'arrivée au pouvoir de Giscard d'Estaing, connu pour ses liens avec les milieux de l'extrême droite «Algérie française» et qui n'a pas pu se faire à l'idée d'une Algérie indépendante, la politique française à l'égard d'Alger va subir une inflexion porteuse de nouvelles tensions. Or, en avril 1975, Giscard d'Estaing surprend en étant le premier président français à se rendre en Algérie. Sa visite, toutefois, n'aboutit à aucun résultat. Pourtant, Houari Boumediene, tout nationaliste sourcilleux qu'il était, était disposé à une coopération avec la France. Il n'en sera rien. Les années Giscard, souligne René Galissot, sont celles de «l'alliance triangulaire» France-Etats- Unis-Maroc face à ce qui est considéré comme «le triangle adverse» Algérie-URSSPolisario. Une «alliance» sur fond de poursuite d'actes racistes souvent meurtriers contre les Algériens en France, de préparation par le Maroc de la «marche verte», qui lui permettra, avec le concours de l'armée française et de l'Espagne franquiste, d'occuper le Sahara occidental en 1975.(9) Prenant ainsi le parti du Maroc, la France giscardienne prétexte la capture de cinq techniciens français par le Polisario et la menace que fait peser ce dernier sur la Mauritanie pour intervenir militairement — c'est l'opération Lamentin — contre les forces sahraouies.(10) Paris accuse de plus l'Algérie de complicités avec les ravisseurs. Alger redoute alors une guerre impliquant la France aux côtés du Maroc.
Cuba met rapidement à la disposition de l'Algérie une assistance militaire. Renouant avec un atlantisme avec lequel De Gaulle avait rompu, Giscard d'Estaing, qui voyait déjà d'un mauvais œil le positionnement de l'Algérie sur la scène internationale avec l'aide aux mouvements de libération africain, arabe et latino-américain et le rapprochement avec les pays socialistes d'Europe et d'Asie et Cuba, est encore plus irrité quand il apprend, le 27 décembre 1977, la libération des techniciens français de la bouche de Georges Marchais de retour d'Alger où il avait été reçu par le président algérien.(11) Et le fait que l'Algérie regarde avec sympathie communistes et socialistes français alliés autour d'un programme de gouvernement ne va naturellement guère contribuer à faire baisser la tension. Elle va même franchir un nouveau palier quand, le 9 février 1978, Giscard d'Estaing demande la révision des Accords d'Evian pour les remplacer par «un nouveau cadre juridique» plus adapté «à la situation actuelle».(12) Pire, évoquant «l'importance de la population algérienne en France», il entendait mettre en place une politique fondée sur le retour volontaire, voire forcé, de quelque 500 000 Algériens, à raison de 100 000 par an, malgré l'opposition de Raymond Barre et Simone Veil, retour volontaire que l'historien Patrick Weil qualifiera de «déportation».(13) S'il a fini par y renoncer, il a maintenu un quota de retour de 35 000 par an pour les 400 000 Algériens installés en France après le 5 juillet 1962. Quant aux relations économiques, déjà en berne depuis la crise de 1971, elles le resteront jusqu'à l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981.
