D�sol�, encore un ratage. Je me suis dit, cette fois-ci, quelles que soient les raisons objectives de la tentation � badigeonner de noir une r�alit� qui est loin de la folle ga�t�, je reste optimiste. Je r�siste vaille que vaille � l�appel de la raison qui invite � la critique et j�entonne le chant des festins. J�ignore l�horrible cri des sir�nes et, sourd � tout ce qui me perturbe, j�avance droit vers les landes prosp�res de la c�l�bration. Quel pays magnifique, voulais-je dire ! Quel destin national hors du commun, voulais-je ajouter ! Quelle grandeur dans le geste ! Quel geste tout court ! Et ces dirigeants, quels dirigeants ! Khyar nass ! Tellement culpabilis� par des lecteurs, et des non-lecteurs qui ont par la bande entendu parler de la noirceur de ces propos, je me suis jur� de te surprendre. Au moment o� tu t�y attends le moins, je te sortirais le fameux �tout-va-bien� de la tradition journalistique qui exalte la r�v�rence comme vertu professionnelle. Mais voil�, mon optimisme pr�con�u, d�lib�r�, pr�par�, n�a pas manqu� de buter sur des tas d�obstacles qui font revenir au galop l�increvable regard sombre. Je bifurque de mon objectif. Je change mon fusil d��paule. Je verse imp�nitent dans mon habituelle litanie des retards de train de l�histoire, de d�raillements de train de l�histoire et d�hommes mordant des chiens. Je reste ce scribouillard des jours impairs qui a d�sappris le chant des h�ros de pacotille pour reprendre celui, authentique, profond, des mahgourine. Il faut dire que ce n�est pas difficile, et que tout m�y invite. Certes, de temps � autre, j�entends des voix qui me disent : si tu te plains de ce que tu vis aujourd�hui, ne commets pas l�ingrate amn�sie de nier la grandeur de ton pass� imm�diat. Tu parles d�une grandeur ! Un pays fliqu� comme un commissariat de quartier et des slogans ronronnants et qu�il �tait interdit par la loi de ne pas r�p�ter, tu appelles �a de la grandeur, toi ? Faut pas charrier ! M�enfin, entre le z�ro et un, il y a en effet la diff�rence entre le n�ant et le peu. Donc, tu peux bomber le torse de tes ann�es 1970, lorsque le kezzoul et les p�nuries tressaient la colonne vert�brale de ta verticalit�. Pourvu qu�on flatte mon ego virtuel de patriote cr�dule. Tout le reste importe peu. L�important, c�est la rose des vents. Elle les fixe, les vents, et nous permet d�engranger les courants d�air en vue d�un recyclage dans la grandeur. Dans la mouise d�aujourd�hui, quand tu sens le noir commencer � s�offrir sans que tu le veuilles � ton broiement, rappelle-toi la grandeur de ces ann�es-l� et tout redevient comme avant. Tu penses bien que non, cr�nom ! Trop de choses viennent me d�tourner de mon chemin trac� d�optimisme. T�as beau te promettre d�aller au bout de ce chemin, eh bien, non ! Il y a toujours ce petit d�tail de rien du tout qui t�explique que tout est b�ti sur un des ces vents que l�on engrange comme des troph�es. D�abord, j�ai lu une interview de Belkhadem dans Le Monde et j�ai chop� illico la d�prime de ma vie. Non pas qu�il dise des choses sp�cialement d�primantes, non ! Mais cette compassion � l��gard des titres hostiles � la �r�conciliation �, non pas le concept lui-m�me mais la construction du projet politique, a des relents de paternalisme ! Le raisonnement est simplissime : face � l�immense majorit� des Alg�riens, voire � leur quasi-quasi-totalit�, qui dissocient, selon lui, les attentats du 11 avril de la �r�conciliation�, il est une poign�e de sceptiques qui pensent le contraire. Cette poign�e de quelques centaines ou quelques milliers de personnes est relay�e par des journaux qui sont gentiment invit�s � changer de ligne �ditoriale. Rien moins ! Pour aller vers quoi ? Eh bien vers cet unanimisme � tous d�une seule et unique voix ! � qui rappelle justement les ann�es 1970. Un peu de �jugeote� devrait peut-�tre incliner � penser qu�en 2007, apr�s pr�s de 20 ans de malheur national, et de conqu�tes ch�rement pay�es, dont un chou�a de libert� de la presse, des journaux peuvent parfaitement adopter une ligne �ditoriale autonome du pouvoir sans �tre sans cesse intimid�s ou, au mieux, sirupeusement convi�s � changer de ligne. Au fond, c�est l�antique �tout-va-bien� lov� dans l�inconscient du triomphalisme national qui, ce faisant, continue � nier la maturit� des choix faits par les titres non-publics. Ne pas �tre d�accord, c�est �tre dans l�erreur, en dehors de la voie, dans les marges. �a ressemble comme deux gouttes d�eau � l�unanimisme pr�historique de l�Alg�rie exalt�e. La combinaison du 3 mai, Journ�e internationale pour la libert� de la presse, dont les journalistes alg�riens sont d�poss�d�s, et l�agitation autour des l�gislatives du 17 mai, a fait mousser pas mal la surench�re des discours sur la presse et sa libert�. Des mots. Encore des mots ! Le pr�sident de la R�publique n�a pas manqu� de tracer, dans le style coutumier, le portrait-robot de la presse r�v�e : responsable et comp�tente, et tout, et tout. Il faut arrondir les angles, couper ce qui d�passe, massicoter ce qui chiffonne et pr�senter la copie. Si ce n�est pas la nostalgie du �tout-va-bien� d�antan, �a ! Deux jours avant ces discours qui redressent une presse pr�sum�e en perdition politique, Arezki A�t- Larbi est arr�t� � l�a�roport d�Alger pour d�lit de presse. Du coup, en d�gainant sa meilleure candeur, on se demande que croire : ce fait ou les mots ronflants sur la modernit� suppos�e �tre incarn�e par une presse responsable, autrement dit qui renonce � son droit � la critique, et son devoir de critique. Au fond, j�y reviens. Je te le dis : tout va bien ! Si tu ne crois pas, nos dirigeants et quelques journaux et journalistes te le confirmeront sans probl�me. Quant � ce que tu vis ou tu vois toi-m�me, c�est de la propagande. Change donc ta ligne �ditoriale et tout ira encore beaucoup mieux.