Le prince héritier, Mohammed Ben Selmane, l'homme fort du royaume wahhabite, a été directement accusé d'avoir été le commanditaire du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, le 2 octobre 2018 dans le consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul. L'ancien Président américain, Donald Trump, avait préféré enterrer cette affaire pour des raisons d'intérêts économiques et géostratégiques, malgré l'indignation générale aux Etats-Unis. Avec l'élection de Joe Biden, il était attendu la réouverture de ce dossier très sensible dans les relations entre les deux pays. Avant son élection en novembre, il avait traité le royaume du Golfe comme un Etat « paria ». Vendredi dernier, les Etats-Unis reviennent à la charge et ont publiquement accusé le prince héritier d'Arabie Saoudite d'avoir « validé » l'assassinat du journaliste saoudien, allant jusqu'à sanctionner certains de ses proches, mais pas le prince héritier afin d'éviter une rupture avec l'Arabie Saoudite qui reste un allié principal dans la région. Riyad avait « rejeté totalement les conclusions fausses et préjudiciables » du rapport des services de renseignement américains. « Le prince héritier d'Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane, a validé une opération à Istanbul, en Turquie, pour capturer ou tuer le journaliste saoudien Jamal Khashoggi », écrit le renseignement américain dans un document de quatre pages, déclassifié à la demande du Président Joe Biden, alors que son prédécesseur Donald Trump l'avait gardé secret. Le prince héritier Mohammed Ben Salmane a été reçu à la Maison-Blanche par Donald Trump et Mike Pence, le 14 mars 2017. Le rapport souligne que le jeune dirigeant, surnommé MBS, disposait d'un « contrôle absolu » des services de renseignement et de sécurité, « rendant très improbable » une telle opération sans son « feu vert ». Il contient une liste d'une vingtaine de personnes impliquées dans l'opération, dont l'ex-numéro deux du renseignement saoudien Ahmed Al-Assiri, proche de MBS, et l'ex-conseiller du prince Saoud Al-Qahtani, tous deux blanchis par la justice de leur pays. Le gouvernement américain a annoncé des sanctions financières contre le général Assiri, et contre la Force d'intervention rapide, une unité d'élite chargée de la protection du prince, supervisée par Saoud Al-Qahtani et présentée par Washington comme étant largement impliquée dans le meurtre. Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken a, lui, interdit d'entrée aux Etats-Unis 76 Saoudiens, dans le cadre d'une nouvelle règle, baptisée « Khashoggi ban », ou « interdiction Khashoggi », visant toute personne accusée de s'attaquer, au nom des autorités de son pays, à des dissidents ou journalistes à l'étranger. Bien que directement mis en cause, Mohammed Ben Salmane ne fait pas partie des personnes sanctionnées. Le Président Biden veut « recalibrer » les relations avec Riyad, il a fait savoir qu'il ne parlera personnellement qu'avec le roi Salmane et non avec son fils, interlocuteur privilégié de Donald Trump. Il a mis l'accent sur les droits humains, et il a stoppé le soutien américain à la coalition militaire, dirigée par les Saoudiens dans la guerre contre le Yémen. « La relation avec l'Arabie Saoudite est importante », a dit Antony Blinken. Les mesures annoncées, « c'est vraiment pour ne pas avoir de rupture dans les relations mais pour les recalibrer », a-t-il plaidé. Plusieurs personnalités, notamment à gauche, ont déploré cette prudence. « J'espère qu'il s'agit seulement d'un premier pas, et que le gouvernement entend prendre des mesures concrètes pour que le prince héritier [...] rende personnellement des comptes pour ce crime odieux », a ainsi déclaré le président démocrate de la commission des Affaires étrangères du Sénat américain, Bob Menendez. La rapporteur spéciale de l'ONU sur les exécutions sommaires, Agnès Callamard, a aussi estimé que Washington devait sanctionner MBS. D'autant que Joe Biden avait jugé, avant son élection, que les responsables du meurtre devaient en « payer les conséquences ». B. T.