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Crise de la pensée ou de la conscience islamique ? (1re partie)
L'impasse du monde arabo-musulman :
Publié dans Le Soir d'Algérie le 07 - 11 - 2020


Par Hocine Bouraoui(*)
«Et le Prophète clama, Seigneur ma communauté a délaissé ce Coran.»
(Coran S.25/V.30)
«Ôtez la synonymie au discours islamique, et c'est tout l'édifice du ‘'fiqh'' qui s'écroulera de lui-même.»
(Mohamed Chahrour)
«Il faut enlever la parole de Dieu aux gens du culte, car ils la détournent à leurs profits.»
(Victor Hugo)
«Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester, mais comprendre.»
(Spinoza)
INTRODUCTION
Limites de la jurisprudence «fiqh» ou l'islamisme contre l'islam ?
Pourquoi l'auteur de ces lignes, médecin de formation et d'exercice, irait-il s'aventurer dans les méandres de la pensée islamique ? La question me taraudait l'esprit depuis les années 80 avec l'avènement, dans le champ politique algérien, d'un islam activiste, «Al islam al haraki», importé d'Egypte, et étranger à la société algérienne, musulmane dans sa majorité. En vérité, des circonstances, plus tragiques les unes que les autres, furent à l'origine de mes questionnements, mes inquiétudes et mes doutes.
- La «décennie rouge», ces «années de braise» et de violences meurtrières, qui emportera plus de 200 000 victimes en Algérie, et pendant laquelle une jeunesse algérienne venue à la vie demandait à mourir pour une «vie meilleure dans la proximité du Prophète et des sahaba» (compagnons du Prophète).
- Le 8 juin 1992 tombait, en Egypte, sous les balles assassines du groupe «Gamaa islamiya», Farag Fouda (1946-1992), philosophe, écrivain et homme politique égyptien, victime expiatoire de l'islam politique. Au juge qui le questionnait sur la lecture des écrits du philosophe et le mobile de son acte, le terroriste Abderrahmane El Chaf avoue qu'il ne sait ni lire ni écrire, mais répondait par son geste à la sentence proclamée par le conseil des Oulémas d'El Azhar, rendant son «sang licite». Mohamed Ghazali (1917-1996), considéré comme l'un des prédicateurs du «renouveau islamique», viendra à la barre justifier l'assassinat de Farag Fouda : «Si le gouvernement peine à condamner les apostats, n'importe qui peut se charger de le faire.» Le président algérien Chadli (1929-2012) fera appel aux services de Mohamed Ghazali au milieu des années 80 pour «prémunir» la société algérienne du danger islamiste après l'affaire de Bouyali (1940-1987), leader du premier mouvement islamiste en Algérie. Le prédicateur égyptien sera flanqué du prestigieux titre de l'«Imam El Ghazali» comme pour faire confusion avec le grand mystique Abou Hamid El Ghâzali (1058-1111). Il lui sera confié le poste important de président du conseil scientifique de la grande mosquée Emir-Abdelkader de Constantine, autant dire que «le loup était dans la bergerie». Celui qui s'est opposé à l'enterrement de l'écrivain algérien Kateb Yacine (1929-1989) «en terre d'islam» (dans sa terre natale) était payé en devises fortes qu'il déposait dans son compte en Suisse où y résidait et étudiait sa fille. Il terminera sa course en Arabie saoudite qui l'a missionné pour semer la doctrine «wahhabite» dans le monde arabo-musulman. Sa dernière volonté exprimée à ses employeurs fut d'être enterré au cimetière de Médine El Baqi', dans la proximité du Prophète. Soit dit en passant, le dictateur de Tunisie, le président déserteur Ben Ali (1936-1919) qui s'est envolé avec l'or des Tunisiens vers l'Arabie saoudite, émettra aussi le vœu de rejoindre la proximité de celui dont il a trahi le message : Crimes et châtiments ?
