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Réalités du présumé différend arabo-berbère (1re partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 27 - 09 - 2020


Par Hocine Bouraoui(*)
(En hommage à Chihani Bachir, Abane Ramdane, Bennaï Ouali, Krim Belkacem et toutes les victimes innocentes de la tragédie algérienne, de Mellouza à Bentalha).

Introduction
Je voudrais, en introduction, lever une équivoque. J'ai l'infini respect et la plus grande considération pour toutes les femmes et tous les hommes de cette terre qui, par leur engagement ou leurs créations artistiques, ont libéré l'homme de ses chaînes. De Jugurtha à l'Emir Abdelkader ; de Saint Augustin (Docteur de la Grâce) à Sidi Abou El Hacène El Chadhouly (père de toutes les confréries du Grand Maghreb) ; tous les artistes et poètes (berbères, arabes, français, juifs, chrétiens et musulmans...) qui ont chanté sous les cieux et le soleil de cette terre sacrée.
Les résistances algériennes à l'invasion coloniale française et la guerre de Libération ont été l'œuvre de femmes et d'hommes dont la beauté, le courage, les faiblesses sont inhérents au genre humain. Les critiques soulevées ici et là et les jugements émis dans cette modeste contribution touchent aux pratiques et non aux personnes.
Ma tentative utopique, dira-t-on, soulèvera certainement des mécontentements de part et d'autre tant la problématique est délicate et sujette à des a priori et à des partis-pris. Je n'ai questionné que les écrits sérieux et universitaires et n'ai retenu que les faits reconnus et admis. S'il y a un parti-pris, ce sera le souci de recherche d'une logique qui tient au fait de la confrontation de ces écrits et récits. C'est ma part de vérité.
L'Algérie indépendante : mauvais départ ?
L'enquête sur «Les effets psychiques et politiques de l'offense coloniale en Algérie», de la psychanalyste Karima Lazali, lève le voile sur un point sombre qui empoisonnera l'histoire de l'Algérie indépendante : «la légitimité révolutionnaire» qui empêchera l'alternance au pouvoir et les transitions démocratiques. De Ben Bella à Bouteflika, l'Algérie vivra sous l'unique mandat de la «famille révolutionnaire». L'auteure écrit : «La prise de pouvoir a, en effet, été le produit d'une série de détournements et d'arrangements complotistes». (Karima Lazali : Le Trauma colonial Alger. Editions Koukou 2018).
De retour d'Egypte le 26 avril 1962, le premier Président de l'Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella (1916-2012), portait dans ses bagages quatre -ismes «Plaies d'Egypte» (Arabisme, islamisme, nationalisme, socialisme). À sa descente d'avion à Tunis, il scandera : «Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes.» Le Président tunisien Habib Bourguiba, agacé par l'ingratitude de l'adoubé des services secrets égyptiens, interprétera dans sa perspicacité l'envolée lyrique de Ben Bella comme une soumission au nouvel homme fort de l'Egypte, le Président Gamal Abdel Nasser (1918-1970).
Le 23 juillet 1952, le mouvement des «officiers libres», à sa tête le lieutenant-colonel Gamel Abdel Nasser, s'entoure du général Mohammed Naguib (1901-1984) pour renverser le roi Farouk et proclamer la République le 18 juin 1953. Accusé d'être proche de la mouvance islamiste, le général Naguib est écarté du pouvoir le 14 novembre 1954 par le colonel Nasser. Ce dernier sera élu Président d'Egypte avec presque 100% des voix lors du référendum du 23 juillet 1956.
Le Président Nasser conçut de plus vastes ambitions, la revivification de la nation arabe «El Qawmiyya El Arabiyya». Le «Royaume arabe» fut une idée de Napoléon III. Annie Rey-Goldzeiguer rapporte : «L'objectif de l'empereur était de faire de l'Algérie une force politique au service du souverain et un élément de puissance pour l'Empire [...] L'expansion de l'influence française sur le monde sud-méditerranéen de l'Algérie à la Syrie était une des perspectives de politique générale qui occupaient son esprit.» (Annie Rey-Goldzeiguer : Le Royaume arabe : la politique algérienne de Napoléon III, Sned. Alger 1977).