La gauche au pouvoir, espoirs et désenchantements
Avec l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, suivie par la visite de François Mitterrand à Alger (30 novembre-1er décembre 1981), les rapports entre les deux pays connaissent leur première embellie depuis 1962. Un climat de confiance s'instaure, que le ministre des Affaires étrangères, Claude Cheysson, qualifie de «coup de passion». On parle alors de politique de «codéveloppement» entre le Nord et le Sud. La gauche socialiste enterre le projet de renvoi massif des immigrés algériens, régularise plus de 15 000 Algériens en situation irrégulière, les visites ministérielles se multiplient, des accords économiques sont signés — la France acceptant même que le prix du gaz soit indexé sur le prix du baril. Bien plus, Mitterrand apprécie le nouveau président algérien, Chadli Bendjedid, en train de rompre graduellement avec la voie socialiste de développement de son prédécesseur, Houari Boumediene, décédé prématurément à l'âge de 46 ans en décembre 1977, et qui prend peu à peu ses distances avec l'URSS et le camp progressiste (Alger n'a pas soutenu la candidature du Nicaragua à la tête du Mouvement des non-alignés), avant d'opérer en cours de mandat un recentrage de l'Etat autour des valeurs araboislamiques. «Le coup de passion» sera pourtant de courte durée. Politique de rigueur oblige, Paris demande la révision des accords sur le prix du gaz, et ce, au moment même où Alger subissait de plein fouet la chute du prix du baril (40 à 8 dollars). De plus, selon Le Monde, «le remplacement de M. Mauroy par M. Fabius» au poste de Premier ministre, «et celui de M. Cheysson par M. Dumas (Affaires étrangères) n'ont pas réjoui Alger».(14) La visite officielle à Rabat le 27 avril 1985 de Laurent Fabius, assurant qu'il tenait à visiter le Maroc avant l'Algérie(15), «l'attirance » de F. Mitterrand pour la monarchie marocaine(16) et le fait que, selon Hubert Védrine, sur le Sahara occidental, «il a été plus ouvert au Maroc»(17), compliquent encore la relation franco-algérienne. Le changement de majorité intervenu en France en mars 1986 ne modifiera pas la situation. Pour satisfaire son électorat de droite, le nouveau Premier ministre, Jacques Chirac, veut durcir les conditions d'entrée et de séjour des Algériens. Prétextant la vague d'attentats ayant frappé Paris en 1986, l'exécutif chiraquien instaure un visa d'entrée aux non-Européens. Alger réplique en instaurant la réciprocité. Les échanges entre les deux pays connaissent un tassement (elles ont baissé de 15 milliards de francs par rapport aux années précédentes). La France, premier créancier de l'Algérie, multiplie les pressions, veut la contraindre à aligner le prix du gaz sur les cours du marché forcément en baisse. La question des enfants de couples mixtes devient une nouvelle source de discorde : près de 300 enfants étaient retenus par leurs pères (divorcés) en Algérie suite à des décisions de justice d'inspiration islamiste accordant la garde de l'enfant au père. Même la visite de François Mitterrand à Alger en mars 1987 – il se préparait à entrer en lice pour un second mandat – ne peut débloquer la situation. Faute d'accord sur les prix, les négociations sur le gaz commencées en juillet 1986 sont rompues en novembre 1987. Et comme Alger, tournée désormais vers un projet d'union avec Tripoli (Libye), considérait que le gaz est, selon le Premier ministre islamo-conservateur Abedelhamid Brahimi, le nerf de la coopération, les projets d'usines Renault et Peugeot sont gelés au profit du constructeur italien Fiat et des instructions sont données aux entreprises algériennes pour chercher des partenaires autres que français. Pire, au nom de l'arabisation de l'administration, des entreprises et du système éducatif, la coopération technique et culturelle est réduite au minimum : il est ainsi mis fin aux contrats de milliers d'enseignants, ingénieurs et cadres français ou d'autres nationalités étrangères exerçant en Algérie. Même les réfugiés chiliens et latino-américains, victimes collatérales de cette fièvre araboislamiste et nationaliste, sont poussés vers la sortie. Comme si cela ne suffisait pas, s'y ajoute la décision de l'Algérie de récupérer les lycées français, avec interdiction d'accès aux élèves algériens, y compris aux enfants de couples mixtes, à compter de la rentrée scolaire 1988- 1989. Dans un violent discours prononcé le 19 septembre 1988, moins de deux semaines après la visite de Roland Dumas, dépêché par François Mitterrand pour tenter de mettre fin à l'étiolement des relations entre les deux pays et jeter les bases d'une coopération renouvelée, le président Chadli Bendjedid considère la récupération des lycées français comme une «question de souveraineté nationale, sacrée et non négociable».