- Au printemps de l'année 1995 éclate en Egypte ce qu'est devenue plus tard «L'affaire Abû Zayd», qui aura des retentissements internationaux. Le 14 juillet 1995, Nasr Hamid Abû Zayd (1943-2010), philosophe, herméneute et professeur de littérature arabe, responsable de la chaire coranique à l'Université du Caire, est déclaré apostat par la justice égyptienne, sur une plainte émanant du conseil des Oulémas d'El Azhar. Les magistrats ordonnent en conséquence qu'il soit séparé de sa femme légitime, au motif qu'une musulmane ne pouvant être l'épouse d'un non-musulman. Nasr Hamid Abû Zayd, auteur d'un ouvrage herméneutique (Mafhûm al-naç : dirâssa fi ûlum Al-Qur'ân. Beyrouth. 1990) (Le Concept du texte. Etudes sur les sciences du Coran), fut accusé de «préconiser l'usage de la raison pour expliquer les concepts dérivants de la lecture littérale du texte coranique, afin de le remplacer par des concepts modernes, plus humains et progressistes. Il applique plus particulièrement sa méthode d'interprétation rationnelle aux textes relatifs à l'héritage, à la femme, aux chrétiens aux juifs et aux femmes esclaves» (Rachid Benzine, Les Nouveaux Penseurs de l'Islam. Editions Albin Michel 2008). Sous la menace de mort de groupes fondamentalistes de la «Gamaa islamiya», Abû Zayd et sa femme Ibtihal Younes (professeure de littérature française) quittent l'Egypte le 26 juillet 1995 pour les Pays-Bas, où le couple reçut une invitation de l'université de Leyde.
Le monde arabe de la «nekba» (défaite) à la «sahwa» (éveil)
La déroute des armées arabes face à la petite armée israélienne lors de la guerre de juin 1967 (la guerre des Six Jours qui durera en réalité 4 heures) impactera fortement la rue arabe, ballottée entre l'arabisme totalitaire et creux du président Gamal Abdel Nasser (1918-1970) et l'islamisme dogmatique des Frères musulmans.
Une grande partie d'une jeunesse déboussolée ira chercher des réponses à la déconfiture dans le «prêt-à-penser» de la formule «L'islam est la solution» «El hal el islami». Le mouvement politico-religieux «salafiste», soutenu par la monarchie «wahhabite» qui prêche le retour à un islam rigoriste, verra dans la «Al-Sahwa al-islamyya» (le réveil islamique) l'alternative à l'échec de l'idéologie arabe de Nasser. Farag Fouda répondra à la défaite arabe de juin 1967 (el nekba) par le livre Qabl el souqout (Avant la chute), écrit sur un ton satirique résumant les causes de l'infortune de la nation arabe.
Après sa mort survenue brutalement le 28 septembre 1970, causée officiellement par «un arrêt cardiaque», le colonel Gamal Abdel Nasser apparaîtra comme «l'alchimiste de l'insuccès» (Jean-François Khan, L'héritage d'un rêve, L'Express du 5 octobre 1970). Son successeur Anouar El- Sadate (1918-1981), resté dans son ombre pendant dix-huit longues années, enterrera l'arabisme avec son fondateur. «Celui que Nasser aurait traité un jour de ‘'homâr'' sera plébiscité le 15 octobre 1970 par référendum avec un score de 90,04%) (Robert Solé : Sadate, Editions Perrin, Paris 2013). Le futur prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz objectera : «L'accession de Sadate à la présidence de la République, après Nasser, m'a parue d'un ridicule inachevé.» (Cf. Sadate). Le Président croyant (El Raïs el mo 'min) dotera, le 11 septembre 1971, l'Egypte d'une nouvelle Constitution. Son article 2, «Les principes de la Charia sont la source principale de la législation», fera fi des 10% d'Egyptiens chrétiens présents depuis l'aube du christianisme. Le «Président pieux» s'appellera désormais Mohamed-Anouar Al Sadate et la «Zebiba» (raisin sec), le cal brun arboré sur le front, est le résultat de nombreuses prosternations.
Dès son arrivée au pouvoir, Sadate libère les détenus islamistes et autorise le retour d'exil de leurs dirigeants. Ces derniers continueront à défendre au grand jour le projet de l'Etat islamique «Dawla islamyya». Une jeunesse radicalisée choisira le chemin de la clandestinité et de la violence, et les étudiants islamistes appuyés par les autorités se chargeront de «nettoyer» l'université.
