Youcef Merahi [email protected] Oyez, oyez braves gens ! Ne vous soignez pas à l'étranger, cela ne sert à rien. S'ils ont là-bas le Val-de-Grâce, ici, nous disposons de l'hôpital Val-de-Crasse. Ne tentez pas l'aventure périlleuse des soins à l'étranger, l'addition sera douloureuse. Surtout au taux où s'échange l'euro contre le malheureux dinar. Attendez au moins, ayez cette délicatesse, braves gens de chez moi, Algériens des quatre points cardinaux, l'ouverture, incessamment sous peu, des bureaux de change. N'y allez pas ! Soignez-vous ici. Les médecins sont nés chez nous, il faut leur faire confiance. Merci la pub ! Là-bas, dans leurs hôpitaux, il y a trop d'ordre. ça fait flipper les plus costauds. Le manger, là-bas, est trop raide. Ici, au moment des visites, en début d'après-midi, en plus de la cohue des parents, des proches, des amis, des voisins, des amis aux amis, vous êtes certains – braves gens, malades que vous êtes – de recevoir de la «makla», plus appétissante car reçue frauduleusement ; ici de la chorba frik, du couscous réchauffé, de la douara, de la galette, du sfendj, des makrouts... Oyez, oyez braves ! s'il vous faut des analyses et autres clichés, le privé du coin ne se gênera pas pour vous les faire, illico presto. Puis, si devez subir une opération, le chirurgien de service est à même de vous proposer la clinique privée du quartier pour sortir de vos tripes le mal qui empoisonne votre existence. Alors, pourquoi tenter les soins à l'étranger ? Avez-vous pensé au visa ? Etes-vous sûr de l'avoir ? Et puis l'avion qu'il faut tenter... La traversée de la Méditerranée qui risque d'être houleuse... Et l'hôtel qu'il faut affronter en terre étrangère... Et la «makla» qui n'est pas hallal... Puis, avez-vous pensé au handicap de la langue ? Il faut maîtriser la langue pour se faire comprendre. Alors, soignez-vous at home ; c'est le mieux que vous puissiez faire. Quant à nous, on peut par contre tenter la médecine étrangère ; on a le cœur pour cela ; on a le portefeuille pour cela ; on ne craint pas l'avion ni les perturbations atmosphériques ; polyglotte affirmé, on maîtrise les langues étrangères ; on veut bien tenter le menu «non hallalisé» ; et au diable l'avarice, on veut guérir ! Oyez, oyez braves gens ! Il n'y a pas de Panama Papers qui tienne, c'est de la propagande impérialo-sioniste qui, comme d'habitude, s'attaque à la souveraineté de notre pays, à la cohésion de son peuple et à l'unité de son territoire. Suivez mon regard ! Ne me parlez surtout pas du Le Monde, son personnel est truffé d'agents du néo-colonialisme. Ceux-ci sont jaloux de nos réalisations grandioses qui font la nique à leurs aigreurs. Quoi ? Tel ministre... A travers sa personne, c'est l'Algérie qui est en ligne de mire. Ne vous laissez pas prendre par leur publicité mensongère, chez eux, c'est une nature. Ces esprits revanchards souhaitent planter leur «printemps» chez nous, en distillant des mensonges éhontés pour ébranler votre foi, braves gens. Ne vous laissez pas prendre par la presse impérialo-sioniste ! Panama Papers, c'est du pipi de chat. C'est rien ! Rien du tout ! Qu'on nous laisse bosser pour monter une nouvelle économie algérienne, non assujettie au pétrole. L'Algérie redeviendra, bientôt, «le grenier de Rome», foi de nous autres patriotes ! Quoi ? Le Premier ministre islandais a démissionné ? Et alors ? En quoi ça nous regarde ? Qu'il démissionne deux fois plutôt qu'une ! Grand bien lui fasse à ce Premier ministre ! Et l'Anglais... Qu'est-ce qu'il a encore çui'là ? Son père a... Passons, passons ! Laissez les Islandais et les Anglais laver leur linge en famille, le nôtre est d'une propreté irréprochable ! Oyez, oyez braves gens ! Nos enseignants contractuels dorment à la belle étoile du côté de Boumerdès. La route depuis Béjaïa a été longue et éprouvante. Il faut les raisonner. Il faut leur parler. Il faut constituer un comité de sages pour ce faire. N'attendez pas trop longtemps. Ils dorment dans la rue, dans des abris de fortune ; ce n'est pas digne ! Ils donnent le mauvais exemple. La craie n'a pas bougé d'un iota, elle les attend. Ils peuvent toujours s'inscrire au concours. Il n'est pas trop tard. On peut même, exceptionnellement, proroger ce délai. Qu'à cela ne tienne ! Puis, nos enseignants auront six points de bonus, compte tenu de leur ancienneté. Le concours sera abordable. Fastoche, sahel ma ! Si par malheur, à Dieu ne plaise, il y a des recalés, leur contrat sera renouvelé. Si ce n'est pas de la charité musulmane, je me demande ce que c'est. Oyez, oyez braves gens ! On vous prend, vous et l'histoire, comme témoins. Les contractuels refusent tout deal ; ils n'ont que l'intégration comme leitmotiv, rien d'autre. Attendez, l'intégration sans condition ! C'est quoi ça ? De l'insoumission ? Déjà qu'ils font l'école buissonnière, c'est déjà trop ! C'est plus qu'on ne peut supporter. Déjà qu'ils ont fait une randonnée pédestre sous les projecteurs des médias, ça devrait être juste suffisant ! De plus, ils osent observer une grève de la faim ! Et quoi encore ? Ne pensent-ils pas à tous ces chômeurs qui pointent régulièrement au bureau de main-d'œuvre ? Qu'ils prennent de la graine ! Qu'ils remettent leur blouse rapidement, sans condition ; la mairie de Boumerdès assurera le retour dans les bus universitaires. Oyez, oyez braves gens ! N'est-ce pas qu'elle est bonne la nouvelle ? La visite de Valls ? Non. Le retour du soleil ? Non. Les victoires de la JSK. Non. Le Tour cycliste d'Algérie ? Non. L'écrasante victoire des Verts contre l'Ethiopie ? Non et non. Alors, je donne ma langue au chat. Tu peux, voyons, tu le peux ; même si ta langue est fourchue. Braves gens, il est question de la mise en place, incessamment sous peu, de l'usine Volkswagen, la célèbre marque allemande. Exit Peugeot et Fiat ! Non ! Ce n'est pas vrai ! Je ne crois pas mes oreilles. Il est vrai ce mensonge. On fabriquera des Volkswagen, ici, en Algérie ? Oui, oui, à Relizane ! Ce n'est pas loin Relizane ; de plus, il y a l'autoroute. Je rêve ! Je vais donc pouvoir changer mon asiatique de voiture. Je vais pouvoir rouler, incessamment sous peu, dans une voiture allemande. Une voiture allemande !!! C'est le rêve éveillé. C'est le pied. C'est le nirvana. Oyez, oyez braves gens ! Je vais changer ma trottinette asiatique, pas plus grande qu'un éternuement, contre une voiture allemande. Ouais, super ! Méga chouette ! Je serais le plus heureux des Algériens, même dans une Coccinelle. Pourvu que la bagnole soit allemande. Attention, je n'ai rien contre les autres marques. Mais tout de même, une voiture allemande... Je jubile, rien qu'à l'idée de la pose de la première pierre. Alors, le jour où je serais derrière le volant, je ne vous dis pas. Ce jour-là, je ferais beaucoup plus attention aux ornières et autres ralentisseurs qui peuplent nos routes. Aujourd'hui, j'ai pris le ton de la dérision, de l'humour et de la gouaille. J'en ai vraiment besoin. Plus que tous les autres jours passés. Enfin plus que d'habitude, quoi ! Que mon lecteur préféré de Béjaïa ne m'en veuille pas trop, je me laisse aller parfois, comme suspendu à la blancheur de la feuille. Je ne sais pas, braves gens, si vous croyez au vertige de la virginité de la feuille, moi, j'ai la faiblesse d'y croire. Plus que jamais, j'ai besoin de me rendre à la mer crier ma colère et laver mon cœur d'une crasse qui ne dit pas son nom.
