C'est une des plus grandes préoccupations des Algériens : le travail. Au sein des familles, entre amis, dans les cafés, le sujet revient sans cesse : est-ce qu'il travaille ? Le travail ou le chômage, c'est un sujet qui revient sans cesse. Et la relation des Algériens avec le travail est différente d'une personne à une autre, d'un environnement familial à un autre ; bref, d'une conception des choses à une autre. Florilèges. Nacéra, médecin, 40 ans Les difficultés, à notre époque, du travail en entreprise (ou en équipe ou dans un service hospitalier) vient en partie des exigences en matière de rendement, de la rareté des moyens mis à la disposition des salariés et de l'isolement croissant du salarié au sein de l'entreprise, du fait d'une organisation qui se veut basée sur les chiffres, les résultats et la concurrence au sein même de l'équipe. Bref, on demande de plus en plus aux cadres, en leur donnant de moins en moins de moyens, avec finalement peu de moyens de communication. Le rapport à l'autorité et à la hiérarchie est également compliqué. En Algérie, il est souvent très difficile de discuter les décisions d'un supérieur hiérarchique, parce que celui-ci est considéré comme un «être supérieur», et même si l'employé a des arguments ou cherche juste à enrichir le dialogue, cela peut être mal perçu. Cela est plus flagrant au sein des entreprises publiques. Pour ce qui est des droits du travail, Nacéra relève : «En matière de droit du travail, les abus de pouvoir et les renvois injustifiés sont nombreux, parce que les salariés ignorent souvent leurs droits, ou qu'il est difficile de les mettre en pratique.» Elle aborde également le travail de la femme : «En matière de vie privée, je ne peux m'empêcher de penser aux femmes cadres, qui doivent souvent sacrifier leur vie privée, si elles veulent réussir aussi bien que les hommes, d'où je pense le nombre croissant de femmes cadres célibataires en Algérie. Par exemple, en matière de maternité, il est admis dans beaucoup d'entreprises algériennes qu'une femme qui décide d'avoir une vie de famille, surtout en début de carrière, doit abandonner ses ambitions. Je citerai l'exemple de cet hôpital dans lequel j'ai fait ma formation, où on nous a clairement demandé de ne pas tomber enceinte durant notre résidanat de trois ans, sous peine d'être mal vue par le chef de service.» Bref, pour Nacéra, beaucoup de choses doivent se faire en Algérie en matière de communication interpersonnelle au sein des entreprises et de connaissance des employés de leurs droits. Mohamed, agent d'entretien, 30 ans Propre, tout sourire, Mohamed, la trentaine, employé comme agent d'entretien dans une entreprise privée, est heureux. «Je considère que je suis chanceux. Après avoir galéré pour trouver un emploi, en plus stable, je travaille maintenant dans une entreprise privée comme agent d'entretien. Je suis satisfait. Je ne me lamente plus sur mon sort, je ne harcèle plus mes parents et toute ma famille est apaisée. Je suis l'aîné et je me sens utile maintenant.» Utile ? Eh bien pour Mohamed, c'est au-delà du gain financier : «Je me dis que j'apporte quelque chose à la société et à l'entreprise dans laquelle j'exerce. C'est agréable de travailler dans un endroit propre et bien entretenu. Mes collègues quand ils entrent dans leurs bureaux et qu'ils sont propres, ils peuvent mieux travailler. Les aires de détente sont propres et cela aide à ne pas stresser. Tout cela c'est grâce à moi et j'en suis fier. Je me sens utile.» Mohamed conclut : «Pour moi, le travail me permet d'exister, d'avoir des relations avec l'extérieur et d'être utile. Le travail, c'est la vie.» Houria, cadre supérieur, 40 ans Houria est cadre supérieur dans une entreprise privée. Maman de trois enfants, elle n'a pas peur d'affirmer son ambition. «Je travaille parce que je veux réussir. Pour une femme, le travail est avant tout une échappatoire et une assurance. Pour moi, je vais au-delà de ces deux points, je veux réussir ma carrière et mes projets. Cela fait partie de ma personnalité.» Son ambition et sa volonté s'expliquent avant tout par son environnement familial. «Je suis soutenue par tous les membres de ma famille : mon mari, mes parents et mes beaux-parents. Je peux compter sur chacun d'entre eux et à tout moment. Donc, cela me rassure avant tout. En deuxième lieu, j'ai fait le choix de travailler pour avant tout m'épanouir et me sentir utile au-delà de la maman et de l'épouse que je suis. En troisième lieu, je veux que mes enfants soient fiers de moi lorsqu'ils grandiront. Ils saurant que leur maman à pu contribuer à tel ou tel projet dans leur pays. C'est valorisant de le penser. Cela est un moteur. Je me dis qu'ils comprendront que lorsque je ne restais pas tout le temps avec eux, c'était pour une bonne cause. Le travail, et surtout quand il est bien fait, fait partie de mes valeurs. Et je voudrais le transmettre à mes enfants», résume-t-elle. Samia, cadre dans une entreprise étatique Pour d'autres, ce n'est nullement l'ambition qui est leur moteur. Travailler se résume tout simplement à se lever le matin, sortir de la maison, entrer dans un bureau et attendre la fin de la journée pour revenir à la case départ. Samia est dans cet état d'esprit. «Franchement, je suis tout à fait consciente de cet état de fait. Je ne suis ni ambitieuse ni motivée. Il y a des jours où je ne me sens pas bien. Au moins, moi, je suis consciente. D'autres, et ils sont nombreux, ne prennent même pas la peine d'entrer dans leur bureau». Pourtant, Samia reconnaît que son environnement professionnel est plaisant. «Je suis bien payée par rapport à la moyenne. Mon responsable et mes collègues me poussent à travailler. Des fois, ça marche, d'autres pas. Mais ce n'est jamais pour une longue durée». Pourquoi a-t-elle cet état d'esprit ? «Tout simplement parce que je sais que si je ne fais pas de problèmes et que j'ai ce train-train régulier, je n'attire pas les regards et je peux avoir ma retrait≈e paisiblement. Je ne pense pas qu'être ambitieux soit une bonne chose dans la société algérienne.» Cet avis est-il partagé par son entourage familial ? «Non, il y a des membres de ma famille qui font tout pour faire avancer les choses, pour les faire changer. Je ne fais partie de cette catégorie, car dès mon introduction dans le milieu professionnel, j'ai acquis de mauvais réflexes. Je n'ai pas été encadrée et j'ai été mise à l'écart. Donc, maintenant j'attends qu'on me donne des tâches à faire, sinon je reste assise et j'attends.» Samia envisage-t-elle de changer de comportement professionnel ? Avec un petit sourire, elle répond : «Après cette conversation, je me dis que je dois sérieusement le changer. Je viens de me rendre compte que je passe devant le plus important : celui d'être utile !» n