C'est au nom de la démocratie que Sadate autorisera les groupes religieux dans les campus universitaires. Robert Solé, son biographe, écrit : «Les premiers camps universitaires d'été des ‘'Gama'at islamiya'' (Associations islamiques) aidés par les services secrets naissent à la fin de l'année universitaire 1972-1973. On y apprend aussi bien le Coran que les techniques de prosélytisme, sinon du combat.» (Cf. Sadate). La prestigieuse université d'Al Azhar ne sera pas en reste, puisque son recteur inaugurera le campus de Mansourah.
L'appel au retour des valeurs traditionnelles avait en réalité un but politique précis : réduire au silence les communistes, les socialistes nassériens et les démocrates libéraux. Gilles Kepel, politologue français, spécialiste de l'islam et du monde arabe, écrit : «En encourageant la mouvance islamiste, Sadate renonce au monopole de l'Etat sur l'idéologie et à la captation de la religion qu'avait instaurés son prédécesseur. Là où l'Etat nassérien mobilisait les foules par le nationalisme et réprimait toute pensée dissidente, son successeur compense la faiblesse doctrinale de son régime en laissant s'exprimer des acteurs religieux autonomes pour qu'ils neutralisent la gauche. Cette libération relative de la religion se produit, alors que le domaine proprement politique reste strictement contrôlé. Il n'existe pas de liberté de presse véritable, pas de marché libre des idées, sinon dans l'enceinte des mosquées, à travers un discours religieux que les islamistes sauront capter à leur profit.» (Gilles Kepel, Djihad. Expansion et déclin de l'islamisme, Gallimard, 2000).
«Comme tous ceux qui jouent avec le feu, ce fut lui qui brûlera» (Honoré de Balzac, Les Illusions perdues. Gallimard 2013). Sadate tombera sous les balles assassines de la «Gama'at islamiya» le 6 octobre 1981, lors du défilé de la victoire («l'opération Badr») de la guerre d'octobre 1973, au cours de laquelle l'armée égyptienne avait réussi la traversée du canal de Suez. Une «fatwa» reconnaissant la licéité du «sang de l'apostat» avait été obtenue de la part d'Omar Abdel-Rahman (1938-2017), un prédicateur aveugle, plus tard condamné aux Etats-Unis pour son rôle dans l'attentat du «World Trade Center» de 1993. L'assassin du président Sadate, Mohamed Islambouli, dirigeant des «Gama'at islamiya» à la faculté de commerce d'Assiout, scandera lors du procès qui le condamnera à mort : «J'ai tué Pharaon !» Ironie du sort, celui qui avait débuté sa présidence comme «Le Président croyant» terminera tragiquement son parcours comme «Le Président Pharaon».
I- Naissance et décadence de la pensée islamique
Le questionnement qui vient à l'esprit de tout chercheur soucieux, penché sur l'histoire de la civilisation islamique : comment une pensée qui a donné à l'humanité Ishak El Mawçili (767-850 après J.-C.) et Ziryab (789-857 après J.-C.) pour la musique, El Moutannabi (915-965 après J.-C.) et Ibn Zeydoun (1003 -1071 après J.-C.) pour la poésie, Ibn Hazm (994-1064 après J.-C.) pour le raffinement, Ibn Tofayl (1110-1185 après J.-C.) pour la raison, Ibn Sina ( 980-1037 après J.-C.) pour la médecine, Rûmi (1207-1273 après J.-C.) , Sohrawardi (1155-1191 après J.-C.) et Ibn Arabi (1165 -1240 après J.-C.) pour la mystique, Ibn Khaldoun (1332-1406) pour la sociologie — et la liste est longue — peut-elle engendrer des terroristes criminels de la trempe des «Groupes islamiques armés»,«Gama'at islamiya», «Talibanes» et «Daech» ?
À la mort du Prophète (Paix soit sur lui), l'Islam comme croyance et comme foi fut achevé, commence alors l'ère des musulmans. Les circonstances de la «mort prématurée» du Prophète (PSL) sont décrites avec minutie par la Tunisienne Hela Ouardi, spécialiste de l'islam et de littérature française : «L'image tragique de l'abandon du cadavre du Prophète par ses amis les plus proches hanterait encore l'inconscient collectif des musulmans» (Hela Ouardi : Les Derniers Jours de Muhammad. Editions Albin Michel).