(18) En vérité, «cette affaire ne concerne que quelques centaines d'enfants à Alger […] Elle est l'un des symptômes d'un contentieux beaucoup plus large qui oppose, au sein du parti (FLN), un nationalisme rigide, en l'occurrence partisan d'une arabisation totale de l'enseignement, aux tenants d'une politique de libéralisation et d'ouverture».(19) Seule la coopération sécuritaire semble échapper au climat de suspicion réciproque s'installant entre Paris et Alger.(20) Avec les grèves sociales de septembre 1988, suivies par l'explosion populaire d'octobre 1988 qui vont mettre fin au système du parti unique, l'Algérie s'ouvre au multipartisme au prix d'une répression sanglante, et un cycle se termine. La forte poussée de fièvre nationaliste à forte connotation islamo-arabiste antifrançaise, actionnée par le président Chadli et l'aile la plus réactionnaire du régime, n'aura servi à rien. Les tensions avec la France vont passer au second plan et le projet d'union avec la Libye tombe à l'eau. Le régime FLN, miné par des conflits internes, sera vite débordé sur sa droite extrême par les islamistes du Front islamique du salut (FIS) à qui cette même aile réactionnaire du régime était prête à remettre les clés de la maison Algérie après lui en avoir préparé le lit.
H. Z.
(À suivre)
(*) Hassane Zerrouky, journaliste
Etude parue dans Recherches Internationnales
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1) Gilbert Meynier, Questions internationales, n° 81, juillet-septembre 2016, Documentation française.
2) Redha Malek, L'Algérie à Evian, Seuil, 1994, p. 212. Le chef d'état-major de l'ALN, le colonel Boumediène, et ses adjoints étaient opposés à la signature de ces accords (voir M. Harbi, Le FLN mirage et réalités, Editions Jeune Afrique, 1982).
3) Le programme de Tripoli adopté en juin 1962 par le CNRA.
4) Jusqu'en 1968, les Algériens étaient dispensés de carte de résidence et de travail.
5) Partie de la Mitidja et de la plaine du Chélif durant l'été 1962, l'occupation des fermes coloniales s'est par la suite propagée
à d'autres régions. Petites et moyennes entreprises ont également connu le même processus.
6) Malgré l'arabisation de l'école et de l'administration algériennes, le français est encore utilisé comme langue professionnelle
et de travail, ainsi que d'enseignement dans les disciplines scientifiques et techniques. Depuis la rentrée de 2003,
il est enseigné comme deuxième langue dès la deuxième année du primaire, au point que la langue française est plus implantée à l'ère actuelle
que durant la période coloniale.
7) Cité par Jean-François Daguzan in Les rapports franco-algériens, 1962-1992, Politique étrangère n°4 1993.
8) Le Monde du 13 mars 1964.
9) Voir René Gallissot, Henri Curiel, Le Mythe mesuré à l'histoire, Editions Rive-neuve, 2009.
10) Pas moins de huit attaques aériennes françaises avaient été lancées contre les forces du Polisario qui menaçaient
l'armée mauritanienne entre novembre 1977 et mai 1978.
11) François Mitterrand a également été informé de cette libération par les Algériens.
12) Conférence de presse de Giscard d'Estaing, vidéo de l'Ina.
13) L'Humanité du 24 juin 2015, «Quand Giscard chassait l'Algérien».
14) Le Monde du 13 mai 1985.
15) Le Monde, cité.
16) Le Monde du 4 avril 1986.
17) Liberté (Algérie) du 1/02/2018.
18) El Moudjahid du 20 septembre 1988.
19) Le Monde du 6 septembre 1988.
20) Les services algériens ont été actifs dans la libération des otages français au Liban. En contrepartie, dit-on, Paris expulse 12 opposants
algériens proches de l'ex-président Ben Bella en octobre 1986 et ferme les yeux sur l'assassinat de l'opposant Ali
Mecili, membre du FFS, le 4 avril 1987.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.