Blanchi sous le harnais de la glorieuse servitude de l'Etat, il était attendu à ce que le nouveau président de la République prenne de solides options doctrinales parmi toutes celles qui, habituellement, animent les discours contradictoires portés par le multipartisme. À ce genre de questions, que la curiosité journalistique lui avait posées lors de son passage à la télévision,(1) il eut une étonnante riposte dont le sens déconcerta plus d'un tant par la hardiesse de son aveu personnel que par la somme d'ambiguïtés susceptibles de l'obliger à d'autres clarifications. Affirmant qu'a priori la «noria» des partis avait cessé de l'intéresser et, qu'à présent, il préfèrerait prospecter dans le terroir du mouvement associatif afin de pouvoir «reconstruire la cohésion entre les Algériens», il laissa donc entendre qu'il était disposé à balayer l'éternel tabou consistant à se doter d'un «machin» de propagande. Sauf que, quelque part, un boycott implicite de la société politique risquerait, à tout moment, d'être un casus belli antidémocratique, et ce quelles que fussent les formes que prendraient les confrontations. Il est vrai que la profession de foi dédiée aux vertus de la démocratie exige à tout moment des preuves. Or, comment assumer régulièrement les signes qu'il faut et les témoignages au profit de son primat si le pouvoir exécutif venait à ignorer l'existence de son censeur qu'est le Parlement ? Insoluble quadrature du cercle que le précédent chef de l'Etat sut pourtant contourner à son profit au point de réduire la présence des partis à un pitoyable cache-misère de la démocratie. En effet, au lieu d'ignorer les partis, Bouteflika parvint, en vingt années, à en clochardiser la majorité d'entre eux. Et si leur faillite était pour la plupart actée à travers leur invisibilité publique, cela était dû initialement au travail de sape entrepris sous ce régime-là. Evidemment, la tornade du Hirak allait en achever l'existence en instruisant sur la place publique les méfaits des barbouzes qui les dirigeaient. À ce propos, il n'est pas inutile de rappeler que Bouteflika cultivait discrètement un infini mépris pour les libertés politiques. Appréciant pour la frime «les expressions plurielles», ne fut-il souvent le procureur des événements d'Octobre 1988, les qualifiant de «tournant tragique» qui n'eut pour conséquence que de «mettre en péril l'unité nationale». Aussi, n'avait-il jamais manqué les occasions qui se présentaient pour accabler de sa critique le laxisme du régime à l'origine de la première ouverture démocratique leur imputant ainsi l'affaiblissement de l'Etat. Et c'est de cette époque (1999-2004) que la broyeuse des partis en était venue à disqualifier injustement les partis dont la notoriété était pourtant incontestable et, dans le même temps, à attribuer aux barbouzes du FLN et du RND des faux bassins électoraux que le trafic des urnes leur avait permis de contrôler durant 15 années le Parlement. La corruption actionnée à travers les privilèges et les dotations somptueuses affectés à tous les faire-valoir fut donc à l'origine de l'émergence de faux partis qui n'étaient rien d'autre que des supplétifs mobilisables sous le label de... «Société civile» ! Dès l'instant où solidairement ceux-là obéirent aux diktats du palais, ils furent étonnamment plus violents dans leurs soutiens que même le pouvoir ne souhaitait défendre. C'est pourquoi il nous apparaît difficile d'imputer au seul pouvoir la dégradation des libertés publiques. Car, même le recours à l'examen du devenir démocratique de l'Etat interpelle également le bilan global de la société politique. En effet, qui, à part un quarteron de partis (FFS, RCD, Ennahda et PT) s'était-il sérieusement soucié du «cancer» des fausses urnes et autres escroqueries politiques, quand, dans les autres chapelles, l'on se couchait pour un strapontin ou un maroquin. Autrement dit, ne furent-ils majoritairement «éligibles» au soudoiement ? Parfois même, certaines personnalités en arrivèrent à l'autocritique à la suite de difficiles examens de conscience. Sauf que ce genre de témoignages n'est pas significatif par rapport à l'ampleur de l'échec de nos institutions. D'ailleurs, malgré deux décennies entières de régression, ce multipartisme dévoyé n'avait pas été en mesure de faire sa propre décantation. Celle qui aurait permis au pouvoir législatif de se recomposer autour de trois ou quatre grandes familles idéologiques réellement représentatives des cultures politiques de base irriguant la société. En revanche, ce refus de corriger cette terrible errance politique avait totalement perverti la perception commune de la praxis des libertés politiques jusqu'à en attribuer les causes à l'électorat vis-à-vis duquel l'on déploya des campagnes de sensibilisation à travers lesquelles l'abstention était violemment assimilée à une désertion du devoir national. Une critique martiale qui réinstalla le pouvoir et les partis dans les rôles d'accusateurs. De ce réquisitoire condamnant les électeurs boudant les référendums destinés à valider et l'amnistie et la concorde, la plupart des officines obéissant aux ordres du pouvoir firent le choix de saluer le bourrage des urnes pour «gagner la paix contre les boutefeux» ! De cette époque date justement l'usage immodéré de la mythologie du sommet de la nation, si bien que même les significations des événements étaient altérées par le prisme de la manipulation. Victime consentante du système, la classe politique ne pouvait, par conséquent, résister au temps et aux épreuves, se contentant de louvoyer entre des justifications spécieuses et de prétendus deals politiques consentis par nécessité. Il est vrai qu'au cœur de l'échange inégal qui verrouilla son destin, la classe politique savait bien qu'elle finirait par être l'éternelle dupe de tous changements à la tête de l'Etat. C'était l'unique fois où l'ensemble des « sociétaires en politique » anticipèrent ce qui allait leur advenir. Le 22 février 2019 était la date de leur procès. Ce que n'a sûrement pas oublié le Président Tebboune, préférant tendre l'oreille à l'imaginative Société civile que de négocier les résultats des urnes avec une véreuse aristocratie politique. B. H. (1) Au cours de sa récente conférence de presse, le président de la République avait substantiellement déclaré que son rapport aux partis politiques ne présentait dans l'immédiat aucun intérêt pour lui.