Le califat était né des suites de complots et d'assassinats. «La déchirure» précoce de l'islam comme «volonté et représentation» débutera lors du conclave de la «Saqîfa» (tonnelle) des Banû Sâ'ida le 8 juin 632 après J.-C. Hela Ouardi raconte dans une enquête fouillée l'histoire stupéfiante restée secrète de la prise du pouvoir par le clan des «spoliateurs», désignés ainsi dans la malédiction de Fatima, la fille chérie du Prophète : «Avant même que le Prophète soit porté en terre, ses plus proches compagnons rivalisèrent alors en trahison, de pactes secrets, de corruption et de menaces de mort pour s'emparer du pouvoir.» (Hela Ouardi : Les Califes maudits. Editions Albin Michel 2019).
Le philosophe Farag Fouda dévoile dans son ouvrage El Haqiqa el Gga'iba (La vérité absente) l'histoire occultée du califat que la mouvance islamiste contemporaine appelle à sa restauration. Il cite plusieurs modes de gestion et de transmission du pouvoir califal (dynastiques, violents, consensuels). Les «Califes bien guidés» (El Khoulafa al-Rachidoune) ont été tous assassinés, y compris Abou Bakr (573-634), qui fut empoisonné (Cf. L'islamisme contre l'Islam). La «Guerre d'apostasie» (Harb al-ridda) lancée par Abou Bakr répondait plus à un mobile politique que religieux : le refus des tribus arabes de s'acquitter de l'impôt auprès d'un pouvoir califal non reconnu. Les conquêtes et les pillages ont permis l'enrichissement de la soldatesque d'Abou Bakr. Le chef de guerre Khaled Ibn El Walid «Syaf Allah» ou «Epée de Dieu» (mort en 642) tuera de ses propres mains le chef d'une tribu rebelle pour lui prendre de force sa femme (Farag Fouda. Al-Haqîqa al-ghâ'iba, Le Caire 1986).
La guerre civile, appelée par euphémisme «El Fitna el kobra» (Grande discorde), qui mettra aux prises Ali avec Mou'awiya, verra les apôtres et compagnons du Prophète «Essahaba» Zubayr Ibn Al-Awam (596-656) et Talha Ibn Ubayd Allah (594-656), auxquels le Prophète (PSL) a promis le paradis, s'entretuer pour la prise du pouvoir. Le premier fut tué pendant la «Bataille du chameau» et l'autre poignardé dans le dos lors de sa prière. «Nous vous avons combattu hier pour Sa révélation (tanzil), nous vous combattons aujourd'hui pour Son interprétation (ta'wil)», scandait Ali, cousin et gendre du Prophète, à l'adresse de Mou'awiya «calife usurpateur», rejeton de l'ennemi ancestral du Prophète (tribu de Banû Hachem), Abû Soufiane (tribu de Banû Omeyya) ; au même moment où Mou'awiya appela à sa rescousse Aïcha, l'épouse préférée du Prophète, venue galvaniser ses troupes.
Hichem Djaït, sociologue tunisien, rapporte les détails de la première guerre civile du monde islamique survenue après le meurtre du calife ‘Uthman, appelée «Bataille du chameau» en raison de la participation directe de Aïcha, veuve du Prophète, à la bataille, depuis sa litière posée sur son chameau. Cette bataille est symboliquement importante aux yeux des musulmans puisqu'elle opposa l'épouse préférée du Prophète et la fille de son meilleur compagnon Abu Bakr à Ali, l'époux de Fatima, la fille choyée du Prophète et la mère de sa descendance (Hichem Djaït : La Grande Discorde. Religion et politique dans l'islam des origines. Collection Bibliothèque des histoires, Gallimard 1990).
