Par A. Benhassine(*) Le monde vit actuellement un bouleversement jamais connu dans l'histoire contemporaine ; la cause : «un virus» qui propage infection et contagion, à l'origine d'une pandémie qui a affecté le monde sans épargner les grandes puissances. Cette pandémie, à l'origine de la fermeture des frontières, a isolé l'Algérie du monde extérieur et notamment de ses fournisseurs traditionnels en produits stratégiques et rappelle en même temps la fragilité et la vulnérabilité de l'économie algérienne. Pour faire face à ses besoins alimentaires essentiels — dépendant en grande partie de l'extérieur —, l'Algérie devra envisager autrement l'orientation et le développement de son agriculture. Malgré les efforts entrepris jusque-là, le secteur agricole reste insuffisamment stimulé ; il en résulte une fluctuation de la production due à de nombreux facteurs, notamment aux conditions écologiques et climatiques, au faible niveau cultural et technique de nos paysans, à l'insuffisance de l'encadrement, d'où l'écart croissant entre la demande et l'offre. Le déficit alimentaire n'a pu être comblé que par des importations croissantes. S'il apparaît clairement que la croissance démographique — 11 millions d'habitants en 1962, 43 900 000 en 2020, probablement 51 309 000 en 2030 et 76 000 000 en 2060 — est et sera l'une des causes essentielles, elle n'est sans doute pas la seule. Certes, la croissance démographique doit nécessairement être mieux contrôlée et sans doute limitée. Pour une révolution agricole Ces indications révèlent une population croissante à un rythme élevé sur un espace qui comporte une forte proportion de terres semi-arides ou désertiques ou livrées à d'autres activités — habitat, industrie. Le survol de ces plaines montre clairement ce désastre. Le déficit alimentaire ne procède pas uniquement d'une fatalité écologique, mais aussi du niveau cultural et technique de nos paysans, formation professionnelle et vulgarisation peu efficaces, moyens d'action insuffisants. Le défi du futur est de nourrir la population algérienne en totalité, c'est-à-dire faire face aux besoins actuels, à la croissance démographique et à la croissance, par tête, de la consommation. Les besoins alimentaires du pays sont relativement nettement établis, ils découlent tout simplement des effectifs de la population et du cheptel ; en revanche, les disponibilités nationales, c'est-à-dire la production agricole, dépendent, rappelons-le, des conditions climatiques — dont chacun sait l'insuffisance et l'irrégularité, du manque de qualification et de moyens de nos agriculteurs et d'autres facteurs socioculturels. La solution peut être recherchée dans l'autosuffisance alimentaire, dans des importations croissantes ou dans une combinaison de ces deux formules. Mais les perspectives du marché alimentaire mondial, ainsi que le rôle décroissant du pétrole à terme montrent que réduire notre dépendance de l'extérieur est une condition de sécurité économique et politique. Aussi, il convient d'assurer une utilisation aussi parfaite que possible des terres, du climat, des eaux, des capitaux et du matériel, éléments essentiels qui sont tous particulièrement déficients. Les perspectives de développement montrent que l'intensification est la base fondamentale de la croissance agricole. L'agriculture exige une véritable révolution dans ses conceptions et méthodes d'action. Il est possible d'augmenter la production et de réduire, à moyen terme, le déficit en produits agricoles essentiels, mais il est clair qu'un certain nombre de conditions devront être réunies sans lesquelles le succès de la véritable révolution agricole à accomplir et, par conséquent, la sécurité alimentaire du pays risqueraient d'être compromises. Indépendamment de l'exécution de vastes programmes d'investissement en vue d'une mobilisation et d'une utilisation rationnelle des ressources en eau : barrages, retenues collinaires, eaux souterraines — notamment dans le Sud —, il faudra une loi d'orientation agricole définissant et fixant les moyens d'une rénovation de l'agriculture, c'est-à-dire : orientation, augmentation, amélioration et transformation de la production agricole, et fixant les moyens et instruments de ce développement pour assurer, d'une part, la satisfaction du marché national et encourager l'exportation, d'autre part. Chacun est responsable,chacun est concerné ! L'effort portera sur : - la préservation des terres agricoles — quelle que soit leur nature juridique — et leur affectation exclusivement à la production agricole et à l'élevage ; - la recherche et l'utilisation rationnelle des ressources en eau devront être la priorité absolue ; - le développement, l'intensification et la protection des principales productions et notamment : - les cultures céréalières, fourragères, légumes secs ; - l'arboriculture fruitière, le raisin de table ; - les cultures maraîchères : primeur, saison et arrière-saison (marché national et exportation) ; - les cultures industrielles : tabac, coton, tournesol, mais aussi betterave sucrière, colza et la mise en place des moyens de conservation et de transformation ; - le rajeunissement, la protection des palmeraies ainsi que l'organisation et la promotion du marché de la datte ; - le développement et la protection de l'élevage : ovin, bovin, caprin, camelin, avicole ; - l'exploitation et la protection des forêts, des pâturages et nappes alfatières ; - le développement de l'artisanat sous toutes ses formes ; - développer la recherche agronomique, l'enseignement, la formation professionnelle et la vulgarisation du progrès agricole qui constituent une priorité absolue ; - rapprocher le crédit agricole et l'adapter aux besoins et exigences du milieu agricole ; - encourager la construction du machinisme et matériel agricole ; - réorganiser la profession et confier la direction aux élites. Malgré tout, le recours à l'extérieur pour combler le déficit alimentaire continuera à jouer un rôle important, ce qui va fragiliser davantage l'économie du pays (crise actuelle du pétrole et pandémie) ; c'est pourquoi il est de première nécessité de recourir, le plus rapidement possible, à l'étude et au développement des innovations agronomiques et technologiques afin d'être en mesure de rendre l'agriculture algérienne capable de dépasser aussi rapidement que possible les limites conventionnelles trop étroites du potentiel tel qu'on peut l'évaluer actuellement. D'ores et déjà, des dispositions devront être prises pour instaurer : - une coopération entre les établissements méditerranéens d'enseignement et de recherche ; - un marché commun maghrébin afin de faciliter les échanges de produits agricoles des pays excédentaires vers les pays demandeurs ; - de poursuivre parallèlement les efforts en vue de l'instauration d'un nouvel ordre économique mondial permettant l'organisation d'une coopération alimentaire mondiale et la stabilisation des marchés des principaux produits agricoles. Chacun est responsable. Chacun est concerné. A. B. (*) Ancien ingénieur en chef des services agricoles. Ingénieur conseil. Ancien Directeur de l'agriculture (1963/1973).