Le poète Seddik Souiri, auteur de la fameuse qacida Echchem'â, lequel a vécu au XVIIIe siècle, nous livre ici un autre genre poétique connu chez les férus du melhoun par El Harraz ou l'histoire fantastique et imaginaire du Cerbère, jaloux gardien qui séquestre les belles jeunes filles dans un palais impénétrable. Sauf que notre poète va titrer son œuvre «El Djedouel» ou le chronogramme qu'utilisent les sorciers dans leur maléfique agissement car le Cerbère dans cette qacida est un passionné de la magie cabalistique. Mieux, ce Cerbère possède de grandes connaissances en astronomie et en sciences occultes et a le pouvoir d'amadouer les ‘afarites qu'il charge de surveiller son palais contre tout intrus. Il est comme Harraz Aouicha de l'autre poète Mekki El Qorchi qui a la connaissance d'El Djerdabia ou le livre des abysses de Romanel le ténébreux alors que pour d'autres, il s'agit, dans ce cas précis, du roman de Sayf Ibn Dhi Yazan, ce roi yéménite qu'on accuse d'avoir usité de la magie pour gagner des batailles et délivrer son pays du joug des envahisseurs. Dès l'entame de son œuvre poétique, Souiri va faire preuve d'une grande imagination pour définir le palais dans lequel la jeune fille est prisonnière. Il nous fait état, en effet, d'un palais construit en cristal et entouré de sept murailles dont chacune d'elles est dotée d'une porte hermétiquement fermée de serrures et de loquets et devant chaque porte un ‘afrit est de faction pour couper court à toute tentative d'incursion. «koul sour fih bab bedfouf oue zekram oue qfal, mouethqine ouel hourass ‘alihoum koul bab bi ‘afrit», avertit notre poète. L'épris de la jeune séquestrée est, dès lors, informé de tous ces détails par une servante noire, messagère envoyée par celle-ci aux fins de lui faire part de son désir d'être délivrée. «Mersoul men eddar oussifa, amma em'adba oue dhrifa», aime à la qualifier Souiri. (Une messagère noire envoyée du palais, c'est une servante bien éduquée et d'une inqualifiable politesse) Par cette information, l'épris voulut connaître les noms des sept ‘afarit, gardiens du temple, que celle-ci ne tardera pas à lui donner. Il saura ainsi qu'il s'agit de Kamdhame, du puissant Hemmam, de l'affligeant Dherghame, du tonnerre Mehmame, du jeune Chantoure, du rouge vif Samsame et de Mimoune l'adolescent. L'épris, également fin connaisseur des choses des djinns, possède la science à même de les aveugler et de lui permettre d'accéder jusqu'à sa dulcinée. «Djedwel ma'âtabar ‘âdadi ya'âmi bsarhoum, hetta nedkhoul lelqsar ‘ând ghzali» (Un chronogramme bien établi dont les calculs aveuglent leurs yeux pour que je puisse pénétrer le palais et voir ma bien-aimée). A la tombée de la nuit, l'épris fait ses calculs astrologiques avec le nom des sept astres et formule son talisman avec les douze signes du Zodiac qui lui donnent les stations du bonheur, surtout que les sept jours de la semaine y sont bien notés en langue syriaque. «Oue f'hamt mnazel essa'âda oue hsebt ‘adad lyam besseb'â», dira le poète. Pour se prémunir contre les sept ‘afarit, l'épris cherche refuge auprès de Dieu et fait appel aux anges tout en ayant recours au fameux schéma tiré de la science du Dimyate ou le livre Machari'î el achouaq (les projets des désirs) d'Ibn Nehas Eddimyati, informera Seddik Souiri. Son travail achevé, il l'encensera au benjoin, myrrhe, grains de persil et oliban. «Bekhertou beldjaoui ma'â elmi'â oue loubane edhkar oue hboub men el qasbour ouel qmari», avertira notre poète. Son talisman bien attaché à son bras droit comme rempart, l'épris court à la hâte vers la demeure de sa gazelle. Devant les djinns, il lit quelques versets de la sourate Al-Feth. A peine ces versets prononcés, ces derniers sont estomaqués et les cadenas transpercés. Il entre dans le palais et trouve son âme sœur occupée à l'attendre à l'intérieur d'un sérail aux mille et un décors. Elle était illuminée tel un cierge éclairé, affirme le poète. «Noudjed rouh dheti tetsenani, fayqa men dhay ennebrasse.» Vite, elle court lui enlever les amulettes pour savourer les retrouvailles et pallier tout contrecoup des maux occultes pouvant émaner du talisman. «Nez'ât ‘an dhra'î el hdjab ou qamet tedjri el malketni qad el miyas.» Seddik Souiri, dans une fiction spéculative, décrit le faste du palais et ses salons pompeusement meublés que les tapis d'Orient ornent cérémonieusement le parterre marbré. «ouezrabi ouetsareh ka mthil lahradj ‘ala na'âtou», ajoutera-il. La séquestrée demande à son délivreur comment est-il parvenu à pénétrer le palais ? «seltek lellah bach men hila dekhelt lelqsar ?», insistera-elle. «C'est par l'amertume causée par ta séparation et la science des esprits parallèles, c'est par l'encens qui a aveuglé les djinns que j'ai accompli ce prodige», lui répondra-t-il. L'épris et sa bien-aimée passeront le reste de leur vie dans le délice et la félicité tel un livre de conte de fées, laisse anticiper le poète Seddik Souiri. M. Belarbi