Comment ne pas s'interroger sur ce déchaînement de haine qui s'exprime, honteusement, sur les réseaux sociaux à propos de l'identité (ou les identités) nationale (s) revenue(s), depuis quelques jours, au centre du débat ? A la faveur de l'heureuse conjonction de la reconnaissance de Yennayer et le grand retour de l'artiste Idir, les langues se sont déliées. Souvent de manière débridée. Pour certains tenants d'un incurable arabisme exclusiviste, ce fut un double impact. Les deux événements censés réenchanter l'Algérianité dans toute sa mosaïque identitaire et ses ancrages culturels, sont vécus comme une agression caractérisée. Çà frise la paranoïa, tant ils ont du mal à avaler cette pilule amazigh qui aurait pu (aurait dû) les soulager. Bien sûr qu'il faille se féliciter de ce que ces baâthistes résiduels ne soient pas très nombreux du moins majoritaires. Et que, à côté d'eux, des pans entiers de la société algérienne ont intériorisé leur amazighité sans complexe, voire avec fierté. Dieu soit loué. Mais il serait contre productif de considérer in abstracto que le peuple algérien est définitivement libéré de ses inhibitions culturelles et psychologiques. Les voix ostracistes et racistes qui éructent leur venin sur Facebook nous incitent à la vigilance. Elles mènent un combat d'arrière-garde, un combat douteux dont l'Algérie belle et plurielle n'est pas l'objectif. En quoi, diantre, la promotion de Tamazight gênerait-elle la langue arabe, l'islam ou l'Etat national ? On lit des raccourcis bêtes et méchants qui refroidissent l'ardeur de la communion nationale qu'offrent Yennayer et Idir. Comme par exemple, associer et coller les deux événements au MAK et accessoirement à la seule Kabylie pour fixer géographiquement ces marqueurs identitaires. C'est à croire que ce pays s'apprête à subir une invasion culturelle étrangère dévastatrice. Du calme, mesdames et messieurs, les faux gardiens autoproclamés du temple identitaire ! Tamazight, Yennayer et même Idir appartiennent à toute l'Algérie, ne vous en déplaise. Nous comprenons parfaitement votre douleur, écrite et sonore. Nous en voyons l'écume sur Facebook et les forums de discussions. Détendez-vous et essayez de voir les choses sereinement en faisant l'effort de ravaler votre haine par définition destructrice. Les crispations identitaires sont un signe de malaise existentiel. Des symptômes d'une peur pathologique de s'ouvrir à l'autre et au monde ; d'éprouver de l'empathie. Ce genre d'enfermement et de conditionnement vous empêche d'explorer l'insoupçonnable richesse que recèle la diversité. Il est désolant de lire çà et là des «vomissures» sur de prétendus «dangers» que ferait peser Tamazight sur l'Algérie. On ne peut alors s'empêcher de repenser aux «identités meurtrières» si bien décrites par Amin Maalouf et qui s'avèrent d'une brûlante actualité pour nous autres algériens. Cet essai écrit en 1999, doit être traduit et enseigné dans nos écoles. C'est un vade-mecum qui doit accompagner nos élèves, nos collégiens et nos lycéens. Le livre d'Amin Maalouf met le doigt sur notre plaie identitaire encore sanguinolente. Il montre et démontre notre insoutenable arriération culturelle à l'ère d'un monde 2.0. Lire ou relire Maalouf serait une belle thérapie de groupe. On y mesurera mieux tout ce temps perdu à mener des combats, parfois meurtriers, juste pour arracher le droit d'être reconnu linguistiquement ou cultuellement différent d'un moule identitaire hégémonique qui a servi de camisole. De gré ou de force. Il n'est jamais trop tard pour bien faire, ce pays riche de sa diversité qui a vocation à éblouir le monde, ne mérite que d'être cantonné dans l'ignorance et la bêtise qui se propage dans l'espace virtuel. Il y' a de la place pour tout le monde. Il suffit d'oser l'ouverture pour se rendre compte à quel point la cuirasse de l'unicité empêche l'invasion scientifique et l'évasion culturelle.