Le nouvel empire arabe rêvé par le Président Nasser devra s'étirer de l'Euphrate (pays du «Croissant fertile») à la vallée du Nil (Egypte et Soudan), et des golfes d'Aden et Arabo-Persique (péninsule Arabique) à la mer Méditerranée (pays du Grand Maghreb).
Le Président Nasser placera ses espoirs panarabistes en Ben Bella, après l'échec de l'éphémère union syro-égyptienne (1958-1961) ou la République arabe unie (RAU). Il chargera son homme de confiance, Fethi Dib, aux fins d'adouber celui sur lequel il avait jeté son dévolu, pour présider ultérieurement aux destinées de la jeune République algérienne, appelée à être amarrée à la nation arabe en devenir.
Après la crise de l'été 1962, Ben Bella est élu président de la République le 27 septembre 1962, par la grâce d'un coup de force de l'état-major général (EMG) de l'ALN des frontières contre le GPRA. Le gouvernement provisoire était divisé mais surtout fragilisé par le revirement inattendu de Ferhat Abbas. Le premier Président du GPRA ira rejoindre l'état-major au grand dam des dirigeants du Gouvernement provisoire. Il justifiera plus tard son ralliement par sa volonté d'éviter «la congolisation de l'Algérie» (?).
Ben Bella annoncera dans son discours officiel du 5 juillet 1963 : «Nous sommes des Arabes, des Arabes, dix millions d'Arabes [...] Il n'y a d'avenir pour ce pays que dans l'arabisme.» On ne relèvera pas assez que Ben Bella avait prononcé son discours dans la langue qu'il maîtrise le mieux : le français. L'écrivain Kateb Yacine fit cette réflexion cocasse : « Si nous sommes arabes, pourquoi nous arabiser? Si nous ne sommes pas arabes, pourquoi nous arabiser ?»
On serait resté au burlesque si les développements ultérieurs n'avaient pas pris des tournures tragiques. Les dirigeants politiques algériens de Ben Bella à Bouteflika, se référant à l'existence d'un peuple mythique arabe, avaient nié tous les particularismes (Kabyles, Chaouis, Mozabites, Sahraouis, Targuis,...) et toutes les réalités linguistiques de la société algérienne («darja» ou parler algérien, berbère et ses différents parlers, français, hébreu usité en cachette...). Tous les textes fondateurs de la République algérienne feront de l'arabe la langue nationale et officielle de tout un peuple, et l'arabisation «un but et un moyen».
L'affirmation arabo-berbère dans le mouvement national algérien
L'Islam est la religion la plus partagée par les habitants du Grand Maghreb. N'en déplaise à Monseigneur Charles Lavigerie (1825-1892) venu dans les bagages du maréchal Mac Mahon ressusciter «L'Antique Eglise d'Afrique du Nord». Pour le «Missionnaire du Christ», l'Algérie fut une terre latine avant la venue de Okba Ibn Nafa' (622-683) en l'an 670. La «France généreuse», «Fille aînée de l'Eglise», n'a fait que «récupérer une province perdue de la latinité» dont les Berbères étaient «latino-chrétiens» avant l'invasion musulmane. La lutte contre la langue arabe entamée depuis la commission Jules Ferry en 1880 réussira, par le décret du 8 mars 1938 (décret Camille Chautemps), à la confiner dans le répertoire des langues étrangères. Le phénomène de décolonisation mondiale, intervenu après les deux guerres mondiales, a montré le visage génocidaire de la colonisation qui a été finalement reconnu par la descendance des premiers colonisateurs comme «Crime contre l'humanité». Alexis de Tocqueville (1805-1859) écrira à propos des vols et pillages des ressources : «Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu'elle ne l'était avant de nous connaître.» (Alexis de Tocqueville : Rapport sur l'Algérie 1847, Zirem, Alger, 2006). Les missionnaires de Dieu ne furent, en réalité, que «les fusées éclairantes de l'artillerie coloniale».
