Par Bouhali Mohammed Cherif En cette journée caniculaire de lundi, nous avons pris la direction de la commune montagneuse de Selma, en empruntant le chemin de wilaya 137 reliant la commune d'El-Aouana à Selma, fief du puissant arch de Beni Foughal, et ses monts réputés ainsi que ses denses forêts de chêne de liège, mais aussi ses notables qui s'adonnaient au commerce du bois, du temps des deux frères turcs Kheireddine et Arroudj Barberousse. Tout au long de notre virée, qui s'inscrit dans le cadre de la campagne de sensibilisation organisée par la direction du parc national de Taza, et certains secteurs traversant les localités surplombant ex-Cavallo, Goubia, Grioula Ouled Mohammed, la fontaine de Benayache, Beni Skfel, et l'ancienne Aouana où l'ANP a installé un cantonnement pour sécuriser ces hameaux encerclés par des montagnes sur une route en bon état, on aperçoit des maisons individuelles en dur, avec leur toiture en tuiles, et jardins entourés de clôtures. Une poignée de femmes en bord de route sont dans l'attente d'un bus desservant cette ligne. Les séquelles des années du terrorisme sont toujours visibles : des maisons désertes, une région fantôme, des graffitis des émirs sur les murs de certains établissements publics, dont quelques-uns ont été saccagés par le sinistre Redouane Aachir et ses disciples, dont certains sont originaires de ces régions paradisiaques. En bord de route, on a aperçu des «Algérois» avec leurs véhicules portant l'immatriculation 16 qui rentrent chez eux pour passer des vacances, et se ressourcer et fuir le calvaire de la capitale avec ses coupures d'eau potable et la Covid-19. La vie reprend son cours normal timidement dans ces lieux, selon un cadre de la subdivision de la Conservation des forêts. «Le retour des évadés du terrorisme n'est pas pour demain, en dépit des efforts consentis par l'Etat en matière de routes, le programme de soutien aux familles dans le domaine agricole, la réfection de certaines structures de santé et des écoles primaires», a-t-il ajouté. Tout au long de notre virée, on a aperçu également des jeunes soldats de l'ANP qui veillent au grain, en tenant des barrages fixes et des vérifications des papiers des automobilistes «intrus» dans ces contrées paradisiaques, recelant d'énormes potentialités pour la promotion d'un tourisme de montagne, de l'avis de notre compagnon qui ajoute : «il suffit de peu de choses : louer des baraques en bois à un prix symbolique en bord de route aux gens de la région, pour qu'ils puissent se prendre en charge en vendant les produits agricoles de leurs champs, ou des produits artisanaux, et ouvrir des buvettes et des fast-foods pour inciter les visiteurs à venir.» Rencontré à proximité de l'ancienne Aouana, Djelloul, un quinquagénaire, en compagnie de sa sœur, nous a affirmé qu'en plus de son activité de taxieur à Jijel, il fait de l'élevage dans son patelin réputé pour ses étables de vaches et ses poulaillers. «J'ai dix vaches à l'étable. Je fais l'engraissement des vaches pour les revendre ensuite avec ma sœur qui travaille comme femme de ménage à la commune. La Direction des services agricoles nous a donné des arbres fruitiers.» Profitant de la présence d'une élue communale d'El-Aouana, il n'a pas manqué d'exprimer la doléance de sa sœur, qui attend désespérément un logement social depuis belle lurette, mais en vain. Le président de l'Assemblée populaire communale de Selma nous a affirmé qu'actuellement, la préoccupation majeure de la population est le logement de différentes formules, social, rural individuel ou collectif. « Nous n'avons pas bénéficié de logement social depuis 2011, et maintenant, il n'y a pas de programmes de logements en cours de réalisation ou des quotas à attribuer.» Et d'enchaîner : «Les services de la wilaya ont attribué 400 logements sociaux sur l'ensemble des communes de la wilaya, mais notre commune n' a pas été touchée par cette opération. Actuellement, on a 60 demandes de logement social», a-t-il ajouté, expliquant cette «exclusion» des quotas de logement social par le fait que les