Semblables aux guerres, dont on sait pourquoi elles se déclenchent mais jamais quand et de quelle manière elles rendent les armes, nos partis politiques eux aussi savent dans quel but ils ont été créés alors qu'ils ignorent dans quelles circonstances ils seront condamnés à disparaître. Bardés chacun d'un acronyme annonciateur de grandes promesses, ils s'adressent ponctuellement à la population surtout quand il s'agit de battre campagne électorale. Folkloriques boîtes à complots politiques diffusant chacune un programme, ces enseignes animèrent un théâtre particulier depuis l'hiver 1989 lequel se révéla, dès son origine, une immense imposture qu'agréa sans hésitation l'inamovible « deus ex machina » qu'est le « système ». Alors que la magie des discours convenus ou les incantations des tribuns connut une réelle défection au tournant des « années Bouteflika », cette multitude d'appareils décida de s'investir différemment en se mettant au service du pouvoir afin de préserver une certaine prééminence dans la distribution des postes de responsabilité tout en prétendant qu'ils ne doivent ces acquis que par la grâce d'une assise sociale conséquente. Alors que même le siècle a vieilli de 20 années et qu'à leur tour les signes du temps ne leur semblent pas favorables, il est fort probable que certaines « adresses politiques » disparaissent à la suite de la prochaine redistribution des cartes. C'est pourquoi il se dit, dans le Landernau de la classe politique, que la panique des militants est partout perceptible car elle n'a surtout pas épargné la sérénité d'apparence de leurs dirigeants. D'ailleurs, même les contestations internes varient en intensité et prennent des allures différentes. Pour certains, les reproches ciblent en premier lieu le leader à qui l'on impute les batailles électorales perdues par le passé mais aussi son manque d'anticipation quand il fallait soutenir par opportunisme le Hirak dès le printemps quitte à en faire l'annonce tardivement au moment de la destitution de l'ex-Président, lequel était pourtant le parrain ! D'autres ont aussi préféré instruire carrément des procès aux instances dirigeantes en étayant leur réquisitoire par le contenu de la doctrine même de leur parti. Comme on le constate ici et là et d'une chapelle à l'autre, la colère sourde tétanise la totalité des partis ou presque. À quelques exceptions près, certains témoignages citent explicitement le recours aux purges internes. Il est vrai qu'à lui seul, le mouvement du 22 février 2019 avait disqualifié la plupart des courants initialement parties prenantes de la sectaire Koutla au service du Palais. Ce sont, par conséquent, ces satellites aux ordres du régime qui, depuis quelque temps, se démènent dans les affres de la compromission qui vient de mettre en lumière les pratiques douteuses et notamment discrètes de leurs dirigeants. Comme quoi, loin de n'être que des scènes de ménage aux conséquences secondaires, la multiplication des dissidences intra-partisanes porte en elle les prémices morales d'un changement impératif dans ce multipartisme asservi comme jamais auparavant aux méfaits et à la manipulation orchestrés par le Palais. Certes, la gangrène a vite essaimé dans une partie de la classe politique, cependant, elle fut loin d'avoir atteint les rares îlots de l'opposition qui méritent quand même le respect mais aussi quelques reproches. En effet, les partis politiques en butte à la contestation militante aussi bien que ceux qui en sont provisoirement épargnés peuvent-ils, en bonne conscience, se prévaloir d'un quelconque mérite dans la promotion et la défense des libertés publiques ? Certes, quelques courants y ont contribué par de timides initiatives recourant non seulement à des critiques mais en campant également sur leurs principes. Par vigilance, ils évitèrent autant que cela leur était possible de trop se compromettre dans des recompositions orchestrées par le régime dont l'hostilité à la moindre émancipation était notoire. Seulement, leur démarche défensive ne portait pas plus loin que les communiqués de presse. En effet, sur le terrain de la mobilisation, leur visibilité était rare d'autant plus que la moindre velléité de porter la contradiction sur la place publique leur était déconseillée et parfois combattue. C'est, par conséquent, avec ce confetti de sigles que se compose le paysage du pluralisme dont les trois quarts ne sont que des « boîtes à lettre » du régime. Or, la nouveauté dans la situation présente est que la plupart des remises en question – c'est-à-dire la grogne en train de prendre des proportions insoupçonnables jusque-là – touchent essentiellement les vieilles officines. Il suffit de citer le FLN, totalement démantelé, mais aussi le FFS qui traverse une véritable crise existentielle. Le binôme historique de la classe politique où, semble-t-il, l'on vieillit différemment comme c'est le cas du FFS qui aurait dû se bonifier avec l'âge comme le seraient les bons crus. À l'inverse, dans le malheur du FLN, il est à présent conseillé que celui-ci rejoigne le musée de l'Histoire et cesse de servir de cache-misère politique à l'aristocratie de la mafia installée dans tous les centres névralgiques de l'Etat. Ainsi donc, avoir été dirigeant d'un parti deviendra, par la suite, le sésame pour fréquenter le saint des saints. Une solide destination qui illustre ce pourquoi, malgré les humiliations, l'on s'accroche bec et ongle à une factice notoriété. C'est d'ailleurs de la sorte qu'on devient mystificateur et maître-chanteur en face des modestes militants. C'est parce que l'ivresse du leadership efface en soi ce qui alimentait à l'origine son engagement. Alors l'on échafaude un nouveau commerce politique pour ne plus régler son horloge que sur les rendez-vous électoraux. Des moments-clés destinés à la consolidation de l'esprit de clan en se rappelant urbi et orbi que toute promesse mérite récompense en contrepartie. Ainsi naquit le pluralisme des notables et disparut celui qui préconisait le combat pour la liberté d'opinion. Désormais semblables par leur vénalité et surtout interchangeables dans la conduite d'une même passion pour la matérialité de leurs militantismes, nos partis politiques illustrent à la perfection la faillite du modèle algérien. B. H.