L'effacement total du latin du paysage linguistique du Grand Maghreb tient au fait de la parenté de la langue arabe et du berbère appartenant au groupe linguistique «chamito-sémitique». Ernest Renan (1823-1892), écrivain et philologue français, écrit : «La disparition complète du latin tenait-elle à la présence de cette première couche sémitique.» (Ernest Renan : Histoire générale et système comparé des langues sémitiques, Paris, éditions Calmann-Lévy 1920). Le linguiste Salem Chaker ajoutera dans ce sillage : «Du point de vue strictement linguistique, il est sans doute plus facile pour le Berbère de passer de sa langue à l'arabe que du berbère au latin.» (Salem Chaker : Réflexions sur les études berbères pendant la période coloniale, Algérie. Revue des mondes musulmans de la Méditerranée. 1982).
Les Algériens voyaient déjà dans l'Islam l'unique moyen de sauvegarder leur identité face au colonisateur. À travers les différentes et successives résistances (Ahmed Bey, Abdelkader, Fatma N'Soumer, Zaâtcha, Boubaghla, Bouamama, El Mokrani...) préfigurait la cohésion du sentiment prénational. L'aveuglement des colonistes fera écrire à l'historien Charles Robert Ageron dans Histoire de l'Algérie contemporaine (1964) : «Le Kabyle comme l'Arabe est de la race du chacal qui paraît se résigner mais ne s'apprivoise jamais.»
La montée des nationalismes en Europe du XIXe siècle et les mouvements du «printemps des peuples» de 1848 (Unité allemande, Unité italienne) avaient secoué les pays africains et arabo-musulmans placés sous dominations coloniales. Le mouvement «Jeunes Algériens», à l'instar des mouvements «Jeunes Turcs» et «Jeunes Tunisiens», apparaît au début du siècle dernier dans un contexte historique de grands questionnements internes du monde arabo-musulman qui cherche à comprendre l'origine de son retard.
Ces « Jeunes Algériens», d'origine indigène souvent privilégiés (médecins, avocats, commerçants), bousculeront les élites traditionnelles religieuses installées dans le confort de la domination coloniale. On y trouvera les docteurs Bentami Belkacem (1873-1937) et Abdennour Tamzali (1880-1979), l'avocat Chérif Benhabilès (1891-1959). Le mouvement «Jeunes Algériens» est abondamment décrit et en détails par les historiens Charles-Robert Ageron dans Genèse de l'Algérie algérienne (2005) et Mahfoud Kaddache dans son incontournable thèse Histoire du nationalisme algérien (éditée en deux volumes en 1980 et 1981).
Influencé par les échos des nationalismes arabes d'Egypte et des pays du Levant, le mouvement «Jeunes Algériens» englobera les deux tendances : les défenseurs d'une identité arabo-musulmane proche du mouvement Nahda, et ceux prônant une citoyenneté laïque, héritée du «Siècle des Lumières». Le mouvement «Jeunes Algériens», à travers ses expressions (laïque et arabo-musulmane), sera représenté par le courant assimilationniste de Ferhat Abbas et le réformisme de Abdel Hamid Ibn Badis.
Le cheikh Abd El Hamid Ibn Badis (1889-1940) est d'extraction bourgeoise. Son père, gros propriétaire terrien, fut l'un des plus influents notables de la ville de Constantine (délégué financier, bachagha, et grand dignitaire de la légion d'honneur). Le jeune Ibn Badis sera placé sous le préceptorat de Hamdane Ibn Ahmed Lounissi (1856-1920), théologien, enseignant à la grande mosquée de Constantine El Kettania, et sera disciple du grand mufti d'Egypte Mohamed Abduh. Ce dernier se rend à Constantine en septembre 1903 où il déclare : «La politique est la cause de tous nos malheurs.» Il condamnera le mouvement «Jeunes Algériens» et placera les préoccupations premières au «retour à la pureté primitive de l'Islam». Ferhat Mekki Abbas (1899-1985), natif du douar Chahna de la commune mixte de Taher à Jijel, est le produit de la politique d'émancipation et d'assimilation de Jules Ferry.
Ce dernier déclarera au Sénat en 1891 après le passage de la «commission Ferry» en Algérie : «L'œuvre civilisatrice de la France consiste à relever l'indigène, à assurer son existence.»