services du cadastre n'ont pas encore remis les livrets fonciers et les actes aux citoyens de la commune. Plus explicite, le premier magistrat de la commune précisera qu'«une opération du cadastre des terrains a été effectuée il y a plus de 6 ans pour la délivrance des livrets fonciers et des actes de propriété aux citoyens. Malheureusement, depuis 2015, les citoyens attendent toujours leurs documents, vainement. Ce qui constitue une source de blocage pour l'élaboration de certificat de jouissance pour les demandeurs des aides à l'habitat rural, et de différentes formes d'aides octroyées par l'Etat aux citoyens.» Le maire interpelle les services du cadastre pour accélérer l'opération de délivrance des actes, et la notification de la nature juridique des terrains, sans omettre toutefois l'existence de certains contentieux entre des parties et des citoyens, concernant ces terrains. «C'est pour cela qu'il n' y a pas eu de demandes de logements individuels au niveau de notre commune, notamment pour ceux qui envisagent le retour à leurs douars d'origine.» Notre interlocuteur a reconnu l'exode massif qu'avait connu la région durant les années 90, qui fut jadis le fief du arch de Beni Foughal, réputés pour ses denses forêts de chêne liège, et ses familles notables qui faisaient du commerce de bois avec les deux frères turcs Arroudj et Barberousse, qui ont réalisé des bateaux pour leur flotte à partir du bois acheté auprès de ces notables qui avaient le privilège de bénéficier des concessions pour cette activité économique. À cet effet, le président de l'Assemblée populaire communale nous a souligné que sur un total de 24 mechtas, 20 ont été fortement touchées par le phénomène de l'exode durant les années rouges. La population est passée de 110 00 habitants durant les années1990 à 1 000 habitants actuellement. Une seule école primaire sur un total de 10 fonctionne encore de nos jours. Elle compte 78 élèves dont la prise en charge en matière de restauration est de 100%, nous a confié le premier responsable de la commune qui n'a pas manqué de soulever le déficit dont souffre la commune en matière de transport en commun : «Il y a seulement deux bus de transport de voyageurs assurant la liaison Selma-Jijel en passant par Texenna, et Selma-Jijel en passant par El-Aouana. C'est très peu. Nous avons affiché des annonces pour inciter les gens à exploiter ces deux lignes, mais en vain.» L'ouverture des pistes pour le désenclavement des mechtas est une urgence, surtout pour inciter ceux qui ont fui le terrorisme à retourner chez eux, et exploiter leurs champs dans différentes activités agricoles, notamment avec les programmes de soutien accordés par l'Etat dans le domaine de l'aviculture, l'arboriculture et l'élevage. Omar, jeune serveur dans l'unique fast-food de cette bourgade, nous a affirmé que le logement demeure le problème numéro un des gens de la région. «La crise de logement est un grand problème. Il y a des gens originaires de la région habitant à Jijel et qui ont envisagé de retourner chez eux, mais une fois qu'ils ont vu qu'ils n'ont aucune chance d'avoir un logement, ils sont restés toujours entassés dans des taudis à Jijel, en payant pourtant le prix fort.» Notre jeune interlocuteur a du mal à cacher son désarroi «Ici, la vie est difficile. Beaucoup de choses nous manquent. Le médecin part à midi et l'eau potable est rarissime.» Le fait marquant lors de notre arrivée au chef-lieu de la commune est incontestablement la forte implication des services de la Gendarmerie nationale dans la lutte contre les feux de forêt qui touchent une bonne partie des forêts des mont de Beni Foughal. À cet effet, le représentant de la subdivision d'El-Aounana de la Conservation des forêts nous a affirmé que Selma est la commune la plus touchée par les feux de forêt l'an dernier. Toujours est-il, le récit du jeune serveur résume à lui seul le quotidien difficile des habitants des mechtas de Tifraouine, Laouer, Heraga, Ouled Ayad, Benisserfane et Goubia. La misère, l'isolement et l'exode se conjuguent au présent. B. M. C.