Par Boualem Azibi. J'ai lu avec intérêt l'article que Monsieur Naoufel Brahimi El Mili a consacré au 40e anniversaire de la libération des otages américains retenus en Iran. J'ai été, cependant, surpris de le voir hisser au rang de fait historique avéré un bobard qui court depuis 40 ans à propos de la diffusion de la série Dallas sur l'antenne de l'ex-RTA. Etant, à l'époque directeur de la programmation et, à ce titre, chargé de l'acquisition des programmes, je tiens à démentir l'allégation selon laquelle cette série nous aurait été offerte par le gouvernement américain, en guise de remerciements pour l'aide apportée par l'Algérie à la résolution de la crise dite des otages D'abord, imagine-t-on, une seconde, des hommes de la trempe des Benyahia, Gheraïeb, Mostefaï ou Malek accepter sans rire (ou hurler) un «cadeau» de cette nature ? Une idée aussi saugrenue pouvait-elle effleurer l'esprit de Reagan, aussi piètre Président fût-il ? Cela rappelle fâcheusement cette scène du film Les Révoltés du Bounty où le capitaine Bligh offre à un vieux chef tahitien un miroir de pacotille pour le remercier de son hospitalité. En réalité, cette série a été acquise par mes services et mise à l'antenne plusieurs mois avant l'élection de Reagan et, donc, bien avant la libération des otages. Jusqu'à la fin des années 1980, se tenait, chaque année, à l'hôtel Loews de Monte-Carlo un marché des programmes de télévision auquel nous participions régulièrement. C'est dans ce cadre que j'ai rencontré, en février 1980, Monsieur Michael Kiwe, responsable des ventes de Lorimar-Worldvision pour les pays francophones. Il m'invita à visionner quelques épisodes d'une série qui battait alors tous les records d'audience aux USA : Dallas. Il me confia que TF1 en avait acquis les droits et que 4 saisons étaient déjà doublées en français. Après avoir pris connaissance de l'arche narrative, je pris une option d'achat qui sera confirmée quelques semaines plus tard. Le prix ? Peanuts ! comme s'offusqua, un jour, un distributeur à qui j'annonçais nos maigres tarifs (environ 0,24% du prix payé par une chaîne comme France 2). Au temps de la diffusion hertzienne terrestre et en l'absence de concurrents sur le territoire algérien, c'était à prendre ou à laisser. De surcroît, nous n'achetions pas le matériel de diffusion, le distributeur étant tenu de nous le prêter. Il convient de préciser que les droits de la version doublée d'un programme reviennent, de droit, au producteur qui peut les commercialiser partout où cette version était requise. Cela explique le fait que cette série fut diffusée en Algérie avant TF1 (au printemps 1980). Mais ce n'est pas l'unique raison: la grille des programmes d'une chaîne comme TF1 est une architecture rigide annoncée en début de saison avec des rendez-vous réguliers. Par ailleurs, la promotion en amont est vitale pour s'assurer l'engagement des annonceurs, la pub étant la principale ressource d'une chaîne commerciale. En l'occurrence, s'agissant de la série Dallas dont la chaîne attendait beaucoup, un générique a été créé pour l'occasion avec une chanson dédiée (Dallas, ton univers impitoyable). Autant de contraintes dont notre chaîne, qui publiait son programme chaque semaine, ne pouvait s'embarrasser. Cela donna lieu à toutes sortes de rumeurs: diffuser un programme avant une chaîne occidentale? C'est louche ! Pourtant, ce n'était pas la première fois que cela se produisait. Ainsi, la mini-série Intrigues à la Maison Blanche (Washington, Behind Closed Doors) a été diffusée au mois de Ramadhan 1978, presque un an avant sa première diffusion en France. Ironie de l'histoire, la première diffusion de Dallas sur TF1 a eu lieu le 22 janvier 1981, soit 2 jours après la libération des otages et de l'investiture de Ronald Reagan. Bizarre, bizarre... J'espère que cette mise au point tordra le cou à la rumeur relayée sans précaution par votre journaliste. La citadelle du 21, boulevard des Martyrs a toujours été nimbée de mystère, ce qui suscitait fantasmes et élucubrations ; le «Pouvoir», les «services», Big Brother and Cie. Si l'information était, en effet, hyper-contrôlée, le reste des programmes relevait de la seule responsabilité de la direction de la programmation. A ses risques et périls ; le contrôle du «Pouvoir» ne pouvant s'exercer qu'en aval : tel ministre de tutelle fut outré par la diffusion du film Saha Dahmane (avec Dahmane El Harrachi dans le rôle principal). Le parler algérois très casbadji lui écorchait les oreilles. Un outrage à la langue d'El Mutanabbi dont il fallait généraliser l'usage dans la production des œuvres de fiction. Tel Premier ministre a cru voir le portrait de Ben Bella (alors que c'était celui d'Ali La Pointe) dans le café de la rampe Louni-Arezki qui abritait un concert de Amar Ezzahi. Le même personnage, confondant le grec et l'hébreu a failli interrompre la diffusion d'une émission de variétés. J'en passe et des meilleures ! Ce contrôle, en aval, si j'ose dire, est à l'origine de l'arrêt brutal de la diffusion de Dallas, au bout de je ne sais plus combien d'épisodes, puis de la série Fame. Avec le recul, je n'éprouve ni fierté ni regret d'avoir été l'acquéreur des droits de cette série, somme toute médiocre. Je m'en serais bien passé si la production locale n'était pas aussi faible, singulièrement en matière de fiction. A l'époque, la part des programmes nationaux, tous genres confondus et en comptant la mire, l'hymne national et la lecture du Coran, ne dépassait guère les 40% du volume total des programmes diffusés. B. A. *Ancien directeur de la programmation de la RTA-ENTV. Ancien directeur des programmes de CANAL + Afrique