Ferhat Abbas n'imaginait pas un avenir aux Algériens musulmans assimilés autre que sous les lois de la République française. Robert Ageron rapporte les propos du président de l'UDMA : «Il n'y a rien dans le Livre Saint qui puisse empêcher un Algérien musulman d'être nationalement français.» (Robert Ageron : Un manuscrit inédit de Ferhat Abbas. Mon Testament politique. Outre-Mer. Revue d'histoire 1994)
La question identitaire dans le mouvement national
De mon point de vue, la charge symbolique des langues arabe et berbère prévalait pour leurs locuteurs sur le parler. Ce qui explique les échecs de l'arabisation et de l'officialisation du tamazight. La première fut imposée par le colonel Boumediène et menée à la hussarde par Taleb El Ibrahimi, la deuxième, décrétée par Bouteflika, relève plus de la démagogie que du bon sens.
La question identitaire fut fréquemment instrumentalisée par les pouvoirs successifs pour dénouer les conflits internes, régler les dissensions de la classe politique, chercher des compromis pour les équilibres régionaux. Depuis le maquis FFS de 1963 au Printemps noir de 2001, l'identité fut souvent exhibée par les pouvoirs en place comme facteur de division de la société algérienne unie autour des «valeurs arabo-islamiques». Elle est aussi utilisée comme «cheval de Troie» par le pouvoir ou l'opposition à des desseins inavoués. La politisation de la question identitaire a empêché que s'installe un travail académique serein sur les langues et langages usités en Algérie.
Pour les jeunes de ma génération de Annaba (ex-Bône), la question identitaire n'effleurait même pas l'esprit, tant elle était rangée dans les domaines de l'impensé et de l'impensable. Des familles entières kabyles avaient émigré vers Annaba fuyant la «misère de Kabylie» et les villages de la vallée de la Soummam, après les soulèvements d'El Mokrani et de Cheikh Aheddad en 1871 et les répressions sanglantes qui s'ensuivirent.
Des quartiers de Annaba portent encore le nom de ces tribus kabyles : «El Fekkharine» (les artisans potiers), «El M'hafer» (les tailleurs de pierre), indigènes kabyles que les colons de Annaba, exaspérés tant par les rébellions que par l'insécurité, les désigneront par «Beni ramassés».
Les répertoires musicaux du malouf et du chaâbi sont chantés et furent même sauvés de l'oubli par des artistes originaires de Kabylie. Le regretté maître Hassène El Annabi est originaire d'El Kseur, Hamdi Benani de Larba Nath Irathen et Cheikh Brahim Bey de la vallée de la Soummam. Les familles kabyles de grandes tentes, notamment les «Manseur», les «Aït Kaki», les «Temmime», les «Aït Kaci», ont donné au mouvement national ses militants et à la guerre de Libération ses martyrs. De nombreuses avenues et rues de Annaba en portent les noms.
Le célèbre poète Si Mohend u M'hend avait séjourné quelque temps à Annaba lors de ses pérégrinations. J'apprendrai bien plus tard que le Savant de la pensée islamique Mohammed Arkoun (1928-2010) n'est pas d'origine kabyle. Ses arrière-parents avaient fui la ville de Constantine pour Ath Yenni où ils avaient trouvé protection, «El 3naya», après un crime d'honneur.
Je m'inscris en faux par rapport à tout ce qui a été rapporté sur «la marginalisation des Berbères» dans l'histoire du mouvement national. L'ouvrage amphigourique de Amar Ouerdane, par le titre doctoral qui le donne à lire, laisse une impression générale que les résistances à l'invasion coloniale et les longues luttes pour l'indépendance ne furent que sinécure.
Depuis la création de l'Etoile nord-africaine au Printemps berbère (1980), les militants et hommes politiques algériens passaient le clair de leur temps plus à comploter entre eux pour des querelles ethnolinguistiques que combattre l'Etat colonial. (Amar Ouerdane La question berbère dans le Mouvement national algérien 1926-1980, éditions Dar El Ijtihad). Amar Ouerdane ne remontera pas l'histoire pour poser la «Question berbère» sous la domination ottomane (1512-1830). La colonisation ottomane de l'Algérie avait un double objectif : le contrôle de la Méditerranée (piraterie) et la levée de l'impôt pour la «Sublime Porte», symbole d'allégeance à la Régence. La présence turque avec sa fiscalité oppressive durera plus de trois siècles mais ne laissera aucune trace civilisationnelle (langue, infrastructures, ...).
