Notre chien est bien pensif, il avance la queue entre les pattes, il a le regard dissimul�. Craintif, avili par les hommes, il erre dans les rues, la campagne, il fuit � la moindre menace. Subrepticement, il inspecte l�environnement avant de s�engager, son flair s�est, au contact de la menace, d�velopp� � un degr� si �lev� qu�� des kilom�tres, il peut sentir l�haleine de son grand ennemi : le chacal. Maltrait� de tous, chass� par les femmes, les hommes, malmen� par les enfants qui le traitent de chien et parfois de chien galeux, il ne peut plus souffrir ce nom. Il en a marre, il ne veut plus de ce nom, il ne veut plus �tre le souffre-douleur de la ferme, de la rue. Il sort de la ville, il quitte l�exploitation, il va loin � la recherche de son destin, il veut conjurer ce mauvais sort. Il veut se d�barrasser de cette mal�diction qu�il a h�rit�e de son p�re et de sa m�re. Il est pr�t � braver tous les dangers, il est devenu t�m�raire, il attaque la for�t seul sans compagnon, il cherche un grand juge, il cherche le roi, le seul qui peut d�cider et qui peut lui fournir le titre qui le fera �chapper � cette vie de �chien�. Notre chien s�enfonce dans la jungle, le moindre crie le fait tressaillir, il avance les oreilles pendantes, inertes organes pour �chapper au bruit de la for�t. Voulu le silence dans lequel il plonge. Il n�y a aucun son qui arrive jusqu�� ses tympans. Bouch� � l��meri, il va d�arbre en arbre pisser sa peur et chercher un avenir meilleur. Il passe devant tant de grands pr�dateurs qu�il ne voit, guid� par l��pouvante qui le tra�ne, il va au-devant de l�inconnu. Chien p�n�trant dans for�t d�j� signal� au roi qui donna instruction de laisser passer l�insignifiant animal. Flair et autre sens mis en veilleuse par la phobie, men� non pas par le nez mais plut�t par la queue, il marche en sinuant et en s�adossant aux arbres � chaque mouvement d�air. Il est loin de tout, il est loin du monde, il est loin de cette insulte mill�naire insupportable. Anath�me est son nom qu�il ne veut pas m�riter mais qu�on lui colle malgr� lui. Chemin faisant, il rencontre un petit lapin qui lui fait lancer un aboiement dont il a peur � l�instant m�me. Il se blottit, se met � jacasser devant si maigre lapin. Le lapin, fort de la pr�sence du roi de la for�t, bomba le torse avant de poser la question � Chien� que fais-tu dans ma for�t ? T�te basse, queue entre les pattes, corps compl�tement courbe, chien sans majuscule bredouille un mot puis une suite d�autres mots sans intonation, incompr�hensible langage confus que sa majest� du haut de son tr�ne interpr�ta comme �tant une simple qu�mande. Le lapin se retira pour laisser le lion interroger le chien aventurier. �Que veux-tu, chien ?� Le chien tomba, il s�aplatit, il s�efface de devant le seigneur roi de la for�t. Il s�efface compl�tement pour �viter d��tre vu par celui qu�il est venu pourtant consulter. Le chien se met � japper, il se met � ramper jusqu�� agacer le grand souverain des lieux. Un rugissement fait fuir tous les animaux des alentours � l�exception du chien et du petit lapin � le prot�g� du lion �. Le chien, non content de pisser, l�cha la grosse. �Quelle est cette puanteur, dit le lion ? C�est toi chien qui t�es laiss� partir dans mon royaume ? Tu veux quoi, dis-moi, et �loigne-toi de ma vue, mets-toi de c�t�, je ne peux souffrir ta face de chien�. Le chien pr�senta sa demande que lit � haute voix le roi. �Mon bon roi, je veux que vous me changiez de nom. Je ne veux plus de cette insulte, tout le monde me traite de chien, de sale chien, de chien galeux et j�en passe.� �Alors tu veux changer de nom, dit le lion. Tu sais que ce n�est pas facile, il te faut m�riter le nouveau nom que tu choisiras toi-m�me. En attendant, je te confie ce gigot de viande pour la nuit. Tu ne dois pas le manger. Il ne t�appartient pas, tu me le rapporteras demain matin.� La nuit est longue, plus longue que les pr�c�dentes car la torture que lui inflige le parfum de la viande est insupportable. Le chien ne put dormir, il n�arr�te pas de se tourner, de se retourner. Il dort sur le ventre les yeux riv�s sur le beau cuisseau. La tentation grandit � chaque instant, il finit par y go�ter et se dit que : �Le lion ne s�apercevra de rien. Voil�, ce n�est quand m�me pas pour un petit morceau que le lion va m�en vouloir. Je vais manger un autre morceau.� La nuit s�allonge de plus en plus, l�odeur du gigot lui chatouille ce nez que subitement le flair envahit. L�odorat se red�veloppe et reprend sa fonction premi�re. Le malaise est grand, le supplice devient un v�ritable enfer et le d�faut chien plonge sur la viande. Il n�en reste que les os qu�il rapporte au roi : �Alors chien, o� est le gigot ?� �Bon roi, je suis d�sol�, je l�ai mang�. J�avais trop faim et il �tait tellement bon que je n�ai pu me retenir. C�est la v�rit�, veux-tu me pardonner et m�annoncer le nom que tu as choisi pour moi ?� Le roi lion regarde le chien un long moment avant d�annoncer sa d�cision : �Tu es chien, tu ne pourras jamais �tre autre chose. C�est le nom que tu m�rites, tu ne changeras jamais et tu ne peux porter autre nom que celui que tes anc�tres ont choisi depuis la nuit des temps. C�est ton peu d�honn�tet�, le peu de scrupules et ton comportement qui te valent ce nom. Disparais de ma vue� chien !�. Miloud Chorfa (A chacun ses m�rites)
