Salima est une inconditionnelle des feuilletons arabes. Elle n'en rate pas un, surtout celui de 17h. Pour ne pas être en retard, elle prend ses devants et veille à ce que tout soit prêt avant le rendez-vous. Ses boureks sont confectionnés, ses salades fignolées, son deuxième plat cuit à point, sa table dressée, il ne reste plus que le frik à ajouter à sa soupe. Elle jette un dernier coup d'œil sur ses marmites et laisse mijoter sa chorba sur feu doux. Elle s'allonge confortablement sur le divan du salon en face de la télévision et, les yeux rivés sur l'écran, suit, dans un silence sidéral, les rebondissements de sa série préférée. Comme hypnotisée, rien ne la fera bouger de son siège avant la fin du film. Mais ce jour-là, Salima, n'ayant pu rattraper ses heures de sommeil après son insomnie, s'est assoupie. L'odeur du cramé lui chatouillera ses narines et la sortira brusquement de son somme. Elle se lève en sursaut, se dirige vers la cuisine, la pièce est enfumée et l'air irrespirable. Elle éteint le feu, sort sa cocotte au balcon et ouvre toutes les fenêtres. Elle regarde la pendule, il est 19h, son mari va rentrer d'une minute à l'autre, elle panique et ne sait plus quoi faire. «Mon Dieu, je n'aurai jamais le temps d'en refaire une autre.» Elle entend la clé tourner dans la serrure, c'est lui, Si-Ali. Il a les mains chargées et, content, lui annonce la bonne nouvelle : «Je suis allé à Boufarik, je t'ai apporté ta zlabia.» Elle a le visage livide. Il rentre dans la cuisine et, avant même de se débarrasser des provisions, il renifle l'air. «Ça sent le brûlé. Ne me dis pas que c'est chez nous ?» Salima n'a plus de voix. Il a tout compris : «Ne me dis pas que c'est la chorba?» Elle acquiesce. Il entre dans une colère noire, jette tout par terre, la sermonne et sort en claquant la porte. Salima est effondrée. Elle découvre son mari. Elle ne l'avait jamais vu dans cet état. C'est le premier Ramadhan qu'elle passe seule avec son époux après deux ans de mariage, et voilà que sa chorba part en fumée. Elle éclate en sanglots et se sent nulle. Sid-Ali revient. Il est muet comme une carpe. Il s'installe à table. Le muezzin annonce la rupture du jeûne. Il prend son verre de lait et une datte. Puis quitte la salle à manger pour griller sa première cigarette. Il retourne à sa place et regarde Salima avec compassion : «Je regrette, je n'aurais jamais dû me comporter de la sorte. C'est stupide. Je crois que c'est le manque de nicotine qui me rend nerveux.» Soulagée, elle lui lancera avec un large sourire : «Ça doit te donner à réfléchir : il est peut-être temps d'arrêter de fumer.»