Le linguiste Salem Chaker présente dans son ouvrage Berbères aujourd'hui une Kabylie précoloniale laïque, ethnocentrée, exclusivement berbérophone. La langue arabe y est pratiquement inexistante et l'Islam réduit aux cultes maraboutiques. (Salem Chaker : Berbères aujourd'hui, Paris : L'Harmattan, 1998). Le premier traducteur d'Ibn Khadoun, le Français orientaliste, philologue et arabisant, le baron de Slane (1801-1878), découvre que le fondateur de la sociologie moderne s'est inspiré d'une compilation anonyme, Kitâb Mafâkhir el Barbar (Epopée des Berbères), pour la rédaction de son immense encyclopédie El Muqaddima. Yacine Temlali fera cette réflexion inédite : «C'est donc en arabe que les Berbères écriront eux-mêmes leur histoire pour la première fois.» (Evariste Lévi-Provençal : Fragments historiques sur les Berbères au Moyen-Age. Collection de textes arabes. Institut des hautes études marocaines 1934).
Je ne pourrai clore ce chapitre sans évoquer les survivances d'une propagande coloniale quant au refus des tribus kabyles d'accueillir en 1838-1839 l'Emir Abdelkader, venu solliciter une alliance ou une intégration dans son Etat. La soldatesque coloniale, craintive à l'idée d'une jonction des tribus berbères, voyait dans l'alliance arabo-berbère une menace contre la colonisation inachevée de l'Algérie. Le signataire du «Traité de la Tafna», le maréchal Bugeaud (1784-1849), gouverneur d'Algérie (1841-1847), envisagera, dans ses plans d'expansion coloniale, la conquête de Kabylie. Elle s'achèvera dix années plus tard après les dernières résistances de Fatma N'Soummer en 1857 (La bataille d'Icheridene).
L'accueil froid réservé à l'Emir Abdelkader par les tribus kabyles trouve son explication dans le souci de préservation de leurs maigres ressources que dans d'autres considérations spécifiquement ethnoculturelles. Ces tribus restent soucieuses de leur autonomie et méfiantes à l'égard de tous les «envahisseurs» et tout pouvoir étranger à leurs modes de gestion.
L'appréhension du poids de l'impôt sur des régions montagneuses caractérisées par la pauvreté des terres agricoles, l'exhérédation de la femme kabyle, «un fait de l'histoire et de la géographie», obéissent à la même logique. C'est une pratique coutumière répandue à travers toute la Kabylie. Elle répond à la crainte du morcellement d'une terre agricole déjà parcimonieuse par son étendue.
L'idée d'indépendance a émergé paradoxalement en France dans le sillage du parti communiste français. C'est à Paris que fut fondée en mars 1926 l'Etoile nord-africaine (ENA). L'émigration algérienne à dominance kabyle, fuyant la misère, la précarité, et surtout la conscription militaire obligatoire pendant la Première Guerre mondiale, ira s'installer en métropole et se fixer autour du bassin parisien et le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais : «L'uzina walla l'cazirna», disait-on à l'époque. Ce qui signifie : l'usine est mieux que la caserne. Les premiers fondateurs de l'Etoile, Salah Bouchafa (1903-1945), Ammar Imache (1895-1960), Hadj Ali Abdelkader (1883-1957), Belkacem Radjef (1909-1989), Si Djilani Mohamed (1886-1954), Messali Hadj (1898-1974), appartenaient à l'émigration ouvrière. Ils découvriront l'Etat de droit et la France des droits de l'Homme par opposition à «L'enfant voyou des Lumières» : la colonie.
Les pionniers de l'Etoile, Abdelkader Hadj Ali et Hamouche Akli, étaient en liaison avec Ho Chi Minh et furent membres du comité directeur du Parti communiste français quand le Kominterm inscrira l'autodétermination des peuples colonisés dans ses programmes (émancipation des peuples opprimés). On pourrait épiloguer sur les mobiles qui présidèrent à la désignation d'un chef «arabe» sur un socle «kabyle». Si les fondateurs de l'Etoile nord-africaine firent de l'«Arabe» Messali le légitime représentant de l'association, c'était pour éviter les lectures tendancieuses, réduisant l'Etoile à un conglomérat de Kabyles, et peut-être aussi attendre un hypothétique soutien des pays du Moyen-Orient.
La crise de 1949 : querelle de leadership ? «Crise berbériste» ? «Crise anti-berbériste» ?
