Adapté du roman éponyme de l'écrivaine marocaine Leïla Slimani, le film de Lucie Borleteau a été projeté samedi à l'Institut français d'Alger. Porté par un duo d'actrices convaincant, Chanson douce ne fait cependant que survoler la profondeur de l'œuvre initiale. Myriam et Paul cherchent désespérément une nounou pour leurs deux enfants en bas âge. Campée par Leïla Bakhti, la mère est avocate alors que son mari (Antoine Reinartz) est musicien. Après plusieurs entretiens loufoques, le couple tombe sur la perle rare : Louise, une nounou expérimentée campée par une Karin Viard virtuose. Le film prend très vite les accents d'un thriller psychologique quand se dessinent les traits de plus en plus inquiétants d'une nounou plus que parfaite et dérangée ! La réalisatrice opte d'abord pour une narration à contre-courant de l'originale qui commence par la fin : la tension du scénario monte donc au fur et à mesure que Louise se dévoile au spectateur dans sa double dimension de mère de substitution et de femme obsessionnelle et malsaine. Mais alors que Leïla Slimani interroge dans son roman la notion de maternité et la vocation « sacrée » que la société fait endosser aux femmes, Lucie Borleteau opte, quant à elle, pour un film de genre qui parvient certes à tisser une dramaturgie haletante et à créer un véritable malaise, voire une angoisse chez le public, mais qui passe à côté de l'aspect le plus intéressant du roman, à savoir son exploration extrêmement fouillée des fondements sociologiques, psychologiques et politiques de l'acception de la maternité. Loin du brûlot strictement féministe, le roman a le mérite de sonder les différents paliers des rapports de domination sociale, à commencer par celui de la société patriarcale jusqu'au système de classes en passant par la condition de l'enfant. Au centre : la figure de la mère, prédominante et archétypale, que Leïla Slimani dissèque avec brio pour en démontrer l'impressionnante imperméabilité aux prétendues évolutions de la société. Devant toute cette complexité autant romanesque que cinématographique, le film s'avère trop léger, voire superficiel. Il lui reste cependant un atout de taille : le tandem formé par Leïla Bakhti et Karin Viard qui crèvent littéralement l'écran dans une interprétation en relief et une synergie tendue incarnant les deux versants contradictoires de la figure maternelle. Mais c'est surtout Viard qui, dans son inéluctable descente aux enfers de sa psyché tourmentée, parvient à incarner jusqu'au bout des «angles» cette mère de substitution psychotique qui entretient un double rapport d'amour et de maltraitance avec les enfants et qui ne peut se résoudre à s'en séparer, quitte à commettre l'irréparable. S. H.