La dynastie omeyyade fut érigée sur des liens de sang. Tous les gouverneurs des provinces du premier Empire musulman appartenaient à la descendance des familles arabes de la tribu des Banû Omeyya dont est originaire le calife ‘Uthman (574-656 après J.-C.). Ce dernier sera assassiné le 17 juin 656 après J.-C.), et son cadavre traîné trois jours durant à travers les rues de Médine. On interdira son enterrement au «Baqi'» (cimetière musulman de Médine), et c'est dans un cimetière juif où le cadavre ensanglanté du compilateur du corpus coranique et fixateur de sa consonance retrouvera sa dernière demeure. Muhammad Sa'id al-'Ashmawi, spécialiste du droit musulman à l'Université du Caire et ancien chef de la cour de sûreté de l'Etat en Egypte, écrit : «Des cadavres de notables omeyyades seront déterrés et crucifiés par leurs successeurs.» (Muhammad Sa'id al-'Ashmawi. L'islamisme contre l'Islam. Editions Broché 1990). Le pouvoir abbasside venu chasser par la violence les Omeyyades comptera dans sa dynastie de califes «Emir El Mou'minine» (guide des croyants), libertins, dévergondés, s'adonnant à l'alcool et à l'homosexualité (Cf. El Haqiqa El Gha'iba).
L'Etat islamique : de Médine à sa chute
La première cité plurielle du monde arabo-musulman verra le jour à Médine au temps du Prophète (PSL). Le texte connu par la désignation de «Constitution de Médine» fut rapporté dans la première biographie du Prophète d'Ibn Ishaq sous le titre Le Pacte entre les émigrés et les ansars et la réconciliation avec les Juifs. Le biographe rapporte : «En vue de garantir la sécurité et la paix à Médine, le Prophète (paix soit sur lui) conclut avec les Juifs un accord en vertu duquel il approuvait leur religion et reconnaissait leurs possessions. Cet accord stipulait qu'il incombait aux Juifs de se prendre en charge financièrement comme il incombait aux musulmans de se prendre en charge financièrement. D'après l'accord, Juifs et musulmans étaient tenus de se porter conseil mutuellement, d'être bienveillants les uns envers les autres et d'exclure tout préjudice. L'accord affirmait également que quiconque quittait Médine était en sécurité et quiconque y demeurait était en sécurité, ainsi que d'autres principes ayant tous pour objectif de garantir la liberté de conscience et d'expression, et de proclamer l'inviolabilité du sang, de l'argent et la prohibition du crime. Ainsi, tous les habitants de Médine étaient rassurés au sujet de leurs personnes, de leur honneur et de leur liberté de conscience. Les musulmans pouvaient désormais accomplir les rites de leur religion individuellement ou en congrégation sans avoir à craindre quelque préjudice ou persécution.» (Ibn Ishaq : La vie du Prophète Tomes 1, 2. Editions. Al Bouraq Beyrouth Liban 2001).
Quand le pouvoir califal a quitté Médine pour Damas sous les Omeyyades (632-749 après J.-C.) ) et Baghdâd sous les Abbassides(750-1258 après J.-C.) ), l'islam comme culture et civilisation a conquis d'immenses territoires, allant de l'Atlantique à l'Himalaya. Pour la première fois dans l'histoire des civilisations, seul l'Empire islamique couvrait les plus grandes entités de civilisations : le monde «occidental» riche de ses traditions gréco-romaines et ses croyances judéo-chrétiennes, et le monde «oriental» riche des civilisations perse, chinoise et hindoue.
Les premiers souverains musulmans, soucieux de l'essor de l'Islam, n'hésitèrent pas à s'approprier les riches héritages des foyers des civilisations antérieures. Ils s'entourèrent sans crier gare pour la promotion de la civilisation arabo-islamique des plus brillants esprits arabes et non arabes, musulmans et non musulmans. Pour l'exemple, les Omeyyades se sont inspirés des modèles architecturaux byzantins pour la construction des mosquées et édifices religieux. La célèbre Mosquée de Damas, la «Grande Mosquée omeyyade» ou «Djama'a El Ûmawiyyine», construite sous le calife Al Walid 1er (706-715) ,«une œuvre purement musulmane», prit à la basilique Saint-Jean-Baptiste ses aspects ornementaux (Gérard Degeorge, La Grande Mosquée des Omeyyades. Imprimerie nationale, Paris, 2010). Al Walid 1er fera appel aux services de l'un des plus grands théologiens chrétiens en la personne de Saint-Jean Damascène (676-749), pour la gestion de l'administration fiscale.