Dans son article «La crise berbériste de 1949», livré en 1987 dans la Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, où il reprend l'essentiel de son ouvrage sur la Question berbère dans le mouvement national, Amar Ouerdane, pointilleux sur les détails, omet sciemment de citer deux éléments importants dans l'appréhension des dissensions politiques que traversait à l'époque le parti nationaliste MTLD. 1/ La lutte latente pour le leadership entre Messali et Lamine Debaghine ; 2/ les différentes tentatives du vieux leader de se débarrasser de l'aile radicale du mouvement national incarnée par l'Organisation spéciale.
Libéré de la prison de Brazzaville en juillet 1946, après plus de neuf années, ballotté d'une prison à une autre, Messali avait acquis par son martyre une aura quasi mystique dans l'imaginaire du peuple algérien qui a fini par fixer sur cet indépendantiste des premières heures l'idée de libération. Toute l'Algérie était messaliste.
Le témoignage du militant Omar Oussedik : « Pour nous, le rôle de Lamine Debaghine était de préparer l'insurrection, mais nous reconnaissons d'une manière incontestable le rôle de leader de Messali.» (Cité par Mohammed Harbi dans Aux origines du FLN publié en 2004). Cependant, les réalités de la résistance avaient évolué pour la perception du «zaïm», restée figée aux années 30. En effet, une grande partie des militants voulait passer à l'action armée et en découdre avec le système colonial.
C'est durant cette période de grands questionnements que Messali, dépassé par les événements, rusera pour la maîtrise de l'évolution du mouvement national : isoler les activistes et les confiner dans la clandestinité de l'Organisation spéciale (OS) ; et créer un parti légaliste, baptisé Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), agréé par l'administration coloniale, œuvrant au grand jour pour les projets de la colonie. C'est l'impasse.
Messali Hadj s'attellera pendant l'année 1947 à se débarrasser de tous ses adversaires politiques. La première victime fut Amar Imache (1895-1960). Sa «Lettre d'adieu aux Algériens résidents en France» rédigée le 5 février 1947, dénonçant le leadership de Messali sur le Parti, n'aura aucun impact sur les militants du PPA. Ali Guenoun écrit : «Il sera combattu en Kabylie même.»
Pour concrétiser sa mainmise sur le PPA, Messali convoque le «Congrès de Belcourt» le 15 février 1947. Le congrès décide, malgré les rapports opposés présentés aux débats, le maintien du PPA clandestin, la création de l'Organisation spéciale, et confirme l'existence du parti légal réformiste le MTLD sans consulter la base des militants.
Déconnecté des réalités du terrain, loin des aspirations des militants et cadres du parti, Messali ira chercher une légitimité internationale. Il fera diffuser par le MTLD vers la fin de l'année 1948 le «Mémorandum à l'ONU» qui s'ouvre par un anachronisme et une méconnaissance de l'histoire : «La nation algérienne, arabe et musulmane existe depuis le VIIe siècle.» L'indignation gagnera non seulement les militants berbéristes engagés dans la lutte contre le système colonial qui y voient une négation des résistances berbères mais aussi l'aile arabophone (Lamine Debaghine). Pendant la réunion du comité central élargi à Zeddine (Commune de Aïn Defla) en décembre 1948, Aït Ahmed, jeune chef de l'Organisation spéciale, ne citera point dans son rapport la problématique linguistique (créée de toutes pièces au congrès de 1947), mais axera son intervention sur les aspects politique, militaire, financier et diplomatique du déclenchement de la lutte armée. Il assènera cette vérité : «Pourquoi risquer ma vie dans un combat truqué où le vainqueur est connu d'avance? Je préfère prendre des risques pour quelque chose qui en vaille la peine [...] Telle est l'opinion courante des Algériens, des militants et de nombreux dirigeants ici présents qui se sont retrouvés à Barberousse et non au palais Carnot. Il y a incontestablement impasse, usure et danger de démoralisation.»
Deux événements majeurs viendront marquer l'histoire du mouvement national, dont nous subissons à nos jours les conséquences.
H. B.
(À suivre)
(*) Professeur de médecine, spécialiste en neurologie et neuropsychologie. Diplômé des études supérieures de médecine de guerre. Licencié en sciences économiques (économie de la santé).


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