La dynastie abbasside (750-1258 après J.-C.) incarnera depuis sa capitale Baghdâd le rôle de promoteur et protecteur du développement des différents courants de pensée. Bâtie en 762 après J.-C. au cœur de l'antique Mésopotamie, Baghdâd, littéralement «Ville de la paix», fut le centre du monde des arts et du raffinement, des sciences et de la médecine, de la philosophie et de la mystique. La «Ville de la paix» demeura la capitale intellectuelle de l'immense empire musulman où, réellement, le «soleil ne se couche jamais», jusqu'à sa destruction par les Mongols (en 1258 après J.-C.).
Fondée par le «prince mécène» Abû AlîAl-Hasan Al-Tûsî, surnommé «Nizam al-Mulk» (1018-1092 après J.-C.), l'université de Baghdâd «Nizamiyyah» fut la plus grande université du monde médiéval. Le «prince mécène» y avait délégué le célèbre philosophe et théologien Abou Hamid El Ghâzali (1058-1111 après J.-C.) pour l'enseignement de la philosophie et des sciences religieuses. Les «sciences profanes» ne furent pas en reste, puisque «Nizamiyyah» abritera des chaires de mathématiques, littérature arabe, astronomie et même de musique. De grands noms en sortiront, pour ne citer que Saadi Schirazi (1210-1292 après J.-C.), l'un des plus grands poètes et écrivains persans, ou Ibn Tumert (1080-1130 après J.-C.), leader spirituel et réformateur berbère musulman, fondateur de la dynastie berbère almohade.
Depuis l'embryon Etat de Médine à la chute de l'Empire abbasside, le monde arabo-musulman connaîtra plusieurs guerres internes suivies de grands déchirements (Abbasides à Baghdâd, Omeyyades à Cordoue, Fatimides au Caire), qui susciteront de questionnements et bouleversements dans la perception d'un monde en perpétuel mouvement. Les ruptures épistémiques affecteront aussi le cours de la pensée islamique jusqu'à la fin de la dynastie abbasside sous le règne du 10e calife Al-Mutawakkil (821-861 après J.-C.).
Le règne du calife abbasside Al-Mutawakkil (821-847 après J.-C.) marquera la fin de l'époque d'ouverture et de tolérance avec la victoire du courant traditionnaliste «Ahl El Naq» sur le courant libéral représenté par les «Mou'tazila» ou «Ahl el ‘aql». Le «fils de l'esclave» mettra fin au courant libéral le «Mu'tazilisme», initié au début du IIe siècle de l'hégire (Henri Laoust : Les Schismes dans l'Islam. Editions Payot 1977), pour imposer celui du courant traditionaliste conservateur. Il combattra la pensée «mu'tazilite»et persécutera dans une «inquisition islamique» les «mu'tazila» (libres-penseurs). La fermeture des portes de «el ijtihad» ou l'effort réflexif, et la primauté du courant traditionaliste «Ahl El Naql» sur le courant progressiste «Ahl Al ‘Aql» finiront par scléroser la pensée et signifier la fin de la civilisation islamique. L'islam s'est depuis figé comme croyance et culture. Le philosophe Farag Fouda décrit le devenir de la pensée islamique après l'avènement des traditionalistes : «La pensée islamique dans sa rhétorique et son imaginaire est fondée sur des légendes et des féeries. Habile à coller des formules éthérées sur les réalités, et, comme dans toute culture oratoire, à jouer des mots pris souvent pour des choses.» (Cf. Qabl El Souqout). L'avènement des sociétés industrielles occidentales à la fin du XVIIe et son corollaire, le phénomène de la colonisation mondiale, trouveront des peuplades arabo-musulmanes dans un état de décadence parfait pour leur colonisabilité.
De l'universalisme «fait coranique» et du particularisme du «fait islamique»
Dans ses recherches sur l'histoire de la pensée islamique, le philosophe et historien Mohammed Arkoun (1928-2010) opère une distinction entre le «fait coranique» et le «fait islamique». Le philosophe rattache le «fait coranique» à la Révélation qui appartient la sphère orale. Dans cette forme de perception, le Saint Coran reste ouvert dans sa signification. Il définit le «fait islamique», par contre, comme un système de croyance régulièrement utilisé à des fins idéologiques et politiques de manière à légitimer ou à maintenir le pouvoir de certains groupes. (Cf. Les Nouveaux Penseurs de l'islam).
Quand l'islam s'est expatrié de la Péninsule arabique, la prophétie de Mohammed (PSL) s'est trouvée mise au défi face aux «miracles» attribués à Moïse et Jésus dans les récits bibliques. Une foisonnante littérature arabo-musulmane s'est mise en place, attribuant au Prophète de l'Islam des pouvoirs surnaturels, dépassant même ceux de ses devanciers (voyage nocturne et l'ascension au ciel ; jaillissement de l'eau de ses doigts...). Mohammad Al-Boukhârî (810-870), plus connu sous le nom de «Imam El Boukhâri», persan érudit, aurait compilé plus de 70 000 «hadiths» ou dires du Prophète. (Çahîh Al-Boukhârî - Les dires du Prophète.T1, TII, TIII, TIV, TV, Bilingue français/arabe librairie «El Qalam» Saint-Etienne 2009). Le corpus de l'Imam Al Boukhâri est remis actuellement en question par des chercheurs musulmans libéraux et au sein même de l'autorité d'Al Azhar. La croyance au Voyage céleste du Prophète (PSL) «AlIsra' wa al mMi'radj» est mise en doute par le professeur Youcef Zidane, spécialiste de littérature arabe et du soufisme, directeur du département des manuscrits à la bibliothèque d'Alexandrie. Il contestera également la thèse de la sainteté de la mosquée de El Aqsa, Coran à l'appui, dans une conférence publiée sur Youtube le 17 septembre 2015.
«L'impossible biographie» du Prophète a donné libre cours saux fantasmes les plus imagés et imaginés. La recherche éperdue de la représentation du Prophète a produit une inflation d'images telle que la figure finale prendra l'aspect d'un ectoplasme (Jacqueline Chabbi : La Biographie impossible de Mahomet. Arabica. Histoire et tradition sacrée. T.43, Fasc.1 1996).
Un courant mystique a tenté de s'émanciper tout au long de l'histoire du monde arabo-musulman dans une recherche transcendantale, mais il fut ostracisé, combattu et même réprimé par le pouvoir politique califal adossé aux autorités doctrinales. Beaucoup de mystiques connaîtront le supplice et des morts atroces. Louis Massignon (1883-1962), islamologue français, décrira le supplice de Hallâj, dans un volumineux ouvrage (Louis Massignon. La Passion de Hallâj, 4 vols. Gallimard, 2000). Le philosophe et mystique Perse Sohrawardi (1155- 1191 après J.-C.), fondateur de la «Philosophie illuminative» «El Ichraq», fut jugé et exécuté pour hérésie sur le conseil des gardiens de l'orthodoxie de l'époque. La sentence — il fut emmuré — a été ordonnée par le sultan ayyoubide Salah Eddine que l'historiographie musulmane décrit sous les traits du «Sultan mécène», et que le cinéaste égyptien Youcef Chahin nous présente comme le libérateur de la Palestine (Henry Corbin. Histoire de la philosophie islamique. Gallimard, 1964).
Les guerres civiles, les déchirements internes et les querelles intestines sunnites-chiites empêcheront la naissance de l'Etat-nation initié à la mort du Prophète (PSL). Ces pays s'accommoderont alors d'un modèle monarchique absolutiste et dynastique (Cf. Les Schismes dans l'Islam). La guerre actuelle livrée au Yémen, pays musulman, par la coalition des monarchies du Golfe sous la direction de l'Arabie saoudite et l'œil de l'Oncle Sam, soucieux de la sécurisation des voies maritimes pour l'acheminement du pétrole, opposera en réalité l'Arabie saoudite sunnite à l'Iran chiite. Cette guerre de tous contre tous dans la communauté de l'islam réactualise le bras de fer entre Ali et Muawiya à l'aube de l'islam.
Tout comme le Liban, prolongement naturel de la Grande Syrie, est devenu, par la grâce de la France coloniale, un Etat confessionnel et se voit impliqué, à son corps défendant, dans l'opposition sunnite-chiite. Le cataclysme de l'explosion du port de Beyrouth survenu le 4 août 2020 est venu rappeler cette réminiscence. (Patrick Seale. La lutte pour l'indépendance arabe. Editions Fayard 2010).
H. B.
(À suivre)
(*) Professeur de médecine, spécialiste en neurologie et neuropsychologie. Diplômé des études supérieures de médecine de guerre. Licencié en sciences économiques (économie de la santé).


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